09/07/2008
LAÏCITE ET LOI DEBRE
Dernière minute (11 juillet) : Très prochainement une Note sur l'arrêt du Conseil d'Etat refusant l'attribution de la nationalité française pour cause de port de burka et défaut d'intégration.
Edmond Vandermeersch vient de faire paraître chez l’Harmattan un ouvrage intitulé : Ecole : Eglise et Laïcité. La rencontre des deux France. Souvenirs autour de la loi Debré (1960-1970)
Il m’avait demandé d’en faire la préface. J’en donne ici l’essentiel en espérant qu’elle incitera certains internautes à acheter et à lire ce livre, extrêmement intéressant et qui retrace une histoire volontairement (= idéologiquement) oubliée aujourd’hui.
En effet, on fait comme si les « problèmes de laïcité » à l’école étaient survenus avec la transformation de l’islam en France d’un « islam d’hommes seuls » en « islam des familles ». Rien n’est plus contraire à la réalité historique.
Les « problèmes de laïcité » ont existé, en France, à l’école depuis le développement de l’institution scolaire. Il est important et actuel de le rappeler.
Voici donc cette Préface (après vous trouverez l’annonce d’un autre ouvrage tout à fait intéressant) :
Trois raisons m’ont amené à accepter avec beaucoup de plaisir l’offre amicale que m’a faite Edmond Vandermeersch de préfacer son ouvrage.
D’abord la personnalité de l’auteur. Nous nous sommes rencontrés, il y a un peu plus de vingt ans maintenant, dans le cadre de la Ligue de l’Enseignement et de la réflexion qu’elle impulsait sur une « laïcité XXIe siècle ».
Ces rencontres étaient exemplaires dans la mesure où elles permettaient à des individualités de convictions diverses de travailler ensemble et ainsi de s’enrichir mutuellement de leurs apports respectifs.
Nous réunissait la conviction que la laïcité constituait le meilleur garant de la liberté de conscience de tous et s’avérait indispensable pour qu’aucune domination religieuse ou idéologique n’empêche chacun d’effectuer ses choix. Mais, pour se faire, la laïcité ne pouvait constituer une réalité figée ; elle devait être dynamique, en mouvement, apte à répondre à de nouveaux défis.
Une « Commission laïcité » a donc fonctionné, élaborant deux rapports et un ouvrage, Religions et laïcité dans l’Europe des douze[1], pour lequel Edmond Vandermeersch a apporté deux belles contributions. (…)
Ensuite, seconde raison, ces mêmes années, Edmond Vandermeersch participa, avec deux autres auteurs, Jean Battut, professeur de collège et Christian Join-Lambert, magistrat à la Cour des Comptes, à un ouvrage écrit à trois mains, 1984 La guerre scolaire a bien eu lieu[2].
J’ai souvent cité cette étude dans mes propres livres car je la considère comme la meilleure analyse de l’échec du projet de réunification souple des deux systèmes scolaires tenté par Alain Savary, ministre de François Mitterrand.
Les auteurs avaient été partie prenante de cette affaire, dans des situations différentes, voire (pour l’observateur extérieur) divergentes : le premier et le troisième avaient eu longtemps des responsabilités l’un dans l’enseignement catholique sous contrat, l’autre dans le Syndicat national des Instituteurs. Le second avait été chargé de mission auprès d’Alain Savary.
Dés le début de leur livre, ils s’expliquent : « engagés comme nous l’étions, nous avons vécu péniblement les événements, essayant, chacun à notre place, d’en influencer le déroulement.» Ils ont souhaité débattre, relire ensemble les origines des événements de 1982-1984 et sont arrivés, sur ce dossier complexe, à « avoir des appréciations communes ». (…)
Enfin, troisième raison, ce nouvel ouvrage, centré sur des « souvenirs » décryptés, analysés, complète de manière très heureuse l’ouvrage collectif précédent. Il apporte une contribution importante à la connaissance de la loi Debré et de ses conséquences et provoque à une réflexion multiforme.
Les travaux sérieux sur la loi Debré et ses suites sont peu nombreux. Je signalerai le colloque d’Amiens, tenu en 1999, sur La loi Debré. Paradoxes de l’Etat éducateur ?, et publié sous la direction de Bruno Poucet[3].
On peut aussi trouver quelques travaux de thèse (…). Mais beaucoup reste à étudier concernant un épisode de l’histoire française récente qui a donné matière à de virulentes polémiques (Jean Cornec, longtemps leader incontesté de la Fédération des Conseils de parents d’élèves, qualifiait cette loi de « Vichy sous de Gaulle » ![4]) et qui risque maintenant de sombrer dans l’oubli social.
