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09/11/2008

OBAMA ET LA LAÏCITE

J’étais à Rome quand Obama a emporté l’élection américaine, pour présenter l’édition italienne de mon ouvrage sur Les Laïcités dans le monde (Le tante laicita nel mondo. Per una geopolitica della laicita[1]). Pas moins de six intellectuels italiens ont chanté les louanges de l’ouvrage, si bien que je n’avais plus grand-chose à en dire (sauf à le critiquer !), alors j’ai indiqué pourquoi, à mon sens, la victoire d’Obama est un grand jour pour la laïcité.

Complètement obsédé, le Baubérot allez-vous dire : il ramène tout (sans parler du reste) à la laïcité. En plus, il nous avait annoncé, il y a quinze jours, qu’il était pour Obama, mais sans céder à l’Obamania. Alors ?

Attendez un peu avant de me flinguer comme un malpropre. D’abord, je ne retire rien de ce que j’ai écrit alors. Une chose est de triompher, l’autre de gouverner. Et là, ce n’est pas encore gagné, surtout dans la situation style « kollossale katastrophe », dont hérite le futur président.

Les résultats seront forcément ambivalents. On peut espérer une sorte de Lula nord-américain. Après ce que nous a infligé Bush, ce serait déjà beaucoup.

Mais « à chaque jour suffit sa peine », comme l’affirmait ma grand-mère, paysanne fort sensée au demeurant. Un responsable d'un mouvement laïque italien m'a dit: "réjouissons nous pendant une semaine... et après, redevenons réalistes". La semaine n'est pas encore écouléee. Et j’ai trois excellentes raisons d’affirmer que cette victoire est réjouissante du point de vue de la laïcité.

 

La première raison est conjoncturelle, mais elle n’est pas négligeable pour autant. Il s’agit d’une lourde défaite pour l’alliance des néo-conservateurs et de la partie fondamentaliste et conservatrice des évangéliques. Les néo-cons, pour la plupart, proviennent de la gauche. Les fondamentalistes conservateurs ont oublié qu’originellement les évangéliques ont lutté contre la société de chrétienté, pour un christianisme choix personnel. Bref, les deux se sont reniés et ont voulu restaurer un ordre moral.

La promotion de Sarah Pallin a fait croire à leurs stratèges qu’ils allaient récupérer a la fois des évangéliques et des femmes. Cela a fait plof, plof, plof!. Si les hommes se sont partagés également entre les 2 candidats, les femmes ont assuré la victoire d'Obama. Par ailleurs, de « très nombreux évangéliques ont voté pour Obama » malgré le fait qu’il ait « par le passé soutenu l’avortement et le mariage homosexuel » (Réforme, 6-12 nov.)

Par ailleurs, dans les trois Etats où des référendums ont été organisés, les électeurs ont rejeté des propositions de loi anti-avortement.

Raison conjoncturelle, donc. Mais importante sur le plan politique comme sur le plan juridique. La Cour suprême est la garante de la laïcité à l’américaine. Une victoire républicaine l’aurait faite basculer. Le danger semble écarté.

 

La seconde raison est que si tout le monde a souligné la portée symbolique de la victoire d’Obama, il me semble que la réflexion sur ce symbolique est restée, en général, un peu courte. Il faut creuser un peu plus profond et montrer la dimension parareligieuse de ce symbolique là.

La profonde résonance de cette victoire, les larmes de joies d’Afro-américains, mais aussi de Noirs et Métis d’autres pays, montre l’aspect véritablement transgressif de cette élection. Le pouvoir blanc, au plus haut niveau, à l’échelle de l’Amérique, comme Etat, mais aussi comme symbole le la puissance qui reste la plus puissante au monde (« Obama, au sommet du monde » titre Paris-Match), comportait un certain caractère sacré.

