16/05/2008
MAI 68: A PRATIQUER PLUS QU'A COMMEMORER!
REPRENEZ DONC UN PEU DE LAÏCITE DIALECTIQUE
LA PETITE MADELEINE, C’EST (juste) LA CERISE SUR LE GATEAU !
D’abord, vous n’y échapperez pas!!, quelques nouvelle de THE livre : La laïcité expliquée à Nicolas Sarkozy et à ceux qui écrivent ses discours (Albin Michel)
Il fait l’objet d’une virulente attaque de l’ancien président de la Fédération Protestante de France, J. A. de Clermont, dans l’hebdomadaire Réforme (qui le présente, lui, de façon élogieuse, comme une « leçon de laïcité »).
Outre un désaccord de fond, l'ancien président me semble avoir confondu Lettre à Sarzozy et....Lettre à la Fédération Protestante de France. Ne trouverait-on pas un peu de nombrilisme dans sa réaction? D'autre part, croire que la FPF est visée, même quand elle n'est pas citée, ne serait-il pas une manière de refuser les questions générales que je pose aux chrétiens "tentés par les sirènes sarkozystes" ? De désamorcer ces questions en me mettant dans la posture du 'méchant'?
Bon, je répondrais dans le N° de la semaine prochaine. Je voudrais juste indiquer qu’au-delà des contre sens (je ne suis pas du tout contre une actualisation de la loi de 1905, je suis, en revanche, farouchement contre des modifications qui privilégieraient le croire religieux sur le non croire ou d’autres croire, c’est plus qu’une nuance !), cette attaque est révélatrice du malaise que mon livre provoque chez certains chrétiens. (Pas tous, d’autres m’envoient des mels de félicitations)
Ce malaise se manifeste de façon très simple : plutôt que des objections argumentées (je n’ai rien contre, au contraire : cela fait avancer le débat), ce qu’on me dit est, en substance : « pas vous, pas ça »
Alors là, il y avait maldonne, et je suis fort content de l’avoir dissipée.
J’avais beau écrire que je n’étais pas plus partisan d’une laïcité unilatéralement ouverte aux religions que d’une laïcité rrrrépublicaine, comme les partisans de cette dernière me faisaient régulièrement un procès en trahison de la laïcité, comme ils m’accusaient de n’importe quoi (être un complice actif de « l’intégrisme fondamentaliste américain », entre autres…), cela a provoqué un effet de croyance.
La croyance était que, finalement, c’était essentiellement la liberté religieuse et elle seule que je défendais.
Pourtant, merde (à vauban, naturellement), j’avais écris un bouquin sur « La morale laïque contre l’ordre moral », j’ai toujours tenté d’expliquer que la laïcité se composait de plusieurs éléments, etc, etc. J’ai clarifié mes critiques face à la notion de « laïcité ouverte »,… Enfin je ne vous refais pas le topo…
C‘est terrible l’image que certains vous collent à la peau. Avec ce livre, je l’ai cassée, sans même le rechercher (je ne pensais pas que tant de gens se laissaient prendre à des attaques aussi débiles). Ambiance cassée. Tant mieux.
Il y a aussi un autre phénomène, c’est que les gens veulent être confortés dans leurs croyances. Alors quand ils lisent, ils sélectionnent, ne gardent en mémoire que ce qui leur plait. Ils ne se confrontent pas vraiment avec ce qu’écrit l’auteur.
Et je dis à tous les amoureux déçus : excusez moi, mais vous ne m’aviez pas vraiment lu. Mon livre se situe dans le même chemin que les précédents. Simplement le contenu de ce à quoi il s’affronte a changé, même si la forme reste la même : l’unilatéralisme.
Aller, pour les consoler, je vais leur envoyer une photo de Carla, dédicacée (par moi naturellement),….
Je ne pense pas que quelqu’un puisse trouver le moindre reniement de mes livres passés et de ce que j’y écrivais. Mais les discours de Sarko obligent à reprendre les choses. Puis qu’il défend une « politique de la diversité », il fallait éclaircir le fait, qu’à mon sens, une « politique de la diversité », ce n’est pas cela, ce pourrait être bien différent.
Aller, vous reprendrez bien un peu de laïcité dialectique. Le goût est un peu fort, la première fois que l’on en mange. Mais, très vite on apprécie. Car vous savez, dans ce monde de conformisme fade, la dialectique, ça donne de la saveur,
Je ne vais pas m’étendre trop longuement.
