18/11/2008
LAICITE INTERCULTURELLE
Dans le cadre de la relance économique de la planète Terre, l'Académie Nobel a décidé d'attribuer un prix Nobel exceptionnel de 3 billons de milliards de £, $ et € réunis à un ouvrage qui parlerait, de manière magistrale, n'en doutons pas, de la laïcité au Québec en comparaison avec la laïcité française et dont l'auteur aurait comme initiales J. B.
L’Académie ayant brassé beaucoup plus large que les concours littéraires parisiens, 10000 ouvrages se trouvaient en compétition.
Après un suspens insoutenable, nous avons le plaisir de vous annoncer que le prix va être remis à l'immortel auteur de La laïcité expliquée à M. Sarkozy et à ceux qui écrivent ses discours (Albin Michel)
pour son nouvel ouvrage:
UNE LAÏCITE INTERCULTURELLE, LE QUEBEC AVENIR DE LA FRANCE ? (Éditions de l'Aube)
La remise solennelle du prix et le début de la vente dans toutes les librairies dignes de ce nom,
aura lieu le mercredi 19 novembre à Oh du matin.
(notamment, publicité gratuite, pour Paris, La librairie du Québec, 30 rue Gay-Lussac, 75005)
Malheureusement les Québécoises et Québécois devront, eux, attendre vers le 15 décembre pour goûter l’ouvrage au Québec même. Avec leurs élections (le 8 décembre), ce mois de décembre sera inoubliable !
Dernière minute : l’Académie Nobel vient de s’apercevoir que sa banque a fait faillite et que ses caisses sont vides. Elle s’est donc tournée vers le politique pour assurer la relance.
Le politique ne s’est pas dérobé et nous avons le grand plaisir d’annoncer à l’heureux auteur qu’il recevra, à la place de son chèque, le dernier disque de Carla, cadeau personnel du Président, et un bulletin de vote pour le 20 novembre, adressé gracieusement par le PS.
Maintenant, parlons un peu du livre :
D’abord voici la page 4 de la Couverture :
On oppose souvent «laïcité française » et « multiculturalisme anglo-saxon ». Or le Québec, nation francophone en Amérique du Nord, est en train de construire une laïcité interculturelle, capable d’édifier un vivre-ensemble laïque tenant compte du caractère pluriculturel de nos sociétés démocratiques modernes.
Sa construction ne s’effectue pas sans tensions ni tâtonnements. De 2006 à 2008, de vifs débats et des « affaires » ont porté sur l’égalité des sexes, le rapport à l’identité et à la « communauté politique », le rôle des médias, la forme que doivent prendre l’interculturalisme et la laïcité.
La passionnante enquête sociologique de Jean Baubérot nous retrace, avec rigueur toujours et humour parfois, les diverses positions en présence et le déroulement de cette crise. Sa conclusion, effectuée par une Commission présidée par l’historien Gérard Bouchard et le philosophe Charles Taylor, montre que la « Belle Province » nous trace des voies d’avenir.
Commentaire de cette page 4 de couverture:
Plus qu’une enquête stricto sensu (je ne vivais pas au Québec, j’étais à 5000 km de ma base ; j’y suis allé à 7 reprises, dont 3 fois également dans d’autres provinces canadiennes et j’ai pu effectuer des comparaisons), il s’agit d’un reportage sociologique.
J’ai interrogé une bonne centaine de personne (entretiens formels ou conversations spontanées), à peu près moitié - moitié entre Québécois « pur laine » (selon l’expression consacrée) et migrants de diverses origines dont des entretiens avec une vingtaines de femmes musulmanes, car elles ont été beaucoup sur la sellette. Et j’ai suivi de prés différents événements.
Après un petit prélude et un glossaire permettant de se familiariser avec certains aspects de la réalité québécoise, l’ouvrage comporte trois parties.
