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13/12/2008

PS et SEGOLENE, MARKETING, SYMBOLIQUE et POLITIQUE

Tout d’abord : Bravo les Québécois, vous avez renvoyé Mario Dumont à ses zactivités familiales, qu’il avait un peu négligées tout en défendant la famille.

Pour les autres internautes je précise que Mario Dumont est, au Québec, le leader d’une formation politique l’ADQ, qui prône des valeurs traditionnelles dites « québécoises » et, surtout, avait surfé, aux élections de 2007, sur un climat défavorable aux migrants (pour dire les choses vite et donc de façon trop schématique). Il avait eu 41 députés (sur 125). Il n’en a plus aujourd’hui que 7.

Bravo les Québécois, et pour vous féliciter concrètement, vous allez avoir bientôt, dans les librairies dignes de ce nom, le formidable ouvrage de votre honoré serviteur : Une laïcité interculturelle, le Québec avenir de la France ? (éditions de l’Aube). Patience, cela ne saurait tarder…

Comme le Québec est en avance sur la France, l’éditeur, pour équilibrer a publié le livre en France, avant le Québec. Et, ceux qui ont la chance inouïe d’être de beaux Français ou d’habiter dans ce merveilleux pays, vous pouvez déjà, sans bousculer les vieilles dames toutefois, vous précipiter chez les libraires pour l’acheter.

Ne tardez pas : il parait que chez Gibert, au Quartier Latin, le 1er stock commandé est déjà épuisé.

 

Et puis, tant que vous y êtes, achetez d’autres ouvrages publiés par les éditions de l’Aube. Tenez, comme cadeau de Noël, vous pouvez offrir les romans policiers de He Jiahong, qui se passent dans la Chine actuelle, et qui sont passionnants (Le mystérieux Tableau ancien ; Crime de sang ; L’Enigme de la pierre Œil de Dragon ; Crimes et Délits à la Bourse de Pékin).

Je vous recommande aussi deux autres livres : Après la démocratie d’Emmanuel Todd chez Gallimard, dont je vous reparlerai sûrement.

Voilà, en effet, une pensée libre et fondée sur des recherches très sérieuses qui pose la question qui me taraude aussi : Et si la France méritait Sarkozy ? Si elle l’avait élu non pas malgré ce qu’il est mais justement à cause de ce qu’il est ?

Parfois les propos sont un peu à l’emporte pièce, parfois je ne suis pas du tout d’accord, mais cela me semble toujours extrêmement intéressant et fourmille didées incorrectes et passionnantes (un exemple entre mille : les pages dures, courageuses et pertinentes sur Finkielkraut).

Enfin, pour celles et ceux qui veulent se recycler en sociologie, je recommande chaleureusement Les nouvelles sociologies de Philippe Corcuff chez Armand Colin (2ème édit. refondue parue en 2007).

Un livre de poche de 128 pages qui réussit le tour de force d’expliquer clairement les principaux domaines de recherches, tout en mettant en œuvre un esprit critique très pertinent. Là aussi, on perçoit l’ouvrage d’un homme libre, qui a pas mal appris du meilleur de Bourdieu et de ses analyses de la domination sans s’enfermer dans un système bourdieusien car la sociologie a aussi existé à côté de Bourdieu et continue après lui.

Il a écrit aussi La société de verre - Pour une éthique de la fragilité (Armand Colin, collection "Individu et Société", 2002), où il développe la notion intéressante de "Lumières tamisées" contre des « Lumières aveuglantes ».

Donc voilà quelques belles zidées de cadeaux, y compris à vous-même puisque, et c’est presque une citation de Ségolène (qui a du le trouver dans un livre ancien), « il faut aimer son prochain comme soi-même », et donc soi-même comme son prochain, non ?

 

Pour le moment, reprenons la suite de la Note du  6 décembre. Nous en étions au PS et au fait qu’au Congrés de Reims, des militants avaient sifflé l’envolée finale de Ségolène. Or, sans le dire, et exprès, la coquine citait Jaurès.

C’est donc Jaurès qui s’est fait copieusement sifflé : son propos s’est trouvé confondu avec un discours de « télé-évangéliste » heurtant la « culture laïque » des dits militants. A partir de là j’avions pontifié pour vous bassiner avec mes dadas sur la nécessité de l’utopie, l’importance du symbolique,etc. Et, n’en doutez pas, je vais continuer.