En effet quelle n’a pas été ma surprise, à l’automne 2003, lors des auditions de la Commission Stasi, d’entendre des personnalités politiques déclarer : « il y a 20 ans, la laïcité à l’école ne posait aucun problème. » Belle amnésie !
Il a fallu leur rappeler que, de 1946 à 1984, le terme de « laïcité » fut souvent réduit au refus de subventions publiques aux écoles privée tout comme, au moment de leur audition, ce terme se trouvait souvent réduit au refus du port du foulard à l’école publique.Le 24 juin 1984, plus d’un million de personnes défilaient à Paris contre le Service Publique Unifié Laïque de l’Education Nationale. En août 2007, la série d’émissions télévisées Graffiti, présentée sur les chaînes publiques France 2 et France 5, retraçait les grands événements des années 1980 et 1990.
L’émission consacrée aux années 1984-1985 commentait des vues sur cette manifestation (et celles qui l’ont précédée) en la qualifiant simplement de «manifestations monstres sur le financement de l’école ». J’ai interrogé des jeunes qui avaient regardé cette série : l’émission était restée tellement allusive qu’aucun d’entre eux n’avait pu comprendre de quoi il s’agissait.
Voila comment on construit socialement une amnésie qui arrange tout le monde. Et après, on parlera à tort et à travers de « devoir de mémoire » !
C’est dire si l’ouvrage d’Edmond Vandermeersch est précieux. Certes (…) il se veut le témoignage d’un acteur. Mais, outre son intérêt propre pour le lecteur, l’histoire scientifique a un besoin indispensable de témoignages de cette qualité pour pouvoir se construire.
Beaucoup d’informations inédites sont données par quelqu’un qui, comme secrétaire général adjoint de l’enseignement catholique, était aux premières loges, y compris lorsque se sont produits des « pourparlers secrets ».
Notre auteur apporte donc un éclairage essentiel sur les changements impulsés par la loi Debré non seulement dans le dispositif scolaire d’ensemble, mais aussi et surtout au sein de l’enseignement privé catholique.
Il montre aussi les méconnaissances, les peurs et également les passerelles qui pouvaient exister entre les responsables des deux enseignements. Il dévoile les tensions internes dans l’enseignement privé catholique où certains voulaient limiter, autant que faire se peut, les changements.
Le sous-titre : La rencontre des deux France est donc particulièrement bien choisi en précisant, mais l’ouvrage le démontre presque à chaque page, que ces « deux France » sont elles même composées de personnes très diverses. Dans chaque camp supposé, se trouvent des personnes qui veulent l’emporter ou continuer à en découdre, mais aussi d’autres qui ont beaucoup à partager avec ceux ‘d’en face’.
Parler de « rencontre des deux France » nous introduit dans le temps long du conflit des deux France qui a perduré de la Révolution française au XXe siècle. Ce conflit n’avait rien de fatal puisque, il faut le rappeler, le quart de l’Assemblée qui a rédigé la Déclaration des droits de 1789 était membre du clergé catholique.
Mais il a eu lieu et le XIXe siècle est la période du conflit entre « cléricalisme » et « anticléricalisme »: la France qui se réfère au baptême de Clovis et la France qui se réfère aux « valeurs de 1789 » s’affrontent, tentent en vain, à certaines occasions, de se réconcilier.
Les relations entre les Eglises et l’Etat sont constituées, alors, par un mélange complexe de semi officialité et de contrôle des religions par l’Etat (Concordat avec le Saint Siège pour l’Eglise catholique, système de « cultes reconnus » pour le catholicisme, le protestantisme et le judaïsme).
La loi de l’Etat est déjà laïque (Code civil des Français), les religions sont un service publique et constituent le fondement de la morale publique.Le « conflit des deux France » porte avant tout sur l’identité nationale. Ce conflit s’est identifié, en un siècle où la France a connu sept régimes politiques différents, avec un conflit de régimes entre monarchie et république.
L’instauration de la Troisième République a entraîné, à partir de 1879, un certain anticléricalisme d’Etat : la consolidation de la République supposait, pour ses partisans, une forte réduction de l’influence politique et sociale de l’Eglise catholique, considérée comme la meilleure alliée des monarchistes.
Cette politique a concerné au premier chef l’école : dans d’autres pays européens l’école publique est devenue confessionnellement neutre, gardant ce que l’on a appelé un « commun Christianity » comme fondement de la morale. La France est allée plus loin, l’école publique est devenue religieusement neutre et la morale laïque y a été instaurée. D’où la « guerre » des deux écoles.
Le ralliement à la république, demandé aux catholiques français par le pape Léon XIII en 1892, entraîna quelques années une politique plus conciliatrice. Mais elle ne mis pas fin à ce conflit des « deux France » pour deux raisons.
D’abord la république que l’on ralliait devait avoir une identité catholique, ce que refusaient beaucoup de partisans des « valeurs de 1789 ».
