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12/06/2008

LA COMMISSION BOUCHARD-TAYLOR...ET LA COMMISSION STASI

Jeudi 19 juin 

D'ici quelques jours, une nouvelle Note qui portera probablement sur la laicite en Amerique latine....et la suite du dialogue avec henri Hatzfeld.

Qu'on se le dise!

Le 25 mai, je vous ai parlé du rapport de la Commission Bouchard-Taylor au Québec. J'y reviendrai car le problème de l'invention d'une laïcité interculturelle est fondamental.

Mais en hors-d'oeuvre, voici aujourd'hui une comparaison entre la manière dont a travaillé cette Commission et la Commission Stasi.

A mon humble avis Bouchard et Taylor ont effectué un bien meilleur travail. 

Cela tient à des raisons de forme, de moyens, de temps et de fond.

   Raison de forme : nous étions vingt à la Commission Stasi, et chaque phrase devait avoir l’aval de l’ensemble. Difficile ! C’est déjà un exploit d’avoir réussi à écrire un texte qui se tienne, dans de telles conditions ! Paradoxalement, ce fonctionnement semblait plus démocratique que celui de la Commission Bouchard-Taylor. Il a été reproché aux Commissaires de s’être entourés d’un Conseil, sans avoir créé un groupe d’égaux, co-responsables du texte rédigé.

En fait, à la Commission Stasi, l’impossibilité de toujours parvenir à des phases vraiment consensuelles a donné un grand pouvoir d’arbitrage au rapporteur, Rémi Schwartz, et à sa petite équipe (de non membres de la Commission) dont Laurent Wauquiez, futur député et ministre UMP. Pourtant, nous avons tous du endosser un texte dont nous étions officiellement co-responsable. Dans la Commission Bouchard-Taylor, les choses me paraissent plus transparentes.

 

   Problème de moyens : à la Commission Stasi, notre budget (qui me reste inconnu) a du être ridicule face à celui de la Commission québécoise. Les Commissaires n’ont pas dépensé tout leur budget (seulement 3millions 7 $ canadiens sur 5 prévus), ce qui montre qu’on leur avait vraiment donné la possibilité matérielle de travailler. Nous ne disposions pas, à la Commission Stasi, de locaux propres ce qui rendait beaucoup de choses impossibles. Nous nous sommes réunis au Sénat ou dans divers ministères. Nous avons côtoyé des ministres, d’autres personnalités politiques, ce qui (indirectement) a influencé nos travaux. Nous avons effectué quatre voyages à l’étranger (seule la mission aux Pays-Bas a été réellement prise en compte), mais nous n’avons impulsé aucune enquête d’aucune sorte.

Nous ne sommes pas allés sur le terrain, mais avons seulement auditionné des personnalités, dont le choix a, parfois, été orienté. En conséquence, nous avons privilégié l’aspect juridique sur l’aspect sociologique, or Rémi Schwartz se voulait l’expert juridique de la Commission.

Bouchard et Taylor sont, eux, allés sur le terrain (pas seulement les audition, ils ont rencontré des groupes sondes, etc) et ont fait faire des enquêtes, treize travaux académiques sur lesquels ils ont pu se fonder.

 

   Le temps imparti à la Commission Stasi a été fort court : elle fut créée début juillet, mais elle s’est réunie essentiellement à partir de septembre. On lui avait dit qu’elle devait rendre son rapport « à la fin de l’année ». Nous avons demandé une prolongation. Non seulement elle ne nous fut pas accordée, mais nous avons du finalement rendre notre rapport le 11 décembre. La fin de la Commission s’est donc trouvée accélérée. La décision la plus importante, celle concernant l’interdiction de « tenues et signes manifestant une appartenance religieuse et politique » dans les écoles publiques[1], a été discutée… le mardi 9 décembre et adoptée le même jour ! Cette précipitation finale n’a pas été ‘innocente’ ! Elle a conduit notamment à voter sur la proposition du staff au lieu de prendre le temps d’élaborer une proposition provenant de la Commission elle-même.

Les Commissaires Bouchard et Taylor ont disposé d’un an, puis d’une rallonge d’un mois et demi.

 

   La Commission Stasi s’intitulait au départ, Commission indépendante de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République. Par un lapsus quasi freudien, ou par une grande lucidité implicite, le mot « indépendant » a disparu de l’appellation finale. L’absence de moyens et de temps a contribué à rogner son indépendance. Mais elle-même n’y a pas veillé de façon très sourcilleuse. D’après des rumeurs, les Commissaires ont protesté auprès de Charest après ses déclarations qui anticipaient un peu sur ses résultats, rien de tel avec le discours de Chirac à Tunis.

Plusieurs membres de la Commission Stasi se sont plaints, ensuite, qu’une seule des 26 propositions qu’elle avait faite (celle sur l’interdiction des signes religieux[3]) ait été mise en œuvre. Outre que cela n’est pas vraiment exact[4], la Commission avait elle-même donné des verges pour se faire battre car cette proposition a été la seule qui a fait l’objet d’un vote séparé. Elle l’avait donc, elle-même, privilégiée ce qui deviendra la future loi. Mais peut-être a-t-elle agi, à la fin de ses travaux, tellement rapidement que ces membres n’ont compris qu’après coup ce qu’impliquait ces votes séparés.

   D’une manière générale, le rapport de la Commission Bouchard-Taylor peut s’appuyer sur les treize travaux d’ordre scientifique qui lui ont été remis, la Commission Stasi n’a rien entrepris de tel. Un seul exemple : les médias. A plusieurs séances de la Commission Stasi, nous avons dit tout le mal que nous pensions du fonctionnement professionnel des journalistes. Ils se sont trouvés, en fait, plus mis en cause qu’un certain islam ! Mais aucune critique des médias ne transparaît dans le rapport.

Si nous avions fait entreprendre une étude sur le traitement médiatique des affaires de foulards, comparable à celle que les Commissaires ont fait faire sur le traitement des accommodements raisonnables, nous n’aurions pu que très difficilement faire la proposition d’une loi sur ce sujet.

 

(à suivre) 



[1] B. Stasi, 2004, 149.

[2] en novembre 2003.

[3] Remarquons que les « signes politiques » n’ont pas été interdits !

[4] A moyen terme d’autres, comme le recrutement d’aumôniers musulmans ou la mise en place d’une haute autorité de lutte contre les discriminations ont été également mises en œuvre.