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14/07/2008

CONSEIL D'ETAT ET REFUS DE NATIONALITE

Les purs et la « soumise » 

Ou :

Ce que c’est que la France toute cathodique sous le règne du dit Conseil[1].

Je discutais un jour avec un copain imam, et il me parlait de «l’association NPNS» et je ne comprenais pas de quoi il s’agissait. Il Me dit alors : « Vous savez bien, cette association... je n’ai pas envie de dire son nom en entier, car il comporte un gros mot. » Comprenant enfin, je lui ai dit : « Ah oui, je vois, et le gros mot c’est ‘soumise’ ! » Il a souri et a ajouté : « disons alors, que cette appellation comporte deux gros mots. »

Cette anecdote m’est revenue en mémoire en lisant dans Le Monde du 12 juillet l’arrêt du Conseil d’Etat refusant la nationalité française à une femme marocaine au motif qu’elle aurait « adopté, au nom d’une pratique radicale de sa religion, un comportement en société incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française et notamment le principe de l’égalité des sexes»

Le Conseil d’Etat est composé de membres qui savent le droit. En utilisant l’expression de « comportement en société », ils ne peuvent être accusés d’atteinte à la liberté de conscience.

Mais, au delà de l’utilisation de termes juridiquement corrects, le rapport de la Commissaire du gouvernement s’appuie en fait sur des déclarations considérées comme « révélatrices de l’absence d’adhésion à certaines valeurs fondamentales de la société française ».

Des déclarations ne constituent pas un comportement public. Il est donc significatif qu’elles soient cependant mentionnées pour argumenter. Double langage sur lequel nous reviendrons. Ce qui a trait au comportement, en revanche, est le port de la burqa par cette dame marocaine.

Ne nous comptons pas d’histoire : la burqa et le foulard, cela fait deux. La burqa rend, effectivement, difficile une vie sociale « normale ».

Bien sûr, en situation de non responsabilité, on peut toujours prétendre que la burqa ne pose aucun problème. Mais quand on est responsable d’une institution et qu’il s’avère nécessaire d’identifier les gens, comment faire, s’ils sont, non seulement habillés de pied en cap, mais ont le visage couvert par une pièce de tissus, « ne laissant voir les yeux que par une fente» ?

(ce qui, à strictement parler est d'ailleur plutôt un niqab qu'une burqa stricto sensu: là il devrait avoir un grillage)

Comment identifier une électrice (par exemple), si elle vient voter en burqa ? Comment faire passer un examen scolaire ou universitaire à quelqu’un qui serait habillé avec une burqa ? Etc.

Ces exemples montrent qu’il n’est pas besoin de faire appel aux « valeurs fondamentales » ou « essentielles » pour que la burqa fasse problème, même si, effectivement, son port prive la femme qui le porte d'une part importante de sa vie sociale, et donc de sa liberté. On peut être dans le prosaïque.

Deux questions (liées entre elles) se posent alors :

 

-         quel est le statut de cette référence à des « valeurs essentielles » ?  

-         les limitations de la vie sociale et la perte de liberté engendrées par la burqa doivent-elles conduire à refuser la nationalité française à celles qui le portent ?

Les 2 questions sont d’autant plus liées que la dite personne a indiqué qu’elle a adopté ce costume « à la demande de son mari » et que, toujours d’après la Commissaire, elle vivrait « dans la soumission totale aux hommes de sa famille ».

Passons sur l’adjectif « totale » qui me semble un peu naïf : c’est pas à partir d’un discours que l’on peut en juger : il existe (heureusement!) des attitudes de ruses où on peut adopter une apparente soumission complète et, cependant, se ménager des espaces de liberté. Acceptons le diagnostic de la Commissaire et prenons comme hypothèse qu’il s’agit effectivement d’une femme soumise.

Affaire à multiples tiroirs ! Tentons d’en tirer quelques uns.

A Assise, j’ai visité une église où il y avait des carmélites dont on ne voyait rien du visage. C’était en Italie et, vraisemblablement, ces carmélites étaient Italiennes (donc citoyennes européennes). Leur refuserait-on la nationalité française si l’une d’entre elles la demandait ? N’existe-t-il pas, en France, des religieuses aussi recluses que ces carmélites ?  N’existe-t-il pas des femmes (et des hommes) ayant fait vœu perpétuel d’obéissance ?

Camarades syndiqués, je crois que nous naviguons entre DEUX BIG PERILS (tout comme l’ami Carlos parlait de « big bisoux » !).