La première partie s’intitule : « L’histoire d’un emballement » et retrace, un peu à la manière d’un roman policier, ce que l’on a appelé la « crise des accommodements raisonnables ». L’accommodement raisonnable étant un instrument clef de la laïcité interculturelle québécoise.
La seconde partie porte sur « Les enjeux du débat québécois ». D’abord l’égalité femme-homme (chapitre : « Du féminisme pur laine au féminisme musulman » ; ensuite sur « les médias manipulateurs…ou manipulés ».
Le 3ème chapitre examine comment on est passé du Canada français au Québec et le désenchantement actuel par rapport aux rêves d’indépendance. Enfin un chapitre porte sur la notion d’interculturalisme, les activités concrètes interculturelles et un autre sur la laïcité québécoise, qui comporte des traits originaux, et ses accommodements concrets.
La dite « crise des accommodements raisonnables » a abouti à la nomination d’une Commission (la Commission Bouchard-Taylor) qui a travaillé pendant plus d’un an et a remis un substantiel rapport en mai dernier.
La dernière partie, « Vers une laïcité interculturelle », parle de la publication du rapport (qui a donné lieu à divers incidents qui, malgré eux, en confirmaient les analyses), de son contenu, compare le fonctionnement de la Commission québécoise avec celui de la Commission Stasi, et analyse la « laïcité interculturelle québécoise au péril d’une double religion civile », une « républicaine » et une « patrimoniale ».
Je reprends la question de l’égalité des sexes comme analyseur de différence entre cette religion civile républicaines et la laïcité (là, Québec et France sont proches) et le débat sur la présence du crucifix à l’Assemblée nationale québécoise (et là, le Québec s’avère différent, mais les propos de Sarko sur les « racines chrétiennes » à « valoriser » vont dans un sens analogue) comme analyseur de la religion civile patrimoniale.
Bien sûr, l’ensemble du livre donne des éléments sur ce thème (religion civile et laïcité interculturelle) et c’est là-dessus que je voudrais parler maintenant. Je le ferai de façon plus théorique que dans l’ouvrage lui-même (où l’aspect reportage est toujours présent). J’explique tout de suite pourquoi.
En effet, dans son dernier livre, Jean-Paul Willaime critique longuement et amicalement plusieurs de mes thèses sur la laïcité. Je ne vais pas discuter de nos divergences à propos de Nicolas Sarkozy. J’ai assez parlé de lui dans ce blog et mon livre précédent.
J’indiquerai juste ce qui me semble être au fondement du désaccord. Willaime lui-même conteste plusieurs propos du président, et notamment l’expression de « laïcité positive ». Seulement, il fait comme s’il était possible d’enlever certaines phrases sans que la logique des discours sarkoziens soit modifiée. Je pense avoir montré qu’il y existe, au contraire, une forte cohérence interne dans la vision présidentielle des rapports entre politique et religion.[1]
Je vais donc m’attacher à l’autre débat, aux enjeux très concrets : peut-on distinguer, voire opposer laïcité et religion civile ? Cette question semble abstraite or elle est fondamentale. Et, écrit, naturellement, avant d’avoir lu le propos de Willaime, mon livre sur le Québec y répond de façon anticipée.
Je tente de montrer, en effet, qu’au Québec (comme en France, d’ailleurs) les deux types de religions civiles, dont nous venons de parler, tentent d’aller à l’encontre de cette laïcité interculturelle qui permet le vivre ensemble d’une nation de 7 millions d’habitants, accueillant 42000 migrants chaque année (et souhaitant passer à 50000).