Le sacré social en la matière, la structure symbolique oh combien puissante, c’est ce « mur de verre », cet obstacle immatériel, invisible mais socialement très prégnant. Toutes les questions que l’on s’est (à juste titre) posé ces dernières semaines pour savoir s’il n’existait pas un réel risque que les sondages se trompent lourdement, parce qu’ils ne pouvaient pas prendre en compte ce facteur immatériel, le montre.

D’ailleurs Obama l’a bien compris et ce n’est nullement un hasard s’il a prononcé son discours sur les « peuples du monde » à Berlin : la ville longtemps séparée par un mur matériel était le lieu symbolique par excellence pour insister sur la nécessité de mettre à bas des murs immatériels.

Obama, par son « charisme » (terme significatif), et poussé par une situation porteuse, a réussi à faire opérer une transgression. Plusieurs commentateurs noirs l’ont affirmé : « on ne croyait pas que c’était pensable ». Et les journalistes ont noté, qu’à Harlem ou ailleurs, à l’annonce des résultats, bien des gens se sont demandés si c’était bien vrai.

Car cette transgression apparaît, pour des dizaines de millions d’être humains, comme la fin d’une sorte de ‘malédiction’. La malédiction d’avoir la peau noire. Cela aussi appartient à du sacré social.

Beaucoup avait déjà été fait avant. Il reste encore beaucoup à faire. Mais cette transgression, ce changement concernant le poste le plus prestigieux, apparaît un élément décisif dans la levée de cette malédiction symbolique qui pèse, depuis la réduction en esclavage de cohorte d’être humains, simplement pour une question de couleur de leur peau.

Et s’ils se sentent aujourd’hui un peu plus libres et égaux, alors nous aussi nous, les gens de couleur pâle, le sommes également. Car le schème sacral de la supériorité de « l’homme blanc » est tout autant une malédiction pesante et qui aliène notre rapport à l’autre.

 

Car, troisième raison, le discours et le parcours jusqu’à présent exemplaire de Barak Obama montre que, loin de s’opposer, universalisme et diversité sont à conjuguer ensemble. Son discours le plus significatif  est peut être celui où, politiquement déstabilisé par des propos virulents du pasteur Jeremiah Wright, un de ses proches, sur les discriminations envers les Noirs, il s’en dissocie sans (dit-il explicitement) « renier » son ami.

Il s’en dissocie, dépassant le ressentiment communautaire par une perspective universaliste, par la projection dans un avenir commun où il faudra, ensemble, affronter d’immenses « problèmes qui ne sont ni blancs, ni noirs, ni latinos ni asiatiques ». Et toute sa campagne a mis en avant une optique réconciliatrice, proposant un projet commun, au delà des couleurs de peau (du pâle au noir en passant par le jaune, le basané, etc), des convictions religieuses, des options politiques elles mêmes.

Mais pour autant, l’horizon d’universalité d’Obama n’a pas les aveuglement de l’universalisme abstrait, et il est remarquable qu’Obama ait pris le risque de se voir reprocher de ne pas désavouer totalement Wright, préférant expliquer les bonnes raisons de la rancœur du pasteur.

L’universalisme ne peut pas être un en soi, un préalable, un déjà là, sans être un universalisme tronqué, et donc fondamentalement trompeur. Faulkner est convoqué, qui a écrit : « le passé n’est ni mort ni enterré. En fait, il n’est même pas passé ». Et ce passé toujours présent nous fait différents, une différence qui a besoin d’être reconnue, assumée, comprise.

L’universalisme ne peut être qu’une visée, qu’un DEPASSEMENT. Le dépassement du ressentiment du côté des dominés, le dépassement de la peur du côté des dominateurs. Et Obama d’indiquer que sa grand-mère blanche (celle qu’ensuite, il ira voir, interrompant sa campagne, peu avant qu’elle meurt) avait peur en croisant un Noir dans la rue.