Ensuite, et surtout, à l’extrême fin du XIXe siècle, les compromissions catholiques dans l’affaire Dreyfus induisirent un retour et une radicalisation de l’anticléricalisme d’Etat, avec le mot d’ordre de « laïcité intégrale ».
Cela culmina par l’interdiction de l’enseignement aux membres des congrégations religieuses (1904). Cependant les projets de monopole de l’enseignement public d’Etat échouèrent et « l’enseignement libre » catholique continua d’exister.
La loi de séparation des Eglises et de l’Etat marque, en 1905, la victoire du camp laïque : les Eglises perdent alors tout caractère officiel, le Concordat et le système des « cultes reconnus » sont abolis (article 2). Mais cette victoire crée aussi, paradoxalement, la possibilité d’un apaisement car des éléments conciliateurs l’ont emporté sur d’autres plus radicaux.
La loi met fin aux mesures de contrôle dérogatoires quant au droit commun et à la politique d’anticléricalisme d’Etat (« la République assure la liberté de conscience et garantie le libre exercice du culte », article 1). De plus, l’autonomie de l’organisation interne de chaque religion est assurée (article 4).
Malgré le refus du pape (qui, notamment, craint une ‘contagion’ dans la dénonciation des concordats) d’accepter cette loi, la séparation fonctionne effectivement à partir de 1908. En 1923-1924 un accord, avec le Saint-Siège, permet la création d’associations diocésaines. En 1926, le pape met à l’index l’Action française, organe du mouvement du même nom, au catholicisme monarchiste et identitaire.
En 1946, un gouvernement tripartite réunissant la gauche et le MRP, d’obédience démocrate-chrétien, inscrit la laïcité dans la Constitution de la République.
Cependant la situation resta conflictuelle en ce qui concerne l’école, ce qui n’est guère étonnant car l’école enseigne non seulement un savoir mais aussi une certaine vision de la nation. « Deux jeunesses » étaient censées apprendre deux visions différentes de la France à l’école publique, laïque et à l’école libre, confessionnelle catholique.
En 1925, les évêques (…) dénoncent les lois scolaires « dites de laïcité ». Vichy subventionne certaines écoles privées, ce qui est supprimé à la Libération. Alors, une commission, la « Commission Philip » échoue a réconcilier les « deux France » sur le terrain scolaire : son rapport est désavoué des deux côtés.
En 1951, l’Assemblée législative adopte deux lois. La première étend le bénéfice des bourses d’Etat aux élèves du privé, la seconde (dite « loi Bérangé ») donne une allocation forfaitaire par enfant scolarisé (dans le public ou le privé).
Le camp laïque campe sur une position intangible : « A école publique, fonds publiques, à école privée, fonds privés ». Il proteste et se regroupe dans le CNAL ou Comité National d’Action Laïque.Mais un divorce s’accentue entre les prises de positions publiques et la recherche discrète de solutions politiques, notamment par le Parti socialiste SFIO. Sous le gouvernement de gauche de Guy Mollet des projets de textes sont élaborés et reçoivent l’agrément des deux parties (sans être publics).
Cependant, la guerre d’Algérie paralyse le pouvoir et l’accord n’aboutira pas. Le dualisme scolaire semble perpétuer le conflit des deux France. Guy Gauthier, instituteur laïque qui va travailler avec Edmond Vandermeersch, dans les années 1980 et 1990, donne un très intéressant témoignage de cette situation dans son livre de souvenirs : Un village, deux écoles. Mémoires d’un paléolaïque [5]. C’est dans ce contexte que la loi Debré va changer la donne.
J’ai retracé, à très gros traits naturellement, l’histoire du conflit des deux France car il faut l’avoir en mémoire pour lire pleinement l’ouvrage d’Edmond Vandermeersch. Il faut se rappeler la longue durée historique pour saisir le pourquoi des tâtonnements, des méfiances, des ignorances et l’aspect aventureux des avancées, des contacts.
Il est très précieux que cet ouvrage relate de façon aussi précise l’histoire de cette aventure, marquée par la concomitance d’une nouvelle donne politique : la Vème République et, très vite, d’une nouvelle donne religieuse, le Concile Vatican II dont la mise en œuvre est retracée avec soin par l’auteur. Et bientôt, ce fut Mai 1968, avec les espoirs et les déceptions qui ont suivi.
Au moment de l’adoption de la loi Debré j’étais, pour ma part, lycéen et rédacteur en chef d’un petit journal de lycée, Le Trait-d’union. J’ai écrit alors un article virulent contre la loi, tout en demandant à un copain catho de rédiger un texte pour la défendre.