 Cela vous apprendra à venir surfer sur mon Blog !

Ca y est, vous êtes remis dans la course ? OK. L’erreur commise est de croire que la « culture laïque » doit conduire à avoir un encéphalogramme plat au niveau du symbolique. Double erreur.

-         erreur de confondre une « culture laïque » et une culture athée. C’est une erreur symétrique à celle de Sarko quand il oppose « morale laïque » et morale des catholiques, comme si la morale laïque état réservée à ceux qui sont « sans religion » (comme disent les sondages). Et implicitement, je rencontre tout le temps cette erreur, au PS et ailleurs.

-         erreur de croire que les athées, indifférents en matière religieuse, agnostiques, etc vivraient en dehors du symbolique, de la croyance et même de ce que l’on peut appeler le « spirituel ». Comme le reste du pôvre monde, ils ont leurs croyances, leurs mythes, leurs légendes dorées et noires (tenez publicité gratuite : dans le livre sur Une laïcité interculturelle, je décrypte celles de féministes québécoises), leurs rituels, etc.

 

La culture laïque, c’est d’apprendre à distinguer l’ensemble du symbolique d’une démarche de connaissance, du savoir. En sachant d’ailleurs que les deux ne sont pas séparés à 100% (mais c’est itou pour religion et politique, Eglise et Etat, etc ); ce qui m’empêche pas qu’il peut exister une séparation assez conséquente pour être honnête et qu’une logique de séparation, ce n’est pas la même chose qu’une logique de liens étroits, de confusion.

Et la distinction entre le croire et le savoir est une contidion indispensable (même si elle n'est pas suffisante à elle seule) pour prendre de la distance à l'égard de ses propres croyances et pour savoir toute l'importance sociale (et même intellectuelle) du croire. Sinon on est dans l'illusion d'être soi même hors du champs des croyances, et de croire que les croyances d'autrui ne sont qu'illusions.

E. Todd, dans l'ouvrage cité, va jusqu'à dire que "la conscience de classe relève de la catégorie plus générale des "croyances collectives" dont la matrice est d'ordre religieux". Il fait du contexte actuel "d'isolement métaphysique des individus" (c'est ainsi qu'il le qualifie) un élément clef de la situation (p. 182 s; mais c'est un des thèmes récurrent du livre). 

La culture laïque doit être une culture libre et éclairée, du moins une culture qui tente d’être libre et éclairée : C’est un long chemin et un combat de chaque jour :

-         Libre d’être dans l’utopie, le symbolique, le spirituel. Et de mille manières. Et cela de façon consciente.

-         Eclairée car elle sait que le savoir, cela existe et qu’il faut aussi l’acquérir. Ne pas confondre croire et savoir. Eclairée, car elle pratique assidûment la gymnastique intellectuelle qui articule, sans les confondre, croire et savoir.

Cela n’est ni évident ni facile. Cela exige entraînement, effort, acquisition de matériaux appropriés, souplesse et fermeté, capacité de se critiquer soi-même, capacité aussi d’échapper au relativisme, au cynisme, au premier degrés qu’il soit religieux, moraliste ou scientiste.

Cela nécessite aussi le savoir que la réalité est toujours saisie à travers des représentations : quand vous voyez une chaise, vous ne voyez pas seulement un objet brut, car alors vous ne sauriez ni le nommer ni à quoi il sert. Vous voyez un objet que votre mémoire vous fait, immediatly, qualifier le « chaise » (ou de « fauteuil, ce qui ne connote pas la même chose), classement lié à un ensemble de représentations implicites.

Et c’est là que je répondrai à « Mulot » (5ème commentaire de la Note du 27/11) : si je veux accomplir une démarche de connaissance, acquérir un savoir un tantinet de l’ordre du scientifique, impossible de m’en tenir à la définition du Robert, de n’importe quel dictionnaire. Si, en revanche, je veux travailler sur les représentations sociales ; alors là, le dictionnaire me sera précieux. Eh oui, c’est selon. C’est cela la gym intellectuelle ! Et la solution de l’apparente contradiction que vous pointâtes, cher Monsieur.