Le premier péril, celui que j’ai vivement reproché à Mister Président (dans mon livre La laïcité expliquée à M. Sarkozy…) quand il a (au Latran) rabaissé la morale laïque, serait d’ignorer, ou même de sous-estimer qu’une société, qu’un lien social repose (aussi) sur des valeurs.

Notre Nicolas sublime a tendance à considérer la France comme une entreprise, dont il serait le PDG. C’est cela le premier péril : avoir une vue gestionnaire de notre « douce France », déléguer la proclamation des valeurs aux seules religions (et éventuellement aussi aux convictions, quand on tente de rectifier le tir).

L’interprétation optimiste de la décision du Conseil d’Etat serait de l’interpréter comme un rappel auprès de toutes les personnes tentées par la sarko-laïcité qu’on ne peut évacuer la question des valeurs fondamentales qui fondent le lien social.

Et certainement, l’égalité des sexes fait partie de ces valeurs. C’est même sans doute ce que la modernité a découvert de mieux en matière de valeurs, ou (en tout cas) parmi ce qu’elle a découvert de mieux.

Donc que la valeur d’égalité des sexes figure parmi les principes qui doivent être à la base des lois, des règles sociales, du fonctionnement de la société : OK, mille fois OK.

Que la société s’impose cette règle à elle-même chaque jour un peu plus, toujours mille fois OK.  Et il y a encore pas mal à faire à ce sujet, non ?

Mais ensuite ? Que se passe-t-il concrètement ? Les partis politiques qui ne respectent pas la règle de la parité en matière de candidature, payent une amende, ils ne sont pas interdits pour autant. Ils sont même tellement peu critiqués, que s’en est même un peu honteux.

Il faut dire d’ailleurs que la loi sur la parité est bien récente. Que la première loi qui allait dans ce sens, en 1982 (et qui aurait fait qu’elle serait mieux pratiquée aujourd’hui) avait été retoquée par le Conseil constitutionnel.

Alors, la question de l’égalité des sexes ne se posait pas en matière de citoyenneté, puisque le citoyen était censé ne pas avoir de sexe. Et donc, on pouvait discriminer en toute bonne conscience. Et on ne s’est pas dispensé de le faire. Et on le fait encore allègrement…

Par ailleurs, l’Eglise catholique n’admet pas les femmes à la prêtrise, y voit-on un « comportement en société incompatible » avec la « valeur essentielle » de « l’égalité des sexes » qui rendrait cette Eglise incompatible avec la société française ?

L’interprétation dominante de l’égalité des sexes, la rapproche beaucoup actuellement de la mixité. A tel point d’ailleurs qu’à la Commission Stasi, quelqu’un avait demandé que la dite Commission propose qu’il soit interdit aux associations loi de 1901 d’être unisexes.

Cette personne avait dans la tête une association musulmane qui m’est inconnue. Nous lui avons fait remarquer qu’avec son idée géniale, on allait interdire le Grand Orient de France et d’autres organisations de la franc-maçonnerie. Elle a aussitôt retiré sa proposition !!!

Génial en effet : ce qui apparaissait légitime quand un organisme musulman était visé, devenait absolument stupide quand il s’agissait de la maçonnerie (mais il y a un siècle, il en était tout autrement).

J’aurais aimé me trouver dans la tête de cette personne de la Commission pour savoir ce qu’elle a pensé quand elle a retiré sa proposition ?

-         « merde, je me suis plantée : la non mixité ne peut pas être toujours aussi facilement mise en équivalence avec l’égalité des sexes, comme c’est le réflexe – chien de Pavlov aujourd’hui. »

-         « merde, j’ai tendance à raisonner autrement quand je pense à l’islam et quand je pense au reste de la société française. Il faudra que je fasse gaffe désormais»

-         ou s’est-elle donné un prétexte pour ne pas se mettre un tantinet en question ?

Bref une société doit s’efforcer de vivre selon ses valeurs, « prêcher par l’exemple » comme on dit. Elle doit être capable d’argumenter à ce sujet, d’expliquer ses raisons d’adopter les dites valeurs. Elle doit chercher à les rendre attractive, elle peut tenter de convaincre.

Former aux « valeurs citoyennes » en en donnant les raisons, en les rendant compréhensibles, peut se faire pour tous, anciens comme nouveaux Français. Cela fait partie du rôle de l’école, et peut aussi constituer le noyau d’un stage de citoyenneté.

Une société peut aussi réprimer des délits qui constitueraient des atteintes actives à ses valeurs. Mais, dans le cas présent, aucun délit n’a été commis.

Mais une société ne peut, sans devenir totalitaire, imposer à ses membres, individus ou groupes d’y croire, car la croyance ne saurait être contrainte

Même totalitaire, elle n’arrivera pas à contraindre.