Mais, quand même, pour ne pas être maso, juste signaler que The livre a trouvé aussi des partisans. Des enthousiastes, qui dévorent, qui adorent tout : le contenu, le style, les blagues…des qui l’ont lu d’une traite, dans le métro, le RER, le train. Et certains même riaient tellement, que leurs voisins les regardaient d’un drôle d’œil (si, si,…)
Et puis, des un peu plus réservés. Des gens sérieux, qui ont trouvé le contenu intéressant, mais l’humour un peu facile, un peu déplacé, c’est quand même le président quoi. OK, mais il a fait des choses tellement hénôrmes, le petit Nicolas.
C’est bizarre, car c’est un peu la conception : les blagues = c’est le privé ; le sérieux = c’est le public.Et si Mai 68, que l’on commémore beaucoup, c’était de pouvoir mélanger le sérieux et la blague.
Il existe une expression québécoise que j’aime bien : « dire les choses à la blague ». C’est quand il y a du sérieux, du fond dans la blague.
Certains sont étonnés : ce livre, ça ne vous ressemble pas ! Ah bon. Encore l’image ! Mais j’ai trouvé une réponse tout prête : c’est ma manière de fêter Mai 68. En cherchant moins à le commémorer qu’à le pratiquer. Enfin, le pratiquer un peu. En retrouver, un petit quelque chose.
La petite madeleine de Proust. Je n’ai rien contre. Mais tout un repas de madeleines…
Et à regarder les vitrines des librairies, c’est un peu ça, non ? Alors, suivez mon conseil (d’ami) : nourrissez vous de dialectique Et, après, je vous offre comme petite madeleine, quelques souvenirs perso (pratiquement ceux publiés, toujours dans ce même numéro de Réforme, dans le cadre d’une table ronde avec André Sénik)
Donc voilà quelques souvenirs de l’ancien combattant, Jean Baubérot :
- Où en étiez vous de votre parcours intellectuel quand le mouvement a éclaté?
Mai 68 est survenu après plusieurs années de contestations effectuées notamment par des jeunes. On l’oublie trop souvent. Pour ma part je m’étais engagé, comme lycéen, contre la guerre d’Algérie au tournant des années 1950 et 1960.
Beaucoup d’adultes me disaient alors en substance : « tu n’est qu’un adolescent, tu n’y comprends rien. De Gaulle en donne aux Arabes plus que ceux-ci en veulent. L’Algérie n’a pas à être indépendante et ne le sera jamais. » J’entendais cela de la part de conseillers presbytéraux de ma paroisse et d’autres personnes.
Et puis, est arrivé le référendum de mars 1962 ou 90% des Français se sont prononcés pour l’indépendance. Je n’avais pas encore l’age de voter, mais j’ai constaté que les adultes retournaient leur veste, sans reconnaître, en plus, qu’ils s’étaient trompés ! Cela les a complètement décrédibilisés à mes yeux… et je me suis promis de ne jamais devenir comme eux, de ne jamais répéter passivement les idées dominantes.
Je n’étais pas le seul ! Dans les mouvements de jeunes, qu’ils soient protestants, catholiques ou communistes la critique des institutions s’est développée. Et nous pensions que les surréalistes avaient échoué, faute de transformer le monde ; et la révolution d’Octobre, faute de changer la vie. Il fallait lier les deux.
Pour ma part, j’ai menée cette critique des institutions trop sûres d’elles-mêmes, sur deux fronts : la revue des étudiants protestants, Le Semeur : nous promettions un abonnement à prix réduit aux « couples tentant l’union libre ». Il faut se replacer dans le contexte de l’époque (où la contraception était encore illégale en France, il fallait passer commande en Angleterre) pour saisir la fureur des bons parpaillots !
En même temps, le n° du Semeur sur « les Ruines » (= les adultes) affirmait que les fondamentalistes américains avaient bien le droit d’être rigoristes sur le plan sexuel s’ils le souhaitaient. C’était avant tout la bonne conscience centriste, les évidences, dans le domaine de la sexualité comme dans les autres, que nous attaquions.
Le second front était l’Union des Etudiants communistes, où j’avais adhéré. Quand ma tendance, celle des « Italiens » (c'est-à-dire ceux qui se réclamaient du philosophe Gramsci) a été exclue par le Parti Communiste, j’ai rejoint le CRIR, Centre révolutionnaire d’Initiatives et de Recherches. L’utopie était d’arriver à faire, à plusieurs, une critique de la société du XXe siècle analogue à celle que Marx avait faite pour le XIXe. Mais, en même temps, notre sens de l’humour qui nous empêchait de nous prendre trop au sérieux !