 

J’avais annoncé, dans la Note du 6 décembre, que je réagirais à l’ouvrage de François Belley : Ségolène, la femme marque (éditions Peau de Com), que j’ai trouvé à la fois fort intéressant et réducteur. Il serait trop long de résumer l’ouvrage, et l’indication de son plan suffit à donner ses thèses principales :

I Ségolène R, une griffe politique.

II Ségolène R, une marque qui répond aux tendances du marché.

III Ségolène R, du statut de la marque à celui d’icône.

IV Ségolène R, de la phase de croissance à la maturité de la marque.

La faille du livre, c’est que tout au long, il nous explique en quoi Ségolène est géniale en marketing. Alors on se demande, au bout du compte, pourquoi elle n’a pas été élue présidente avec 60% des voix, même s’il indique, en cours de route que, question marketing, Sarko et sa campagne, ça a été pas mal non plus.

Il fait comme si elle dominait tout, était dans la toute puissance.

Le risque du livre, c’est de prétendre que Ségolène ce n’est que du marketing (c’est un peu aussi l’idée d’Emmanuel Todd, mais il le dit tellement allusivement, comme s’il s’agissait d’une évidence, on peut donc difficilement en débattre à partir de son livre).

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C’est là que je voudrais émettre deux constats, faire une hypothèse, apporter un témoignage de quelqu’un qui l’a vue à l’œuvre de prés et qui a tenté d’être à la fois acteur et sociologue (pas facile !).

 

D’abord premier constat, c’est que pendant que les militants sifflent Jaurès et négligent ainsi le symbolique, les experts en marketing, eux, s’y intéressent, et même s’y intéressent drôlement. F. Belley s’appuie beaucoup sur un ouvrage de Georges Lewy, au titre significatif, Les marques mythologies du quotidien (Village mondial, 2004).

Il y a dans ce livre une intelligence certaine de certains aspects du symbolique. Que cela plaise ou non, force est de le constater.

On ne peut pas reprocher aux gens d’être intelligents. Si on veut combattre leur influence, il faut être encore plus intelligents qu’eux (surtout que, bien sûr, on a beaucoup moins de puissance).

Second constat : Le politique, pour être « performatif », ne peut pas ignorer (c’est une litote !) les techniques de marketing (et tous les humains politiques y ont recours). Cela, je le constate, même si je le regrette.

En effet, le marketing n’est certes pas le mal en soi, mais dans sa puissance actuelle, et sans le vouloir (son but est de faire vendre dans un environnement très concurrentiel), il formate la société dans des codes réducteurs. Et les effets sont redoutables : voyez comment des codes vestimentaires s’imposent par pression médiatique, et auprès de celles et ceux dont les parents tentent de résister, par pression sociale des paires, aux élèves, maintenant dés le primaire.

 

J’indiquerai plus tard (il faut bien un peu de suspens !) ce que je pense de cette relation entre politique et marketing. Pourquoi il faut l’assumer, sans honte.

Mais je voudrais tout de suite faire l’hypothèse (et l’appuyer sur un témoignage) que si les techniques de marketing sont nécessaires pour réussir en politique, elles ne me semblent pas suffisantes. Quand on vous met en image une belle jeune femme ou une belle grande cause pour vous vendre un produit, le but n’est ni de rendre hommage à la beauté des femmes, ni de servir une cause humanitaire, mais bien de vous faire acheter le produit, sous couvert de marque.

Il y a une extériorité à peu près complète entre les deux.

Longtemps, j’ai cru qu’il existait la même extériorité en politique. Quand je suis devenu conseiller de Ségolène, et que j’ai approché de plus près le monde politique, je me suis aperçu que, d’une certaine manière, beaucoup de politiques, en tout cas du côté des socialistes, croyaient plus ou moins en ce qu’ils déclaraient publiquement, étaient convaincus de la véracité d’au moins une partie de ce qu’ils affirmaient. Que d’une manière générale, ils étaient moins cyniques que ce que je croyais.

Et mon changement de point de vue, paradoxalement, a été du à ce que mon rapport avec eux n’était plus essentiellement médiatisé par les médias de masse. Je les côtoyais dans la quotidienneté de leur action, dans des réunions en tout petit comité où ils n’avaient pas à donner le change.

Et cela s’applique à des gens dont je ne partage pas forcément les idées. Un Claude Bartolone, par exemple qui était alors ministre de la ville. est un homme de conviction. 