Le second péril consiste, en effet, à vouloir transformer les valeurs en croyance obligatoire. Péril très tentant : on est tellement convaincu de la « vérité » (même si, curieusement, ce terme est devenu tabou !) des dites valeurs qu’on risque y céder.

Mais contraindre, n’est pas convaincre et, dans ce processus, les valeurs deviennent des dogmes, ce qui les pervertit. Pour plusieurs raisons.

Pourquoi quelqu’un comme Michel Servet a été condamné à mort et par les catholiques et par les protestants, et effectivement mis à mort par ses derniers, à Genève ?[2] Parce qu’il niait le dogme de la Trinité. Or ce dogme constituait la valeur suprême sur laquelle reposait la société de chrétienté. Maintenant, il est trop facile de croire qu’il s’agissait d’intolérance, alors qu’il s’agissait d’imposer comme croyance obligatoire une valeur fondatrice du lien social.

Dans une société démocratique, on ne met plus à mort pour cela, certes. Mais de façon très euphémisée, on se situe dans une logique analogue avec la décision du Conseil d’Etat.

Instaurer des croyances obligatoires pour être citoyen, c’est générer de l’hypocrisie, du double jeu, des gens qui feront semblant d’y croire, et les mettre dans une situation où ils ne pourront jamais être convaincus, puisque leur problème sera de faire semblant.

Dire, comme la Commissaire, que les déclarations de cette dame sont « révélatrices de l’absence d’adhésion à certaines valeurs fondamentales de la société française », c’est pousser désormais celles et ceux qui voudront acquérir la nationalité française, à faire semblant d’adhérer à de telles valeurs.[3]

Ainsi dans la société de chrétienté, des juifs ont fait semblant d’être chrétiens, dans la France de Louis XIV, des protestants ont fait semblant d’être catholiques.

Et la logique a conduit à fouiner dans leur vie pour savoir s’ils étaient bien devenus chrétiens ou cathos, s’ils ne pratiquaient pas leurs anciennes croyances en secret.

Or (c’est remarquable !), la logique analogue du Conseil d’Etat, conduit au même risque de totalitarisme, car le voilà pris en flagrant délit de fouiller dans la vie privée des gens et de vouloir attribuer la citoyenneté suivant cette vie privée.

Car figurez vous que la dame marocaine a failli devenir française : si elle a eu, en effet, une mauvaise note avec ses déclarations, et a obtenu huit bons points (à dix, cela lui aurait donné droit à une image) parce que, « durant ses grossesses, elle a été suivie par un gynécologue homme. »

Quand j’ai lu cela, j’ai éclaté de rire. D’abord sur la supernaïveté de la Commissaire. Aller, faisons la réponse du berger à sa bergère et soyons aussi sommaire (adepte du premier degré) que la dite Commissaire. Cela donnerait : « M’enfin, bien sûr qu’elle s’est laissée examiner par un médecin homme, puisqu’elle est soumise aux hommes.» 

Quand on connaît un peu l’histoire de la médecine et les arguments qui ont été employés, des décennies durant, dans la France « des valeurs de 1789 » pour refuser, aussi longtemps que cela a été possible, la profession médicale aux femmes, c’est vraiment drôle, cette capacité à fabriquer ainsi des arguments ad hoc, à effectuer des renversements complet d’argumentation !

Mme la Commissaire, refuseriez vous la nationalité française aux hommes qui n’ont pas d’urologue femme ? Je tremble : ma généraliste est une femme, mon urologue est un homme : suis-je bien conseild’étatcorrect ? Suis-je un bon Français, en ce jour de 14 juillet ?

Allez-vous, Messieurs et Mesdames du Conseil d’Etat, ficher les Français, après enquête publique, pour savoir devant qui ils baissent ou ne baissent pas leur culotte ? Et ceux qui ne baissent pas culotte devant un praticien du sexe opposé deviendront suspects d’ « absence d’adhésion » à la « valeur essentielle d’égalité des sexes », et  membres de l’anti France[4] !

Trêve de plaisanterie : s’il faut se dépêcher d’en rire, c’est parce que de tels propos sont vraiment inquiétants pour trois raisons :

D’abord, ils témoignent d’un « manque d’adhésion » à ce qui me semble être « une valeur essentielle » de la société française : la liberté de l’individu.  Car qu’on ne nous raconte pas de colle avec l’habituelle « situation d’urgence » : le suivi d’une grossesse n’est pas une situation d’urgence. Donc il n’y a aucune raison d’investiguer sur quel médecin choisi, quel médecin (éventuellement) refusé.