Après avoir dirigé Le Semeur, je dirigeais la revue Hérytem, critique politique de la vie quotidienne quand Mai 68 a commencé. Là encore, la critique se voulait globale, il fallait à la fois changer la société, changer la politique, changer la vie.
- Quels souvenirs marquants avez vous conservé de ce moment?
Globalement les mêmes que beaucoup d’autres : les barricades, les discussions interminables, les slogans inventifs, la Sorbonne occupée. Là, les locaux de la Ve section, la section des sciences religieuses de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, étaient occupés par les anarchistes qui avaient mis une grande banderole : « Ni Dieu ni Maître. » C’était géant !
J’ai reçu alors une très belle leçon de réalisme politique de la part de mon « patron » (de thèse), Daniel Robert. Il m’a dit : « Baubérot, vous qui êtes bien avec les anars, allez avec eux pour veiller à ce que, quand ils partiront, ce ne soit pas des gens de la VIe section de l’EPHE, celle des sciences sociales, qui occupent nos salles de cours. »
Il y avait, en effet, une rivalité entre les deux sections en matière de locaux ! Face aux inflations idéologiques, c’était une bonne dose de prosaïsme réaliste : derrière la révolution, la vie quotidienne continue ! En bon historien, Daniel Robert s’inquiétait moins de l’effervescence révolutionnaire –elle n’aurait qu’un temps !- que de ce qui arriverait à la fin de la dite révolution. D’abord très surpris, j’ai réfléchi et j’ai compris qu’il avait raison.
Mon regard sur les « événements » était ambivalent. D’un côté Mai 68 nous apportait la preuve que nous avions eu raison et donnait une ampleur insoupçonnée à la contestation. Les dirigeants du protestantisme, pour qui nous étions la « génération perdue de la guerre d’Algérie », étaient persuadés que les choses se calmeraient avec l’arrivée d’une nouvelle vague de jeunes ; ils en étaient pour leur frais ! Le Parti Communiste aussi.
De l’autre, nous préparions, à l’Alliance des Equipes Unionistes, depuis deux années un voyage à Cuba. Celui-ci a eu lieu en juillet août 1968 et nous nous sommes trouvés en décalage avec d’autres jeunes de deux, trois ans nos cadets, qui avaient décidé de venir au dernier moment, lors du mouvement de Mai 68. Ces derniers étaient politisés de très fraîche date et montrèrent un enthousiasme unilatéral.
Nous avons réussi, par le réseau de la JEC (la Jeunesse étudiante chrétienne, contestataires catholiques), à rencontrer des opposants et avons bien perçu que tout n’était pas rose. Et ils ne voulaient pas le voir ! En s’amplifiant, la contestation était devenue, pour parodier une phrase célèbre, « l’infini à la portée des caniches. »
- Quel regard portez vous sur votre implication et sur l'ensemble de la révolte (étudiante, ouvrière, voire politique)?
J’ai vécu Mai 68 comme le feu d’artifice qui clôture la fête. Les années suivantes ont été celles d’un tri, parfois douloureux, entre ce qui était solide et ce qui était illusoire dans les contestations menées. Un tournant a été pour moi une étude de Maxime Rodinson sur « Sociologie marxiste et idéologie marxiste ». J’ai beaucoup discuté avec l’auteur, un grand islamologue. Il m’a convaincu que l’objectivité n’était pas forcément « bourgeoise », au contraire il valait la peine d’y consacrer beaucoup d’efforts !
Une autre grande question était la suivante : peut-on avoir une vie « normale » sans trahir ce que nous avons voulu être ? Etre adulte sans être conformiste ? Je m’étais rapproché de Vive La Révolution, VLR, groupe anarcho-maoïste. Notre slogan préféré était : « Les pro-chinois en pro-Chine.» C’était une manière de contester la tournure dogmatique que prenait la contestation, avec notamment les maos de la Gauche Prolétarienne. Il fallait contester la contestation elle-même ! Cela donnait parfois le tournis !
Pour moi la grande leçon de cette période, qui va de la guerre d’Algérie à Mai 68, est la suivante : les idées minoritaires ne sont pas forcément vraies, mais les idées majoritaires sont presque toujours fausses. Même vraies au départ, leur transformation en idées dominantes les change en stéréotypes qui traînent dans toutes les poubelles.
Et pourtant, la démocratie est « le plus mauvais système excepté tous les autres. »… et le bon sens, la sagesse populaire a parfois raison contre des constructions intellectuelles sophistiquées, mais idéologiques.
Je n’ai pas cessé d’explorer ce paradoxe depuis quarante ans, et de vivre dans la tension que cela suscite. A tort ou à raison, j’estime que je ne m’en porte pas plus mal.
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