Mais cela s’applique au carré à Ségolène Royal. Au carré, que dis-je au cube car non seulement la manière relativiste dont j’ai parlé des convictions (« d’une certaine manière », etc) ne s’appliquait pas à elle ; d’autre part elle avait (déjà) des convictions plus personnelles que collectives.

Elle avait des convictions fortes, un élan enthousiaste, par exemple la conviction qu’elle allait (avec l’équipe qui l’entourait) réussir à inverser la socialisation à l’incivilité (je veux dire par là tout le contexte qui pousse les gamins  à devenir incivils, ce dont ils sont ensuite, elle le disait, les 1ères victimes) en socialisation en une citoyenneté civile.

(je rappelle à celles et ceux qui l'ignoreraient -quel blasphème!- que j'étais chargé des "Initiatives citoyennes".

Et quand Ségo en parlait avec moi, j’avais tendance à actionner la douche froide : comment parvenir à inverser ainsi le cours des choses avec l’administration qui faisait de la résistance passive mais combien efficace, Allègre qui se mettait allègrement à dos les profs, le maire socialiste X, le député socialiste Y et le sénateur socialiste Z qui se plaignaient auprès de Jospin dés que les changements que nous tentions de faire les dérangeaient quelque peu, et Jospin lui-même qui intériorisait ce que Chirac prétendait être une « rupture de la cohabitation ».

Sans parler de 1000 autres contraintes globales, notamment socio-économiques (le socio-économique n’est pas tout mais ce n’est pas rien) que le gouvernement socialiste, tout faisant ce qu’il pouvait, ne transformait pas beaucoup!

Bref, ce que me disait Ségolène me semblait utopique, impossible à réaliser. Je commençais à le dire à ma ministre. Je la voyais qui me regardait alors l’air un peu malheureux. Et la phrase de Max Weber me revenait en mémoire : il faut croire en l’impossible pour réaliser le possible.

Et je me traitais intérieurement d’intellectuel à la con, qui allait briser son élan vers l’impossible, ne réussir qu’à risquer de la paralyser en la désenchantant. Je me reprochais une (pseudo ?) lucidité exacerbée qui minimisait le pouvoir de l’action.

Je voulais l’aider à réaliser tout ce qui était possible, mais, imprégné de mes analyses, n’arrivais guère, pour cela, à croire à l’impossible. J’ai compris alors que ma cup of tee n’était pas de faire de la politique.

Mais malgré tout, son enthousiasme communicatif m’a aidé à décider que, sur tel ou tel dossier, quelque soient les obstacles (notamment adminstratifs), je ne m’arrêterais pas, je ne cèderais pas.

Donc convictions fortes, capacité à se projeter dans un avenir autre. Et cet avenir autre ne correspondait pas forcément aux idées reçues de l’ensemble du PS. Mais je dois dire que, personnellement, je m’y trouvais assez à l’aise. J’ai d’ailleurs eu des remarques de membres du Cabinet, m’invitant à laisser de côté, à ne pas tenir compte, autant que faire se peut, des « dadas » de la ministre.

 

Et dits « dadas », qui hérissaient, me plaisaient en général, car je trouvais qu’elle avait une vision dialectique des choses. Exemple[1] : question de la ministre : Comment faire pour expliquer à une lycéenne qu’elle a le droit de dire « non » à un garçon qui veut coucher avec elle, si elle n’en a pas vraiment envie ? Qu’elle n’a pas à se plier à une pression sociale diffuse ? A ne pas faire comme tout le monde simplement pour faire comme tout le monde ?

Tu ne vas quand même pas entrer dans cette vision « moraliste » des choses ? me disait-on alors.

Moraliste, vraiment ? Au même moment, Ségolène se battait avec la même conviction, la même ardeur pour que les dites lycéennes puissent disposer de la pilule du lendemain, et ne pas avoir à avorter en cas « d’accident ». Et là, certains craignaient que cela nous fasse mal voir du centre, des ‘vieux’, de ces quelques % qui font basculer les élections dans un sens ou l’autre.

Moi je trouvais dans cette dialectique, une grande cohérence et dans les deux cas un combat pour la liberté des femmes qui ne craignait pas d’être à contre courant, de paraître « moralisateur » dans un cas, « laxiste » dans l’autre. Et j’étais alors heureux d’être dans la team d’une telle ministre.

