21/12/2008
La gauche, le croire, la politique, la laïcité.
D’abord quelques indications :
Notez dés à présent sur votre Agenda
la rencontre organisée par la Commission islam et Laïcité les 16 (après midi) et 17 janvier à l’Institut du Monde arabe à Paris sur :
QU’EST-CE QU’UNE SOCIETE PLURICULTURELLE ?
Susciter la réflexion et contribuer à l’action.
Le vendredi 16 après midi : transferts et contacts culturels dans l’histoire : enjeux et débats actuels
Le samedi 17 matin : Quels outils et quelles réflexions pour comprendre les sociétés pluriculturelles ?
Et l’après midi : Quelles pratiques pour faire vivre les sociétés pluriculturelles ?
Ensuite on me signale une difficulté : mon livre : Une laïcité interculturelle devait d’abord s’intituler : Liberté, laïcité, diversité. Et c’est sous ce titre qu’il est enregistré dans certaines librairies, notamment dans les FNAC.
Donc si vous ne le voyez pas commodément en rayon et que vous souhaitez le demander, sachez que c’est ce titre qui sortira de l’ordinateur.
Enfin, un spécial pour radins sympa (et dans le cadre des mesures de maintien du pouvoir d’achat!) : en exclusivité mondiale : le très beau cadeau qui ne coûte RIEN :
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Et maintenant deux points :
I.Suite et fin sur le symbolique, le croire, le politique, le marketing, (cf la Note du 13 décembre) pour avancer ensuite dans ce que pourrait être une réflexion actuelle sur la laïcité, non seulement pour le PS, la gauche, et finalement l’ensemble des gens attachés à la démocratie.
2.Commencer à débroussailler cette réflexion sur la laïcité démocratique du XXIe siècle.
En effet, si normalement la laïcité devrait être étroitement liée à la démocratie, toutes les laïcités ne sont pas démocratiques. Et cela fait partie du problème.
Je vous recommande à ce sujet 2 excellents ouvrages :
Un dirigé par Valentine Zuber et Fabienne Randahxe : Laïcité-démocraties, des relations ambiguës, Turnhout, Brepols, 2003.
Un autre, récent, Pierre-Jean Luizard, Laïcités autoritaires en terre d’islam, Paris, fayard, 2008.
Bon, sur le premier point, je vous avouerai que j’ai un peu perdu mon élan pour continuer (et achever) ma dernière Note. C’est ce qui arrive quand on doit abandonner ce que l’on est en train de faire parce que l’on a du travail en retard sur le feu.
Je me rappelle quand même deux idées sur lesquelles d’ailleurs, je reconnais volontiers que je tâtonne.
Parfois je livre dans le Blog des résultats d’années de recherche, et là je suis assez assuré de ce que j’écris. Parfois aussi, je livre à la réflexion des hypothèses plus hésitantes, pour les clarifier et avoir des remarques. C’est le cas ici.
A bons entendeurs, salut !
La première idée consiste à dire que le politique, comme le religieux ne peut pas être objet de marketing exactement de la même manière qu’un produit matériel.
Je parle là d’un point de vue totalement froid, « scientifique » entre guillemets, qui laisse de côté toute préoccupation (voire indignation) morale. Il s’agit de faire un constat.
A l’égard d’un produit matériel, on peut avoir une attitude purement fonctionnelle et manipuler les choses de l’extérieur : qu’est-ce qui va le mieux marcher pour vendre ce produit?
Quand il s’agit d’un produit immatériel, cela peut être pareil si on marche au « flair » et que l’on surfe sur ce qui va être performant à un moment donné. Mais, souvent, on ne tiendra pas alors une attitude, un discours cohérent dans la longue durée. Et même en ce cas, on le verra, une croyance est indispensable (cf. ce qui sera dit dans le cadre de la seconde idée)
L’analyse socio-historique de la religion peut nous aider à percevoir la différence. La religion remplit certes une fonction sociale (qui peut varier suivant les temps, les lieux, les religions elles-mêmes).
