02/07/2008
LIBERTES LAÏQUES EN AMERIQUE LATINE
Pourquoi je vous en parle, sans en faire encore le compte-rendu ? Parce la restriction du champs de la laïcité contenue ce livre (paru fin 2007) m’est revenue en mémoire il y a peu, quand je me trouvais à Lima (Pérou), où vient de se tenir un séminaire de deux semaines consacré à la laïcité. Une fois de plus, ce séminaire démentait (par son existence même) cette fausse représentation d’une « laïcité exception française ».
Ce n’est pas le premier séminaire de ce type, loin de là : depuis 2006, d’autres de la même ampleur ont eu lieu au Mexique, en Bolivie, au Chili, au Brésil. D’autres, plus courts, dans d’autres pays latino-américains. D’autres sont prévues, de nouveau au Mexique, et un pays d’Amérique centrale.
A Lima, il y avait environ 75 participants, la moitié provenant du Pérou, l’autre moitié de divers pays d’Amérique latine. Environ les 2/3 étaient des femmes, concernées au premier chef par la laïcité qui signifie, entre autres, pour elles, une libre disposition de leur corps.
Le public était très large et de toute opinions, de toutes convictions. On pouvait y rencontrer aussi bien des personnes du mouvement gay et lesbien que des adventistes, par exemple, en passant par d’autres orientations et convictions. Une telle diversité se retrouvait aussi dans le Comité d’organisationAlors je serai un gros vilain-pas-beau qui ferait un gros mensonge par omission si je n’ajoutais pas que cette diversité n’allait pas sans quelques tensions, dues à des vues bien sûr divergentes.
Mais la pluralité de vues était, pour l’essentiel, assumée et elle n’empêchait donc pas des relations fort conviviales. C’est aussi une laïcité à l’interne qui se trouvait expérimentée.
Ces divergences portent notamment sur une loi concernant la liberté religieuse en train d’être discutée au Pérou. Cette loi représente une réelle avancée en matière de liberté religieuse, pour les religions non catholiques minoritaires. Le poids du catholicisme (et en particulier de l’Opus dei) reste fort au Pérou, comme dans d’autres pays d’Amérique latine, et il existe un Concordat avec le Saint Siège. Sur la progression de la liberté, tout le monde est d’accord.
Mais c’est une loi qui veut promouvoir aussi plus d’égalité entre religions. Et là, il existe un débat. Car le risque, que j’ai signalé dans mes interviews auprès de journalistes, serait d’accorder aux autres religions non plus seulement la même liberté, mais les mêmes privilèges que ceux dont bénéficie l’Eglise catholique :
Soit être des entités de droit public, bénéficier d’exonérations d´impôts sur les revenus de religieux, de propriétés immobilières et véhiculaire, impossibilité de perdre les biens même après un procès....Enfin, il me semble que ce projet (01008-2006) a subit déjà quelques modifications...j´espère au bénéfice de l´Etat laïque!Certains ne nient pas qu’il y a, là, de l’interconfessionnalité, mais pour eux cela constitue une étape vers la laïcité. Pour d’autres, cela représente un risque d’entente possible entre les religions qui engendrerait une nouvelle domination.
Même si j’ai entendu une agnostique défendre l’interconfessionnalité pour les raisons que je viens d’indiquer, ce sont surtout des « croyants » qui peuvent être tentés par cette optique, avec le risque de s’en contenter. La présence d’autres personnes consitue un rappel salutaire de la nécessité d’une égale liberté de tous.
Mais inversement, des agnostiques et des athées peuvent glisser de la revendication de la liberté dans la société civile, qui permet à chacun d’effectuer des choix, y compris de distance ou de désappartenance d’avec les religions, à une représentation dépréciative du message moral de certaines religions, message qu’elles ont le droit d’avoir à partir du moment où elles ne cherchent pas à l’imposer à l’ensemble de la société.
L’association n’a pas vocation à imposer une ligne de conduite à ses membres. Mais de leur donner des éléments de connaissance, et de réflexion qu’ils utilisent ensuite dans leurs choix d’action. L’objectif de laïcité est commun, l’évaluation des moyens peut diverger.
En effet, le titre de la session était : « Formentando el conocimiento de las libertades laicas », soit Formation à la connaissance des libertés laïques.
Ces séminaires insistent sur l’aspect « connaissance », il s’agit de formations qui s’appuient sur les démarches des sciences humaines et des sciences juridiques. Les intervenants et les participants sont capables d’esprit critique, y compris sur la laïcité elle-même, ce qui manque tellement à certains militants laïques en France.
Un établissement universitaire, El Colegio Mexiquense est co-organisateur de chaque session, et, dans chacun des pays où elle se déroule, il s’établit une collaboration avec une université. Dans la session qui vient d’avoir lieu au Pérou, il s’agissait de l’Universidad National Mayor de San Marcos, Faculté des Sciences sociales, Unité des post-gradués, dans le cadre de son programme sur les études de genre.
L’association qui est a l’origine de ces séminaires et qui en est responsable est Libertades Laicas Red Iberoamericana. Il s’agit d’une organisation souple qui possède des réseaux dans divers pays latino-américains, formés soit d’ensemble d’individus, soit de sections nationales. Ainsi, il existe une association Libertades laicas Perou. Le principal responsable de l’ensemble est le professeur mexicain Roberto Blancarte Pimentel.