Ensuite, si on décrypte cette histoire de gynéco homme, ce que la Commissaire veut dire c’est (sans doute) que son mari a laissé cette femme consulter un gynéco homme[5], sinon on ne voit vraiment pas ce que cela vient faire.

Alors, c’est absolument génial : son mari lui laisse le choix du médecin, un bon point pour elle. Elle va l’avoir, sa nationalité. Ah non, dommage, raté de peu : son mari lui impose la burqa, donc au final; elle échoue quand même à l’exam. : cette dame est ‘évaluée’ par le dit Conseil suivant le comportement de son mari à son égard !

C’est, d’ailleurs, le constat que fait dans Le Monde, Danièle Lochak, professeur de droit public : « Ce qui est frappant, c’est que cette femme, conjointe d’un Français, est manifestement opprimée. Or c’est ce qui lui est reproché : parce qu’elle est soumise, on en déduit qu’elle n’a pas adhéré aux valeurs de la communauté française. » Et Mme Lochak de conclure : « si on poursuivait cette logique jusqu’au bout, les femmes battues, par exemple, ne seraient pas dignes d’être françaises. »

On va reprendre in fine, le problème que pose la soumission. Pour le moment, constatons que la France, par le Conseil d’Etat, pénalise cette femme à cause de l’attitude de son mari. Elle renforce ainsi cette attitude.

Enfin, le court circuit entre égalité des sexes et sexe du médecin consulté (comme dans l’exemple de la Commission Stasi où il y avait court circuit entre égalité des sexes et mixité) montre que, quand on prétend obliger les gens d’ «adhérer » à des « valeurs essentielles », que l’on transforme ainsi en croyances obligatoires, c’est toujours une certaine interprétation de ces valeurs que l’on veut imposer. La sienne, qui n’est pas forcément la plus intelligente !

Et c’est là aussi que le bas blesse : il n’existe pas de valeurs en soi ; il n’existe que des valeurs interprétées. Et c’est pour cela qu’une société démocratique est en risque de totalitarisme quand elle évacue le débat interprétatif sur les valeurs, quand elle fait comme si la représentation des valeurs était univoque.

La société, quand elle cherche à contraindre à adhérer à des valeurs, cherche en fait à rendre obligatoire l’interprétation dominante de telle ou telle valeur, faite par le groupe dominant, à un moment donnée. Interprétation dominante très souvent considérée comme fallacieuse cinquante ans ou cent ans plus tard.

L’interprétation dominante est actuellement produite et véhiculée, de façon dominante, par le moyen de la communication de masse. L’interprétation dominante c’est le médiatiquement correct. « Ce que c’est que la France toute cathodique sous le règne du Conseil d’Etat… »

Je l’ai dit : acceptons l’hypothèse que cette dame est effectivement soumise, et, comme le déclare la Commissaire, qu’elle ne met pas en cause cette soumission alors reste le problème de la soumission volontaire dans une société dont la « valeur essentielle » est la liberté de l’individu (l’égalité des sexes comme « valeur essentielle » étant, en fait, une conséquence récente de cette affirmation de la liberté de l’individu).

Dés l’accession de la liberté de l’individu comme « valeur essentielle », dés 1789, ce problème s’est posé. Fait très intéressant, il a été relié à « une pratique radicale de la religion » (motif invoqué par l’arrêt du Conseil d’Etat).

Il s’agissait alors des congrégations religieuses et de leur vœu d’obéissance. Un congréganiste pouvait-il être un citoyen à part entière ? Les vœux monastiques sont abolis par la loi en 1790et, en 1792 toutes les congrégations seront interdites.

 Elles resurgiront au XIXe et furent de nouveau vivement combattues lors de la tentative de « laïcité intégrale » de 1899 à 1904.

« Les républicains laïques développaient l’idée selon laquelle en se soumettant aux règles absolues d’obéissance à leur ordre, les [membres des] congrégations avaient abdiqué leur qualité de citoyen actif » écrit Claude Nicolet.

Et cet auteur poursuit en expliquant qu’alors était effectué une « gradation  réservant à la base une sphère de droits civils propre à tout individu et au dessus, une sphère de droits (…) civiques, impliquant l’adhésion à un consensus, [à] une ‘profession de foi’ incompatible avec certains engagements ou certaines doctrines» [6].

Deux remarques conclusives :

1) renversement complet : lors du « centenaire officiel » de la loi de 1905, l’attitude de ces « républicains laïques » a été vigoureusement dénoncée (comme le sera l’arrêt actuel du Conseil d’Etat dans un siècle).