Et pourtant, cela ne suffit pas à assurer son succès. Quand on a voulu fabriquer de la religion cela n’a pas été durable. L’exemple des cultes révolutionnaires (la déesse Raison, la déesse Liberté, etc) le montre.
Les grands fondateurs de religion étaient eux-mêmes, d’une certaine manière, dépendants des croyances qu’ils propageaient.
Cela ne signifie pas, ipso facto, que ces croyances étaient « vraies ». C’est un problème d’un autre ordre. Simplement, ces fondateurs, et les grands propagateurs aussi, étaient à l’intérieur du croire.
Et maintenant, plein de gens déplorent la « perte du sens », etc. Mais ils se montrent incapables de créer du sens, car on ne peut créer durablement du sens sans y adhérer d’une certaine manière.
Et il existe une analogie au niveau de la sphère politique.
Analogie veut dire ressemblance (le politique comme le religieux met en jeu du symbolique, et notamment de « l’espérance ») et différence (le politique doit allier le symbolique et l’empirique, c'est-à-dire avoir une action dont on vérifie les résultats, et donc savoir allier convictions et pragmatisme).
D’où, 2 premières propositions de piste de travail pour construire une laïcité du XXIe siècle :
- Réfléchir à la religion comme concentré de structures symboliques, et donc sortir de l’alternative implicite (que l’on retrouve souvent, alors même que l’on dit officiellement que la religion est un choix personnel) : vérité ou illusion de la religion. Et cela euphémise la frontière religion-non religion, ce qui correspond à la réalité sociale d’aujourd’hui.
- Réfléchir à la ressemblance et à la différence entre politique et religion. Vouloir la séparation des deux sphères n’interdit nullement de tenter de penser leurs rapports. Au contraire.
La seconde idée, c’est qu’il faut bien à un moment réintégrer l’éthique. Justement parce que si on doit être à l’intérieur d’un système de croyances, il serait contradictoire d’en rester à un seul regard froid et extérieur, même si l’on a commencé ainsi.
Mais, il ne s’agit pas, en réintégrant l’éthique d’oublier ce que nous a appris une démarche froide.
D’autant plus que je ne vous ai pas tout dit : dans le marketing politique, partout et encore plus dans la conjoncture française de la Ve République où l’acte politique essentiel est l’élection de président au suffrage universel, il y a bien un « produit » qui est en jeu.
C’est une personne qui doit se « vendre ». Se cacher ce fait que l’on ne saurait voir, car il est extrêmement désagréable du point de vue de la croyance collective militante, de la conviction politique (qui voudrait parler de « programme » dans le pur ciel des idées), est, selon moi, d’une naïveté incommensurable.
Or si un leader religieux peut « légitimement » échouer, au nom de la prééminence de l’éthique de conviction sur l’éthique de responsabilité dans l’ordre du religieux, je pense qu’une des différence entre religion et politique, c’est que, dans ce dernier domaine, l’éthique de responsabilité doit l’emporter sur l’éthique de conviction.
C’est en tout cas au niveau de l’éthique de responsabilité qu’il me semble nécessaire de réintroduire de l’éthique dans le politique, non à celui d’une pure éthique de conviction.
Pour moi, le non sens politique, c’est Delors refusant de se présenter à l’élection présidentielle en 1995. « Ca c’est très estimable » m’a dit quelqu’un lors d’un dîner en ville. Non, cela prouve seulement que Delors était fondamentalement un haut fonctionnaire (ce qui n’est, bien sûr, pas déshonorant !) mais pas un politique.
Vous connaissez la phrase de Péguy sur ceux « qui n’ont pas les mains sales parce qu’ils n’ont pas de mains ».
Reprenons l’idée de Max Weber : c’est en croyant à « l’impossible » que l’on arrive à réaliser « tout le possible ». Ce que Delors aurait du donc faire s’il avait accepté d’être candidat ( ou ce que d’autres doivent faire ; la référence à Delors est commode pour dépassionner le débat !). C’est :
- croire (au moins un peu) à « l’impossible » (comme horizon qui met en marche), en tout cas qu’il est possible de changer les choses.