 

Mais pour proposer d’une façon porteuse d’espérance, ce projet commun, il fallait sans doute avoir un parcours hors du commun. Et si Obama peut, mieux que d’autres, viser l’universel, c’est sans doute parce qu’il a lui-même partagé la condition dominée du minoritaire. Même le racisme officiellement aboli et combattu, il en a reçu les « affronts mesquins » : des agents de sécurité qui le suivent dans des Centres commerciaux, des Blancs qu lui donnent leur clef de voiture le prenant pour un voiturier, etc.

Jamais l’universel ne l’est autant que lorsqu’il émane d’un minoritaire. Sinon, il risque toujours d’être, en serait-ce qu’à son insu, excluant. Il comportera toujours une ambiguïté.

Clinton avait été qualifié de « premier président noir » à cause de la manière dont il été naturellement complètement à l’aise au milieu d’eux. Quand sa femme a été déstabilisée, aux primaires démocrates, il a attaqué Obama, prétendant que celui-ci avait de bons résultats parce que ‘il était noir.

Eh oui, avoir de la sympathie pour des gens est une chose, accepter qu’ils vous concurrencent en est une autre. Cela s’est vérifié bien des fois, notamment quand les femmes ont commencé à obtenir des emplois jusque là « masculins » (médecin entre autres).

 

Et ce n’était qu’un début : la campagne républicaine n’a pas été honorable. Mais ce qui est étonnant, c’est la façon dont le « mur de verre » s’est avéré un boomerang : les accusations perfides n’ont pas réussi à atteindre Obama, comme si elles échouaient sur un mur de verre symbolique, qu’elles n’arrivaient pas à franchir.

Et maintenant, un mur de verre matériel, empiriquement réel celui là, a du être mis en place, lors de la proclamation des résultats, pour protéger le futur président face à tout risque d’attentat. Effectivement, chacun espère qu’il dispose d’excellents services de sécurité et que ceux-ci se montreront efficaces.

Mais il faut aussi espérer qu’un mur de verre ne sépare pas désormais Obama de ceux qui l’ont élu, qu’il continuera à être en phase avec eux, malgré l’extrême difficulté de la politique à mener durant les 4 ans de son (premier ?) mandat.

 

Universalisme non tronqué car façonné par la diversité, le pluriculturel donc. L’universalisme suppose l’affirmativ action. Laurent Joffrin le reconnaît dans Libération (7 nov.) : « Le refus de toute action volontaires au nom de l’égalité républicaine que nous avons longtemps partagé, apparaît pour ce qu’il est : le paravent bien pensant du conservatisme. (…)Sans volonté pratique et affrmée, l’universalisme restera       un mot vide de sens».

Et universalisme et diversité se conjuguent grâce à un troisième terme : l’individualité. Obama a un itinéraire atypique qui fait que sa personnalité est la résultante de plusieurs histoires, de différentes identités.

Il est « Noir » parce qu’il faut bien un classement. En fait, il est métis, « post-racial ». Il est de plusieurs pays, de plusieurs communautés. En lui se croisent divers mondes. Et il en a fait une synthèse originale.

Obama se défini lui-même comme « hérétique » : « En politique, comme en religion, le pouvoir réside dans la certitude » analyse-t-il, et il poursuit. « C’est là que j’ai réalisé que j’étais un hérétique. Ou pire, car même un hérétique doit croire en quelque chose, ne serait-ce qu’en l’authenticité de ses propres doutes. » (Le Monde, 6 nov.)

On lui souhaite de rester, le plus longtemps possible, « un hérétique. Ou pire. »

 

 

PS: En fait, c'est toute l'Amérique du Nord qui donne une leçon à la vieille Europe, car le Canada a précédé les USA et la Gouverneure du Canada (qui représente la reine) est Michaëlle Jean, une Québécoise descendante d'esclaves noirs de Saint-Domingue, née en Haïti et qui, dixit Le Monde 2 (3 mai 2008) allie (comme Obama pourrait-on ajouter maintenant) "l'intelligence à la beauté"

 

 

 

 

 



[1] Luiss University Press. 12 €.