Pourtant, ce problème de la soumission volontaire peut-être déroutant, dérangeant. Mais dans toute société, il y a toujours des gens qui vivent autrement que les autres. Sociologiquement, c’est une protestation implicite contre la tendance de toute société à se croire infaillible. Nous reviendrons sur ce problème.

 

2) si Nicolet met « profession de foi » entre guillemet, c’est qu’il s’agit d’une référence à Jean Jacques Rousseau et à sa théorie de la « religion civile ».

L’arrêt du Conseil d’Etat est un arrêt de religion civile ; c’est une décision plus religieuse que laïque. C’est la religion civile républicaine, non la laïcité.

 



[1] Tous ceux qui nous bassinent avec une sacralisation nostalgique des Lumières, qui l’en veulent les dévots, et qui pourtant ne comprendront pas l’allusion de ce sous-titre, dévoileront par la même leur ignorance crasse, et donc la manière honteuse dont ils instrumentalisent les dites Lumières au profit de leur petitesse toute rabougrie. Tous les autres sont, à l’avance, excusés : personne (même pas votre serviteur, c’est dire !!) ne sait tout.

Petit jeu de l’été : celles et ceux qui comprendront l’allusion sont priés de l’indiquer en Commentaire.

[2] Voir notamment les travaux de Valentine Zuber

[3] Quand à lier cette nationalité au port d’un vêtement, c’est dire à quelque chose de très réversible, cela me laisse fort perplexe (même si je l’ai dit, ce port peut poser problème lors du vote, mais le vote n’est pas obligatoire en France et certains citoyens ne votent jamais). On peut fort bien ne pas porter de burqa quand on demande la nationalité, et en porter une ensuite; on peut également faire l'inverse!
D'ailleurs, le port de la burqa n'a pas été suffisant puisqu'on se réfère aux déclarations de la dame.

[4]Pour reprendre l’expression utilisée pendant la guerre d’Algérie, contre les partisans de l’indépendance algérienne (tiens, ce sont eux qui ont eu raison, finalement !)

[5] Il y a un truc bizarre à ce sujet. Comme j’effectue des enquêtes sur ce qui touche à la laïcité, j’ai entendu parler du refus de médecins hommes par des femmes dites « musulmanes », bien avant que cela soit socialement connu. Mais alors les dits médecins me parlaient du refus de femmes d’être examinées par des hommes. Je n’entendais nullement, à ce moment là, parler des maris. Au moment de la Commission Stasi, ce refus s’est transformé en problème social et, là, on a fait comme si c’était toujours les maris qui refusaient que leurs femmes consultent des médecins hommes !

Je ne dis pas que cela n’est jamais le cas, mais ce n’est certainement pas non plus toujours le cas, loin de là. Ce n’est pas un hasard si la mise en avant du mari s’est produite lors de l’émergence du discours social à ce sujet : mettre en avant les maris permet d’éviter de poser le problème en terme de liberté de la femme.

[6] L’idée républicaine en France, Gallimard, 1982, 371

Commentaires

Bonjour Monsieur,
Je dois dire que j'adhère complètement à votre analyse; je suis étudiant en droit à Paris II et j'envisage de préparer une thèse sur "le couple laïcité/liberté de religion en droit comparé et droit européen"; cet arrêt aura une place substantielle dans mon exposé.
La Cour constitutionnelle turque qui se vante bien de défendre un "mode de vie laïque" est bien plus directe: le foulard n'a pas sa place dans les universités, "nids du savoir".
Et la Cour européenne (Dahlab contre Suisse) n'avait pas hésité à voir dans le voile d'une institutrice, une atteinte à l'égalité des sexes.
C'est sans doute la laïcité qui devient une religion civile.

Écrit par : sami | 14/07/2008

En réponse au "petit jeu de l'été" : il s'agit certainement d'une allusion, très opportune à mon sens, à "Ce qu'est la France toute catholique sous le règne de Louis le Grand", réfutation par Pierre Bayle d'un panégyrique de Louis XIV paru après la révocation de l'Edit de Nantes.
Cette décision du Conseil d'Etat m'a donné la nausée. J'ai guetté avec impatience votre réaction et n'ai pas été déçu : rapide et approfondie.
Cela étant, que faire? Constater la médiocrité persistante de mon beau pays m'aidera à juger les autres avec plus d'humilité, mais ce n'est pas une consolation pour cette femme. Peut-elle (ou son mari français...) faire appel devant les instances européennes? Celles-ci sont-elles plus ouvertes que les françaises? Une condamnation de la France par l'Europe, pour atteinte aux droits de l'homme - qui ne serait pas la première - pourrait peut-être faire bouger le consensus malsain sur ces questions (l'anti-islamisme au nom de la laïcité)