Autre exemple : le bizutage. Là, on se heurtait également à l’incompréhension de beaucoup de « camarades », et… à de très puissants groupes de pression d’anciens élèves. Mais on connaissait des cas assez dramatiques.

Autre souvenir : je me rappelle une fois elle a passé des heures et des heures avec Elisabeth Guigou (alors ministre de la Justice) à propos d’un prof qui était un pédophile avéré et que, jusqu’à présent, l’Education nationale déplaçait régulièrement de collège en collège, que quand il avait sévi quelque part, et que des parents s’étaient plaints, on le mettait ailleurs, où il sévissait de nouveau.

Vous avez compris : l’idée c’était quand même d’arriver à le vider de son poste d’enseignant, à ce qu’il ne se trouve plus en contact avec des enfants.

Et voyant le temps que cela lui prenait, je lui ai dit : C’est admirable ce que vous faites, mais est-ce vraiment votre rôle de consacrer autant de temps à cette affaire ? Ne pourriez-vous pas déléguer ? Elle m’a répondu en substance : il y a tellement d’obstacles que si je ne m’en occupe pas personnellement, le dossier n’aboutira jamais. Et elle avait raison.

 

Parmi les « dadas » de la ministre, il y avait les contacts directs avec des profs ou des parents d’élèves. Et là aussi certains membres du Cabinet tentaient, parfois avec succès, de faire barrage. Quand des parents d’élèves ou des profs téléphonaient sur tel ou tel sujet, Ségolène voulait que, dans la mesure du possible (elle était souvent en réunion, bien sûr), on lui passe la communication et qu’elle puisse parler directement avec la personne qui appelait.

Des membres du Cabinet pouvaient cela un peu fou. D’abord, déclaraient certains, cela « donne une prime » aux contestataires (eh oui, étrange commentaire mais il a été fait); ensuite si ça commence à se savoir qu’un tel ou un tel arrive à avoir directement la ministre, on n’en aura jamais fini.

Je me souviens d’une fois où la pauvre secrétaire était très hésitante entre l’ordre de la ministre de tenter de la joindre quand X rappellerait et le contre ordre d’un membre du Cabinet lui demandant de surtout ne pas le faire.

Ségolène n’ignorait pas la validité du second argument  (ce sera sans fin); mais elle affirmait qu’elle avait besoin de ces contacts directs pour comprendre ce que ressentait les gens, pour ne pas être une bureaucrate, pour ne pas imposer de haut, etc.

 

Alors, bien sûr, on peut voir de l’habileté politique là dedans (et après tout, pourquoi pas ?) mais aussi ce qui m’a toujours plu quand j’ai été son collaborateur, le fait que j’avais affaire à une femme qui savait fortement qu’elle ne savait pas tout. Et croyez moi, dans la culture énarque, c’est rare ! Une femme qui avait conscience du risque d’être enfermée dans son ministère, dans sa fonction, de se couper du vécu du grand nombre.

Et justement, quelque chose que j’ai apprécié chez Ségolène c’est qu’elle alliait la capacité de synthèse qui provenait de sa formation à l’ENA à la capacité de doute, de se dire : « là, je ne sais pas », qui est typique du chercheur, mais le plus souvent étranger aux autres énarques que j’ai rencontrés. Alors certes, ce n’était pas une théoricienne spécialiste des concepts, elle avait une intelligence émotionnelle et intuitive.

Et l’idée qu’il fallait faire de la politique autrement, apprendre auprès des autres et vérifier la pertinence de son action, la taraudait déjà, en 1997-1998.

Donc quand Belley écrit que Ségolène est une des rares politiques « à s’inscrire dans une logique de marketing total où l’étude de marché constitue l’étape préalable à la prise de parole : celle qui vous permet d’identifier, par une analyse marketing précise, la demande du public et de construire, en conséquence un positionnement malin et une offre sensée. » (p. 42), c’est à la fois exact et pas exact.

 

Il est exact que le marketing fonctionne ainsi, et que c’est grâce à cela qu’il est efficace. On y reviendra. Mais si, justement, peu de politiques le font, c’est que cela demande en amont, quand il ne s’agit pas de vendre un produit matériel, une disposition d’esprit où on pense que l’autre à quelque chose à vous apprendre, la conviction que l’on ne doit pas lui imposer d’en haut un projet complètement ficelé et construit en dehors de lui.