- croire que c’est grâce à soi même que cet impossible va peu ou prou se réaliser. La croyance en soi même est un élément clef de l’affaire. Même si on ne croit pas vraiment que l’on va réaliser « l’impossible », il faut quand même croire en sa capacité d’exercer le pouvoir, sans échouer de façon trop retentissante, non ?
- et aussi se montrer capable de faire croire que c’est effectivement grâce à soi-même, et non grâce à un autre, que l’on peut collectivement se projeter dans cet « impossible », ou (en tout cas) espérer un avenir différent et meilleur..
Cela demande pas mal de zigzags, de sens de la manœuvre, et (surtout dans la société actuelle) d’utilisation du marketing.
Certains cracheront dans cette soupe. D’autant plus qu’ensuite, il faudra se servir des ressources ainsi acquises pour faire face aux multiples contraintes et réaliser…le possible, c'est-à-dire quelque chose de bien en deçà de l’espérance suscitée.
Oui, certains peuvent cracher dans cette soupe assez amère. Je les invite à relire Marivaux.
Dans Marivaux l’établissement d’une relation amoureuse ne s’effectue jamais en ligne droite, c’est comme au billard, il y a pas mal de détours. Il arrive même des coups tortus.
Mais ces moyens plus ou moins tortueux sont nécessaires pour débloquer une situation qui est, elle-même, tordue.
Il faudrait un Marivaux pour parler du juste rapport entre politique et marketing !
OK, m’a dit une fois un interlocuteur à qui j’exposais cette belle théorie, mais « il ne faut pas perdre son âme pour autant ». OK, répons-je, mais je trouve significatif qu’arrive alors une expression aussi… religieuse.
Et pour en finir avec cette première partie qui a commencé avec un commentaire de « Ce que siffler Jaurès veut dire » (Note du 6 décembre) , une nouvelle citation de Jaurès (dans un commentaire « Grunchard » m’a demandé s’il est opportun de revenir à Jaurès : « revenir », non, mais écouter ce qu’il a dit, pourquoi pas) :
« Aller à l’idéal et comprendre le réel »
Deux risques :
- Ne pas vouloir comprendre le réel, parce qu’il n’est pas tel que nous le voudrions, qu’il est décevant, et même tordu. Donc on flotte dans l’idéal, c’est intellectuellement et moralement plus confortable.
- Perdre complètement de vue l’idéal en cours de route, parce qu’on a du fortement s’enraciner dans le réel et, du coup, s’en accommoder.
Une piste pour allier les deux aspects (l’idéal et le réel), c’est de tenir compte du réel, y compris dans ses aspects « désagréables » dans son action mais saisir toutes les occasions qui peuvent (peut-être !) permettre de rendre, à terme, certaines contraintes du réel moins pesantes.
C’est pourquoi, cela me met tellement en rogne de voir que la gauche a réagit par le petit côté de la lorgnette au projet de suppression de la pub sur les chaînes publiques.
Il y avait là une formidable opportunité à saisir. Non pour accepter tout cuit le projet sarkozyste, mais pour s’en servir comme levier pour proposer un véritable projet pour la télévision publique libéré de l’emprise de la pub.
Je persiste et signe : OK bien sûr pour lutter contre la nomination du PDG, mais mettre autant le paquet sur la défense du budget de France Télévision, en prétendant que le problème se situait là, c’est faire comme si la publicité n’informait pas un modèle de société.
Vous savez pourquoi France-télévision prévoit un budget en déficit ? : c’est parce qu’elle veut être la première au niveau des… diffusions sportives. Comme si c’était prioritaire pour des chaînes publiques. Comme si ce n’était pas quelque chose dont le privé pouvait se charger, en le finançant par la pub, justement.
Si la gauche avait investi sur la télévision publique le quart de l’inventivité dont les Républicains avaient fait preuve pour l’école publique, il y a un bon siècle… elle ne serait pas autant dans la mouise.
Bon voilà pour les deux idées.
Mais, en supplément gratuit, il faut que je dise deux mots de l’affaire Madoff, vous savez celui qui a détourné 50 milliards de dollars, un très bel exemple de l’importance du croire en économie.