Voyons de plus prés le problème. Les sociétés sont des constructions historiques soumises au changement social. Pour Willaime, la religion civile est un moyen de lutter contre leurs aspects « révisables et précaires ». La religion civile est, rappelle-t-il, un « système de croyances et de rite » par lequel une société « magnifie son unité (…) sacralise son être ensemble et entretient une piété à l’égard d’elle-même. »
Il s’agit, précise mon collègue-ami, « d’une forme non religieuse de sacré, même si des traditions religieuses peuvent nourrir ce sacré politique qui exprime un sentiment collectif d’unité» : « la société produit la croyance en elle-même et la ritualisation de cette croyance. »
A cette vision commune des sociologues, Willaime ajoute la distinction entre deux aspects de la religion civile, très prégnant en France : « une religion civique » qui sacralise « l’unité de la collectivité politique » (la France « fille aînée de la République ») et une « common religion » (ou « religion commune ») largement implicite, forgée par « l’ensemble diffus des croyances (et) représentations » présents dans l’univers social (la France « fille aînée de l’Eglise, et une culture catholique diffuse imprègne les mentalités, même sécularisées).
Notre accord est complet sur cette description de la religion civile. Le Québec est un bon exemple pour l’étudier. Il apparaît proche de la France et par son enracinement catholique et par le fait que la Révolution tranquille québécoise (1960-1965) et ses suites (les deux referendums sur la « souveraineté ») ont placé au cœur du débat politique l’idée d’un Québec républicain et souverain.
Le débat porte sur les conséquences à tirer de ces constats. Selon Willaime, je commets une triple erreur :
- ne pas prendre l’expression de « religion civile » comme un concept qui rend compte de réalités présentes dans toute société ;
- me référer au philosophe J.-J. Rousseau (auteur de l’expression) et non au sociologue R. Bellah qui l’a reprise ;
- croire en conséquence que l’on peut opposer laïcité et religion civile, comme si une société laïque ne comportait pas de religion civile.
Certes toute société comporte des éléments de religion civile mais, à un niveau conceptuel précisément, on peut séparer deux notions, celle de religion civile et celle de laïcité. La notion de laïcité interculturelle québécoise en est un très bon exemple.
Par la pratique des accommodements raisonnables accordés à des minoritaires qui subiraient des discriminations indirectes à cause de lois et de règles uniformes, la laïcité interculturelle, entre en tension avec la religion civile, va contre la sacralisation de l’unité sociale, typique de la religion civile. Car cette sacralisation, Willaime lui-même le souligne lutte contre l’aspect « précaire » et révisable » de la société.
Ce n’est donc pas la société québécoise dans son devenir, telle qu’elle se construit aujourd’hui à partir de ses caractéristiques pluriculturelles, qui est l’objet de la « piété » et des « croyances » liées à la religion civile, mais un certain état de cette société. Il s’agit, dit Willaime, parloant de la religion civile, « de faire mémoire », du « culte de l’origine ».
Ces reconstructions symboliques sacralisentdonc des temps fondateurs et le paradoxe, au Québec comme en France, c’est qu’alternativement certains sacralisent deux visions conflictuelles de la nation, oubliant tout esprit critique : le Québec des temps anciens, la fondation du Québec moderne, c'est à dire la « common religion » et la religion civique..
Avec la défense communionnelle (vote unanime des députés) du crucifix, mis en 1936 à l’Assemblée Nationale, c’est le Québec catholique, la période habituellement qualifié de « Grande Noirceur » (à cause, précisément, de l’influence dominatrice qu’avait le catholicisme !) que l’on magnifie.
Avec la transformation de « valeurs républicaines » en « dogmes » (au sens de J.-J. Rousseau), c’est la Révolution tranquille et ses suites que l’on mythifie, alors même que cela ne correspond plus à la réalité présente québécoise.
Ainsi, une des croyances les plus unanimes de la religion civile républicaine québécoise (« religion civique ») consiste à prétendre qu’avant le Révolution Tranquille, les curés obligeaient les femmes à avoir 10 enfants.
Or cette croyance est fausse : des historiennes féministes ont démontré que la moyenne d’enfants par femme était alors de 3 ! Pourquoi alors une telle croyance persiste? Elle permet tout à la fois de noircir la religion (prétendre que les accommodements raisonnables feraient retourner à la période de la « Grande Noirceur ») et de refouler le problème actuel de la dénatalité : 1,3 enfant par femme.