Écrit par : Pierre DELMAS | 15/07/2008

Excellent le « merde, j’ai tendance à raisonner autrement quand je pense à l’islam et quand je pense au reste de la société française. Il faudra que je fasse gaffe désormais »

Écrit par : hugues | 16/07/2008

En réponse à votre devinette, le titre fait référence au pamphlet célèbre de Pierre Bayle intitulé "Ce que c’est que la France toute catholique sous le règne de Louis le Grand", publié en 1686 en réaction à la révocation de l'Edit de Nantes l'année précédente (et à la mort en prison de son frère).

Excellent commentaire d'arrêt. Bravo.

Stephen Suffern

Écrit par : Stephen Suffern | 17/07/2008

Si l'on suit le raisonnement de la commissaire du gouvernement, c'est le mari qui viole les valeurs de notre République et qui, en conséquence, devrait être déchu de la nationalité française.
Car, même en admettant que la soumission soit "volontaire", rien ne l'oblige à obliger l'épouse à adopter une burqa.

Écrit par : J. F. Launay | 18/07/2008

J'ai apprécié votre analyse :je trouve aussi que les arguments du C.E ne sont pas satisfaisants.Ce qui pose problème dans ce cas ce n'est pas la pratique radicale supposée de la religion mais l'absence de visibilité des porteuses de niqab qui devrait conduire à une loi l'interdisant mais vous n'allez pas jusqu"au bout de votre logique.
Votre comparaison avec les carmélites est peu pertinente:elles ont choisi librement(?) de se retirer du monde et ne sont visibles que pour ceux qui veulent les rencontrer.

Écrit par : Marc | 19/07/2008

Pour abonder dans le sens de ce très bon post, cf. l'interview de Faiza Silmi, la dame en question, parue ce jour dans le New York Times, et réalisé par Katrin Bennhold: http://www.nytimes.com/2008/07/19/world/europe/19france.html?hp
Elle corrige pas mal d'infos erronées, et montre que c'est bien un choix délibérée, l'exercice d'une liberté religieuse, pas le fruit d'une soumission "totale"... ni même relative, en fait.

En même temps, si je suis d'accord avec l'essentiel du post et trouve la décision du CE critiquable à bien des égards, je ne peux m'empêcher de penser que les critères qui s'appliquent à une demande d'acquisition de la nationalité ne doivent pas forcément être identiques à ceux qui s'appliquent aux citoyens.
Lorsqu'on aspire à faire partie de la nation, il ne me paraît pas absurde, à ce moment M, de s'assurer que l'impétrant ratifie ce "plébsicite de tous les jours" qui fonde la nation. On est une nation "idéelle" et non pas ethno-culturelle, il me semble donc légitime de faire le point sur les principes et les idéaux qui inspirent ce pays --et, oui, qui ont assurément évolué avec le temps et ne sont pas toujours respectés (c'est le propre des principes et des idéaux).
Pour prendre des cas extrêmes, on ne va pas donner la nationalité française à un Nazi non repenti, à quelqu'un qui défend et pratique l'excision, ou à un Mormon qui défend et pratique la polygamie (ça y est, je fais du racisme anti-secte maintenant).
Bien sûr, dès qu'on s'aventure dans ce domaine, il y a 1) le risque de "police de la pensée" que vous pointez, et 2) le pb de définition nécessairement étroite de ce qui fait partie des principes républicains, lesquels doivent pouvoir s'appuyer sur des lois (d'autres pays se sont essayés à définir des "valeurs allemandes" ou des "valeurs hollandaises" au sens large et se sont empêtrés...).
Mais imaginons qu'un(e) postulant(e) élève ses enfants de façon discriminatoire entre les garçons et les filles, empêchant celles-ci de sortir seules par exemple. Si cette personne est citoyenne française, elle ne serait sans doute pas inquiétée. Mais si elle ne l'est pas et demande la nationalité, n'a-t-on pas -- à ce moment précis -- un cas (établi, celui-là) de refus de l'égalité entre les sexes, qui justifierait un refus? Autre exemple, doit-on accorder la citoyenneté à ceux qui font le choix de l'aliénation de leur qualité de citoyen, le choix de la servitude volontaire, les Carmélites par exemple? Il n'est évidemment pas question de les déchoir de leur citoyenneté si elles l'ont (le pb est tranché depuis lgtps), mais leur accorder?
Je remarque que dans bcp de pays, on demande plus au postulants qu'on ne demande aux nationaux (aux USA par exemple, le "citizenship test" en histoire & institutions, auxquels bcp d'Américains échoueraient). Ca ne veut pas dire qu'il faille sonder les esprits et les coeurs, mais qu'un degré d'exigence un peu plus élevé à ce moment n'est pas forcément absurde.