En plus des séminaires dont il vient d’être question, l’association a diverses activités comme la publication des actes de certains des séminaires. Celui qui s’est tenu au Brésil vient de paraître, en portugais naturellement, sous la direction de Roberto A. Lorea (Em defesa das Liberdades Laicas, Livraria editoria Do Adyogado, Porto Alegre, 2008) et tout ce qui peut inciter à la réflexion et à la formation sur la laïcité.
Elle traduit aussi un certain nombre de textes. Un autre ouvrage récent, lié à l’association, est Los retos de la laicidad y secularizacion, proche des problèmes que l’on peut rencontrer dans sa vie quotidienne. en el mundo contemporàneo, publié par le Centre d’études sociologiques de El Colegio de Mexico sous la direction de R. Blancarte (2008).
L’association publie un bulletin électronique, Libela, qui est son organe, a un tract de presentation (« Quiénes Somos ? »), et possède un site internet, que je recommande à celles et ceux qui lisent l’espagnol (et même à d’autres, car quand on est « latin », ce n’est pas extrêmement difficile !) : www.libertadeslaicas.org.mx
On peut entrer en contact avec elle grâce au courrier électronique : libertadeslaicas@cmq.edu.mx
Le but de l’association consiste à viser une avancée des droits et des libertés civiles dans le cadre d’un Etat laïque. L’association promeut (et se fonde sur) la Déclaration internationale sur la laïcité au XXIe siècle dont R. Blancarte est, avec la professeure canadienne Micheline Milot et moi-même, un des principaux rédacteurs. C’est d’ailleurs une des raisons qui font que M. Milot et moi, chaque fois que nous le pouvons, nous participons à ces séminaires. La Déclaration existe en version espagnole et portugaise.
Le titre même de l’association, Libertés laïques montre qu’elle aborde la laïcité sous l’angle des libertés laïques publiques. C’est un angle parlant de façon immédiate, parce que concret, proche des problèmes que chacun peut rencontrer dans sa vie quotidienne.
Cette approche se décline de 2 façons différentes :
- laïcité dans les relations Eglises-Etat : extension de la liberté de conscience, qui comporte la liberté de religion (mais aussi de conviction). La liberté religieuse est défendue dans le cadre (plus vaste) des libertés laïques, de la laïcité de l’Etat.
- laïcité et droits sexuels et reproductifs, ou liberté en matière de mœurs : les religions et Eglises peuvent proposer des règles morales à leurs membres si elles estiment que c’est nécessaire. Mais l’Etat laïque doit assurer à ses citoyennes et ses citoyens la liberté d’adopter ou non de telles règles. Les lois civiles et les règles religieuses doivent être séparées.Pour terminer cette Note, 2 ou 3 impressions d’un séjour rapide à Lima (où l’accueil a été extrêmement chaleureux).
C’était l’hiver péruvien et s’il ne faisait pas froid la ville se trouvait plongée dans une forte humidité, qui peut exister même l’été. A la blague, quelqu’un disait que les Incas adoraient le soleil, peut-être parce qu’ils ne le voyaient pas souvent !
Les musées, en tout cas, consolent du temps humide. Ils montrent la richesse artistique extraordinaire des civilisations pré-incas et leur art lié aussi bien à la vie quotidienne qu’aux différents rituels.
Civilisations pacifiques : ils se donnaient bien quelques coups de machette de temps à autre ; on voit des trépanations effectuées des centaines d’années avant notre ère par des chirurgiens talentueux, mais leur art de la guerre était rudimentaire, et d’autres civilisations venues des montagnes les ont envahis.
Une fois encore j’ai été frappé par la différence et de niveau de vie, et de manière de vivre (on ne parle généralement que du premier point) entre les quartiers résidentiels et les quartiers populaires. Bien sûr, cela existe aussi en France, il ne faudrait pas le minimiser, mais l’Amérique latine accentue les contrastes.
A Lima, dans les quartiers populaires, on ne trouve pas un seul arbre, un niveau de pollution absolument énorme, un système généralisé de débrouille qui fait que la rationalité n’est pas la même que celle de la société globale. On l’oublie trop souvent dans l’invocation de la raison.
J’ai été également frappé par la publicité. Non seulement, comme partout, règne la femme-objet. Mais, en plus, l’image de la femme qui est représentée est extrêmement hétérogène aux types de femmes qui existent très majoritairement : il s’agit d’une femme d’une blancheur extrême, alors que la majorité de la population est colorée, grande (alors que la taille est plutôt petite), à l’allure physique complètement différente des femmes péruviennes.
Quand on voit ces publicités, on se dit que cela doit être très humiliant pour ces dernières. Structurellement elles ne peuvent et ne pourront jamais ressembler à de tels modèles ainsi exhibés. Mais, finalement, ce n’est que l’exacerbation d’une situation plus générale, qui est (la plupart du temps) un angle mort.
13:00 Publié dans MONDE ET LAÏCITE | Lien permanent | Commentaires (1)