Le sociologue américain James Coleman analysait, il y a environ 20 ans, les pratiques socio-économiques qui, grâce à un haut degré de confiance, pouvaient se dispenser de gros frais d’assurance, de lourdes dépenses pour avoir une sécurité matérielle.
Appartenance à une communauté religieuse identique entre membres de la transaction, sens de l’honneur, capacité de sanction du groupe,… tout cela formait un capital social immatériel qui permettait de réaliser de bonnes affaires sur le plan financier.
Manifestement, c’est ce qui s’est passé… et a permis un bluff monumental. Notons que si les dites « victimes » de l’affaire Madoff ont beaucoup perdu, elles avaient beaucoup gagné… avant (puisque les taux d’intérêt reversés étaient sans commune mesure avec le marché).
Et s’il n’y avait pas eu la crise, qui a fait découvrir le pot aux roses, tant que cela a marché, nous n’en savions rien.
Autrement dit, il y a des pans entiers de la réalité sociale qui fonctionnent principalement au croire, et dont on ne nous parle pas.
Maintenant, après cette longue introduction de trois Notes, nous allons en arriver aux « leçons » proprement dites. Plusieurs internautes m’ont indiqué le besoin de revenir sur les éléments basiques de la laïcité. C’est ce que j’appelle « débroussailler ».
Par ailleurs, les médias (même dites sérieuses) nous présentent des émissions ou des articles sur les « menaces contre la laïcité ». Le thème de la « menace » et celui, corollaire, de la « défense » de la laïcité sont même omniprésents.
Dernièrement, j’avais été contacté par une chaîne de télévision, qui plait aux intellos et à la classe moyenne supérieure, sur ce sujet. Je ne pouvais pas y participer car je donnais des cours à l’université de Tokyo.
Je leur ai quand même téléphoné à mon retour pour leur dire : « quand est-ce que vous allez arrêter un peu de parler des menaces sur la laïcité, pour parler de la laïcité elle-même ? ». Mon interlocuteur s’est montré surpris. J’ai tenté de lui expliquer ce que je voulais dire. Je ne suis pas du tout sûr qu’il ait compris, même s’il m’a assuré qu’il allait transmettre.
Donc nous allons partir de l’hypothèse que la PREMIÈRE MENACE qui pèse sur la laïcité, la plus importante, voire tragique, c’est l’ignorance en matière de laïcité, l’obscurantisme à son égard.
Chemin faisant, cela nous fera aussi examiner ce que médiatiquement on appelle les « menaces ». Car le refus de la diabolisation ne conduit pas à l’angélisme, mais à une prise de distance avec stéréotypes et lieux communs.
Je vous propose, d’abord d’aborder le sujet : laïcité et « intégration ». Pourquoi il ne s’agit nullement de la même chose et en quoi une laïcité qui se relie étroitement au problème de l’intégration n’est plus vraiment la laïcité. Ce sera la dernière Note de l’année 2008.
Ensuite, quand nous aurons donné (et reçu: je vous en souhaites de nombreuses, bien tendres) nos bises de nouvel an, cela nous conduira logiquement à l’éternel problème (en France en tout cas) du dit « communautarisme ».
Autre éternel problème à aborder très vite : le public et le privé. et puis, existe-t-il un multiculturalisme à la française?
Etc, etc.
Des Notes à deux niveaux: ce qu'il possible d'en dire à partir d'une démarche et des acquis sociologiques + un point de vue plus personnel.
Si vous avez des questions, posez - les grâce aux commentaires: je ne vous promets rien, je n'ai pas réponse à tout. Mais peut-être...
L’année 2009 va donc commencer par une clarification générale. Mais il y aura aussi pleins de surprises. J’ai des idées dont je vous reparlerai.
Donc, encore une fois : le meilleur cadeau à faire à vos amis : leur donner l’adresse du BLOG.
Pensez y, c’est gratuit !
20:10 Publié dans Laïcité française | Lien permanent | Commentaires (5)