Venons-en au vrai scandale: pourquoi aucun de vos ouvrages n'est disponible en anglais, notamment ceux "de base"?

Écrit par : Justin | 19/07/2008

Comme contribution au débat, je joins ici le compte rendu du CCIF (Collectif contre l'islamophobie en France) préparé suite à un entretien avec la femme marocaine concernée et son époux :

Arrêt du Conseil d’Etat concernant le refus d’octroi de la nationalité :
Entretien du CCIF avec les membres de la famille.

Après que le Conseil d’Etat ait décidé à travers son arrêt en date du 27 juin
2008 de confirmer la décision du ministère des affaires sociales de refuser la
nationalité française à l’épouse d’un ressortissant français au motif « d’une
pratique radicale de sa religion », le CCIF a souhaité en savoir plus sur cette
affaire en prenant contact avec la famille. Le CCIF n’a pas pour vocation de
faire l’apologie d’une tenue ni de la dénigrer d’ailleurs. Il s’inscrit
uniquement sur le plan du droit et des libertés.

En l’espèce, il s’agissait de comprendre quelles informations ont été retenues
par le Conseil d’Etat pour motiver sa décision.

Nous nous sommes rendus au domicile de la famille. Nous avons tout de suite été
touchés par l’accueil, la gentillesse, la générosité, la modestie et la
simplicité de chacun. La discussion était intéressante, diverse voir
contradictoire dans le respect des opinions de chacun.

La première question qui nous venait à l’esprit était de savoir les raisons pour
lesquelles ils ne voulaient pas rencontrer les journalistes ? Cela aurait pu
constituer une opportunité pour s’exprimer devant l’opinion publique. Ils en
reçurent certains nous précisent ils mais ils ne voulaient pas accorder leur
confiance à d’autres parce qu’ils « déforment les propos et nous n’avons aucune
possibilité de vérifier ce qui va être dit sur notre compte par la suite».

Trois heures de discussion ne nous ont pas permis de déplorer des propos ou des
attitudes que l’on pouvait qualifié objectivement de radicales. Nous avons
alors demandé ce qui avait pu selon eux motiver la décision du Conseil d’Etat.
La réponse ne semblait souffrir d’aucun doute. Les conclusions des rapports de
polices et sociaux indiquent que le comportement en société de madame est
considéré comme incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté
française.

Madame F. s’exprime très bien en français. Elle est mariée à un français. Elle
vit depuis huit ans en France et elle n’a pas revu son pays d’origine depuis
six ans. « J’aime ce pays » dit-elle. On peut le croire aisément puisqu’elle a
fait le choix de venir y vivre. Elle y a d’ailleurs toutes ses attaches. Ses
parents vivent également en France depuis trente six ans et ses frères et sœurs
ont eux-mêmes la nationalité française. Cette situation permettrait presque à
elle seule de comprendre qu’elle veuille rejoindre le destin commun d’une
famille qui a choisi de faire de la France son pays d’adoption et de cœur.

Elle portait le voile avant de se marier et de venir en France contrairement à
ce qui a été dit et surtout souligné dans le rapport d’enquête. L’apprentissage
en commun de la religion musulmane l’a amené ainsi que son mari à plus
d’orthodoxie dans leur pratique personnelle mais cela n’a eu aucune incidence
dans leurs rapports avec les autres. Nous avons dit orthodoxie et pas
radicalité car ce dernier suppose que cette femme vit recluse, sans contacts
extérieurs. C’est d’ailleurs ce que le rapport de la Direction Départementale
des Affaires Sanitaire et Sociale (DDASS) avance.