Cela induit la nécessité d’augmenter l’immigration, ce qui change profondément la société québécoise et contribue à rendre peu crédible le rêve d’indépendance, auquel, par ailleurs, la jeune génération est moins attachée.
Et, bien sûr, dés que l’on célèbre, non plus la religion civique mais la « common religion », la religion civile patrimoniale, la diabolisation des curés se change alors en exaltation de leur rôle, comme je le montre dans mon livre. C’est le rôle du catholicisme dans la survie des Canadiens français qui est magnifiée.
Ma thèse est alors la suivante : la laïcité interculturelle québécoise, qui se projette, elle, dans l’avenir, tente de céder ni à la stigmatisation ni à l’idéalisation des religions en se montrant raisonnablement accommodante avec elles. Elle entre donc en tension avec la sacralisation sociale de la religion civile.
Je prends comme analyseur la façon différente de se représenter l’égalité des sexes ( en gros, c’est une valeur publique pour la laïcité interculturelle, un dogme qui impose autoritairement une interprétation tronquée pour la religion civile républicaine)
On prouve le mouvement en marchant. Ce dossier québécois, proche et différent du dossier français, montre que laïcité et religion civile (tout comme mémoire sacralisante et histoire laïcisante) peuvent être distinguées même si elles sont mêlées dans la réalité empirique et que cette distinction permet de voir des choses intéressantes.
Et le fait que dans toute société, il y ait des éléments de religion civile n’empêche pas d’analyser les choses de façon critique et de se demander : aboutit-on (ou non) à une véritable religion civile structurée ?
Dans le cas québécois, le fonctionnement social de la laïcité interculturelle et l’existence d’un conflit virtuel entre religion civique et « common religion » relativisent la constitution de véritables systèmes de religion civile, mais des éléments apparaissent dans le débat social et politique.
Et dans la crise des accommodements, on a vu parfois les deux optiques de religion civile se mêler chez certains, car elles peuvent se renforcer l’une l’autre pour résister aux changements induits par la laïcité interculturelle.
Cela comporte certaines analogies (l’analogie étant la ressemblance ET la différence) avec l’histoire de la France : les 2 France, représentaient deux sortes de religions civiles, la commune et la civique. Mais leur conflit même, au XIXe, a empêché une religion civile de s’imposer de façon consensuelle et stable. Et, la loi de 1905 a tourné le dos à l’optique de la religion civile (Willaime me reproche d’écrire cela, pourtant je persiste et signe).
Mais nous avons vu à l’œuvre aussi un rapprochement où la laïcité devenait une religion civile commune aux deux France, contre les migrants, les nouveaux Français. Car si on sacralise un certain état de la société, c’est une manière de demander à ceux qui sont porteurs de changement social, de ne pas faire bouger un poil la société…Et de les stigmatiser car, quoiqu’ils fassent, c’est naturellement impossible.
J’ai donc une visée fondamentalement sociologique, socio-historique, même si, effectivement, je ne dédaigne pas de me référer à Rousseau. Mais pourquoi serait-ce interdit ? Rousseau mêle le constat sociologique et la normativité philosophique. Je dénormatise Rousseau, en reprenant à mon compte son constat.
Quant à Bellah, je m’appuie beaucoup plus sur lui que mon collègue et ami ne le pense. Nous aurons l’occasion d’en reparler. En effet, Obama n’est pas en dehors de la religion civile américaine qu’a étudié Bellah. Et donc, cela vaut le coup d’examiner cela d’un peu plus près.
Châo les Zamis. Bons baisers et à bientôt.
[1] Cf. J.-P. Willaime, Le retour du religieux dans la sphère publique, Vers une laïcité de reconnaissance et de dialogue, éd. Olivétan
16:24 Publié dans MONDE ET LAÏCITE | Lien permanent | Commentaires (4)