Et je suis un peu étonné qu’Emmanuel Todd n’ai pas saisi cela, lui qui estime que le « découpage du Parti [socialiste] en niveaux culturels superposés l’a conduit à éliminer en son sein la représentation populaire et à se transformer en parti d’élus, largement décroché de la structure sociale globale » (p. 88)

Lui qui affirme que « le monde dit supérieur peut se refermer sur lui-même, vivre en vase clos et développer, sans s’en rendre compte, une attitude de distance et de mépris vis-à-vis des masses, du peuple, et du populisme qui naît en  réaction à ce mépris. » (p. 84)

Lui qui voit dans le soulèvement des banlieues d’octobre-novembre 2005 l’ « expression maladroite d’une volonté de participation à la vie politique » de la jeunesse défavorisée et non d’une minorité ethnique (page 130) et qui constate qu’au 1er tour de la présidentielle Ségolène Royal « fait remonter les lamentables 12% de vote ouvrier pour Jospin en 2002 à 24% en 2007 » et, chez les 18 – 24 ans, de 12,5% à 34% (p. 137-138).

Eh, camarade Todd, vous qui ne craignez pas d’effectuer des analyses très courageuses, combattant des idées morales reçues, pourquoi vous donnez ces chiffres sans vous en servir pour analyser les choses ? Votre détestation de Ségolène ne vous fait-elle pas prendre « une attitude de distance et de mépris », sous prétexte qu’elle ne présentait pas aux foules ébahies un programme complet et bien léché ?

Le programme complet il existait, et c’était celui du PS, un boulet qu’elle a traîné tout au long de sa campagne car il multipliait les « y’a qu’a »… et c’est justement ce dont les électeurs ne veulent plus, car ils savent bien qu’on les paye en fausse monnaie. Que la conception quantitativiste, style : « je suis plus à gauche que toi parce que je propose un smic à 2000 € et toi tu te contentes de 1800 », c’est complètement pipeau.

Et si c’était justement ça, cette conception QUANTITATIVISTE de la gauche (et de la laïcité quand on fait semblant que plus de répression signifie plus de laïcité : conception assez débile !) qui réduit le politique au marketing ?

Alors qu’être dans l’interaction des convictions (car la démocratie participative comporte deux phrases, celle de l’écoute et celle de la reprise, du trie), et se dépatouiller au milieu de multiples contraintes, c’est déjà beaucoup plus complexe.

 

Je pourrais continuer pendant des heures. Mais chaque journée n’en a que 48 et il y a de multiples choses à faire ! Et beaucoup d’internautes me reprochent d’être trop long. Alors je m’arrête là. Dans la prochaine Note (samedi  prochain) je vous dirai quel est, à mon sens, la relation juste entre politique et marketing et puis j’enchaînerai sur les notions de base que le PS devrait acquérir quant à la laïcité, pour avoir une laïcité juste.

 

Je taquine bien sûr, et Ségolène et celles et ceux que le slogan "l'ordre juste" sort par les trous de nez.

Pour Todd, "l'ordre juste" est un slogan typiquement de droite. Là alors, comme angélisme de l'élite on ne fait pas mieux. Et c'est très contradictoire avec ce qu'écrit Todd par ailleurs qui montre que, subissant des choses étrangères à "l'élite", les gens des couches populaires ont souvent une analyse para-sociologique et para-économie politique plus pertinente que les premiers.

Dites à quelqu'un qui subit l'ordre de plein fouet, et qui sait qu'il le subira toujours, que la recherche d'un ordre juste est de droite!

Attention, Emmanuel, tu as mille idées, toutes plus brillantes les unes que les autres, mais parfois tu te prends pour le Luky Luke des sciences humaines: tu raisonnes plus vite que ton ombre.

Toute société (même révolutionnaire) a un ordre, un ordonnancement. Le very big problème c'est que l'ordre, indispensable, est toujours au profit de dominants, toujours un ordre injuste. Alors, rechercher un ordre plus juste, ce ne serait pas de gôche, ça?

 

Allez, bonne crise et bonnes fêtes !

 

 

 

 

 

 



[1] Je ne mets pas de guillemets à mes citations car, bien sûr, 10 ans après, ce n’est pas du mot à mot. C’est l’idée qu’il faut retenir.

16:38 Publié dans EVENEMENTS | Lien permanent | Commentaires (2)