La tenue : élément central d’appréciation

Madame F porte désormais le niqab et non pas la burqa comme l’affirme la DDASS.
Mais cette dernière ne pouvait pas le savoir étant donné que l’entretien que
ses agents ont eu avec Madame F s’est déroulé à son domicile et qu’elle était
alors « habillée à l’européenne » (sic). Elle leur a surement expliqué comment
elle s’habillait à l’extérieur mais ils ont imaginé un « visage grillagé »
(sic). Leur imagination les a-t-elle mené consciemment ou non à faire un lien
avec les femmes d’Afghanistan que l’on voit dans les médias ? La responsable du
bureau de la nationalité qui rencontre Madame F dans son bureau ne fait pas
cette erreur et ne relève donc pas ce « grillage ». Mais elle décrit avec
minutie (longueur, couleur etc) la tenue avec laquelle Madame F s’est
présentée. L’importance qui est donnée dans les différents rapports à la tenue
vestimentaire non seulement de Madame mais également de Monsieur (totalité du
rapport des services de police, plusieurs paragraphes dans les rapports des
services sociaux et administratifs) suppose que pour être français il est
préférable d’être habillé à la convenance des autorités administratives que de
savoir s’exprimer dans la langue du pays dont on souhaite acquérir la
nationalité. A tel point que le rapport tient à préciser que Monsieur est vêtu
d’un pantacourt resserré au dessus des chevilles mais surtout que sa barbe est
« d’une largeur approximative de deux mains » !!!! A partir de quelle taille la
barbe serait acceptable pour qu’une conjointe puisse obtenir la nationalité
française ?

Pourquoi tant d’insistance sur la tenue de ce couple ? Ce sont des informations
qui n’auraient pas suffit à fonder une décision de refus mais les rapporteurs
devaient être convaincus que les préjugés entourant cette tenue ne pouvaient
laisser insensible l’opinion voir les juges de l’administration.

Le mode de vie du couple

C’est le point crucial de cette enquête qui aurait motivé le refus. L’enquête
sociale semble avoir été faite en plusieurs temps. Une première enquête avec un
rapport succinct indique que Madame F communique aisément, lit et écrit le
français. Elle est même considérée comme suffisamment assimilée pour accomplir
seule les démarches de la vie courante !! Dans le paragraphe consacré à
l’insertion dans la communauté française il est indiqué que Madame F vit dans
un milieu composé de nationalités différentes et que les échanges se font en
français.

Cependant, l’enquêtrice ne semble pas apprécier que Madame F ne soit pas
inscrite dans un club sportif !! En effet, Madame F explique que de s’occuper
de ses trois enfants en bas âge ne lui laisse pas beaucoup de temps pour se
consacrer au sport dans un club même si elle en fait chez elle. D’ailleurs,
cette impossibilité n’est pas seulement appliquée au sport puisqu’elle précise
que pour les mêmes raisons elle n’a pas d’engagement religieux non plus. A
l’heure où l’on considère que certains parents ne sont pas assez sensibles à
l’éducation de leurs enfants, cette qualité essentielle ne semble pas servir
Madame F.

Dans le rapport faisant suite à une enquête complémentaire, nous apprenons que
le couple prend ses décisions ensemble, que madame sort souvent seule ou avec
ses enfants, qu’elle conduit le véhicule de la famille, qu’elle fait les achats
seule et utilise la carte bancaire et qu’elle n’a pas de problèmes de couple. Le
couple indique voir des films de cinéma en famille. Madame maitrise l’outil
informatique et est à l’aise avec internet.

Elle ne travaille pas parce qu’elle s’occupe de ses enfants mais aimerait un
jour avoir une activité professionnelle.

Mais l’enquêtrice ne semble pas se satisfaire des réponses de Madame F qui était
selon elle « à l’aise pendant l’entretien ». Elle souhaite interroger le mari
seul. L’entretien avec le mari allait il avoir une incidence sur le jugement
de l’enquêtrice ? En tout état de cause les réponses du mari qui lui précise se
rendre régulièrement à la prière, considérer que l’égalité entre les hommes et
les femmes et le droit de vote sont des points positifs, que l’islam lui semble
mal compris en France, ne semblent pas convenir à l’enquêtrice. Elle n’a pas
ressenti la même chose pour Monsieur. Elle considère qu’elle a été obligée
d’insister pour obtenir des réponses précises puis conclut son rapport en
indiquant que « compte tenu du doute ressenti …..je maintiens l’avis
défavorable ».

Provocation ?

Mais le plus choquant d’un point de vue déontologique est la demande de
l’enquêtrice qui, après avoir invité le couple à s’assoir, demande à Madame F
de bien vouloir retirer son voile. Madame F s’est exécutée et à ce moment est
entré dans le bureau un homme prétextant la recherche d’un dossier !
Visiblement cette manœuvre était destinée à observer la réaction du couple. Ne
semblant pas convaincue par la réaction du couple, l’enquêtrice s’est alors
permis de demander une fois seule avec Madame F, si cela ne l’a pas gêné. En
tout état de cause, ce genre de provocation est indigne d’une administration
qui se dit respectueuse de tous.

Écrit par : Stephen Suffern | 21/07/2008

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