Jeune et bon militant laïque, je ne voyais que l’aspect du financement des écoles catholiques. Je ne percevais pas du tout à quel point la loi Debré pouvait déplaire à certains partisans de « l’enseignement libre » et, à terme, allait rapprocher l’enseignement privé sous contrat de l’enseignement public, l’obligeant à des mutations qui ne pouvaient pas ne pas provoquer des débats internes.Edmond Vandermeersch a été en pointe dans le combat pour une certaine laïcisation interne de l’enseignement privé, sans lui ôter le « caractère propre » que lui permettait la loi. Tous n’ont pas joué le jeu aussi franchement, dans les deux camps d’ailleurs et notre auteur le montre d’autant plus que, tout en exposant très nettement son point de vue (qui fut minoritaire), il se garde de jugements péremptoires et ne fait pas œuvre de polémiste sommaire.
Ceci écrit, son appréciation sur sa propre maison (pour ne pas parler de « camp ») est sans complaisance aucune, voire même parfois sévère mais de façon toujours fondée. Devenu adulte, je me suis également montré critique sur la maison d’en face, la Laïque, que j’ai toujours considérée comme la mienne car mes deux parents, enseignants protestants à l’école publique ont été des partisans fervents de la laïcité.
Je trouvais que, souvent, les militants laïques ne tenaient pas compte de l’aggiornamento du Concile et de la diversité du catholicisme français. Il devenait évident que les « deux écoles » n’enseignaient plus « deux France » différentes. Que, sauf peut-être quelques exceptions, Voltaire et Alain se trouvaient enseignés dans les lycées privés sous contrat comme dans les lycées publics.
Mais cela on ne voulait pas s’en apercevoir. Protestant lui aussi, Michel Rocard témoigne comment des catholiques hostiles à la guerre d’Algérie et devenus socialistes ont eu, de même, beaucoup de peine à se faire accepter comme tels.[6]
Ce ne furent donc pas les passeurs qui l’emportèrent dans les années 1960 et 1970. Et une double intransigeance conduisit à la crise de 1984. Crise où la notion même de « laïcité » risqua de se trouver délégitimée. Mais, heureusement, le rebond ne tarda pas et, dés 1985, la Ligue de l’enseignement prit d’audacieuses initiatives auxquelles, je l’ai indiqué, Edmond Vandermeersch participa pleinement.
Qu’il soit donc remercié d’avoir cheminé avec courage et confiance, dans ces années difficile. Qu’il soit également remercié de nous donner un témoignage éclairant de cette époque où tous les lecteurs, des historiens au public intéressé par les questions d’éducation, de religion, de laïcité, apprendront beaucoup.Jean Baubérot
Autre ouvrage recommandé : Pour le 40e anniversaire de l'encyclique de Paul VI :
de Martine Sevegrand
L'AFFAIRE HUMANAE VITAE
L'Église et la contraception
Éditions Karthala, 2008, 160 pages
Résumé : Le 25 juillet 1968, le pape Paul VI publiait l'encyclique "Humanae vitae" sur le "très grave devoir de transmettre la vie humaine". Ce document stigmatisait notamment comme "intrinsèquement déshonnête" toute méthode artificielle de régulation des naissances, réaffirmant ainsi la position la plus traditionnelle de l'Eglise. Depuis lors, la polémique fait rage, y compris parmi les catholiques favorables à un assouplissement doctrinal. Ce second livre de la collection "Disputatio" fait le point sur la question, quarante ans après.
Extrait de la 4ème de couverture : Cette encyclique ne représente pas seulement la réaffirmation de la morale sexuelle traditionnelle, mais aussi la fin de la très courte période d'ouverture au monde, initiée par Jean XXIII et poursuivie par le concile Vatican II. Décidément, le sexe ne cesse de constituer un terrain majeur de l'affirmation catholique.
Très prochainement : le compte rendu de l’ouvrage : Les filles voilées parlent, aux éditions La Fabrique (lafabrique@lafabrique.fr Diffussion : Harmonia Mundi)
[1] Paris, Syros, 1994.
[2] Paris, Desclée de Brouwer, 1995.
[3] Amiens, Centre Régional de Documentation Pédagogique de l’Académie d’Amiens, 2001.
[4] J. Cornec, Laïcité, Paris, Sudel, 1965, 271 sq. Vandermeersch, cependant, nous rappelle qu’après cet ouvrage Jean Cornec évolua et eu « le courage d’aller à la rencontre de (ses) adversaires de toujours ».
[5] Condé sur Noireau, Arléa-Corlet, 1994.
[6] M. Rocard, Si la gauche savait. Entetiens avec Georges-Marc Benamou, Paris, Robert Laffont, 2ème édit., 2007.
18:25 Publié dans LAÏCITE, MEDECINE, ECOLE | Lien permanent | Commentaires (0)