24/04/2008
LA LAÏCITE EXPLIQUEE A SARKO Ier POUR SON ANNIVERSAIRE
Bon, c’est la fin de l’insoutenable suspens !
Si vous avez acheté le Nouvel Obs (n°,2268 du 24 au 30 avril°, vous connaissez les deux nouvelles essentielles pour l’avenir de la planète.
D’une part Paris Hilton est en baisse. La preuve : « Alexander McQueen [dont j’apprends par là même l’existence, cela est fascinant !] l’a dit ; si elle se pointe dans sa boutique de L.A., il la vire. » [de plus en plus passionnant, non !] ça, c’est page 34, dans la rubrique bien nommée « Air du temps ».
Mais pour mes bloqueuses chéries que cette nouvelle déprimerait, j’en ai une autre qui va leur faire très plaisir (enfin, j’espère !) : Jean Baubérot, lui, est en hausse : c’est la valeur sûr du jour, du mois, de l’année, de la décennie. Allez, ne chipotons plus, la valeur en hausse du millénaire !
Ça c’est page 46 à 48 où le Nouvel Obs publie des « Bonnes feuilles » de mon prochain bouquin, celui qui, par sa mise en vente le 2 MAI, va révolutionner quoi ?... Tout et le reste naturellement.
Le titre complet est La laïcité expliquée à M. Sarkozy et à ceux qui écrivent ses discours. Edition Albin Michel.
Mais comme sa Majesté Sarko Ier + ses 3 plumitifs, cela ne fait quand même pas lourd comme lecteurs, j’en ai égratigné d’autres au passage. François Hollande et sa conception un peu figée de la laïcité, par exemple.
Donc c’est dans 8 jours, avec un beau dessin de Cabu, paru dans le Canard enchaîné en couverture. 264 pages pour 16 €. Alors, heureux ?
Je sais ce que vous allez me dire, internautes près de vos sous : mais nous avons déjà eu la substantifique moelle gratis, grâce aux Notes du Blog. Ah, vous êtes bien tous les mêmes : vous voulez tout savoir sans rien payer. Eh bien vous vous trompez lourdement.
Certes les internautes qui surfent sur ce blog ont eu, oserais-je dire la chance ? J’ose le dire bien sûr.
La chance donc d’avoir eu en exclusivité mondiale le fruit de mes premières cogitations (et ce n’est pas fini : il a y eu et y aura aussi des 1ers jets de bouquins futurs), mais qu’est-ce que vous croyez, j’ai travaillé plus pour pouvoir gagner plus (en droits d’auteurs). Il y a donc, dans l'ouvrage, plein de choses nouvelles, certaines sérieuses, d’autres impertinentes.
La preuve : j’ai été interviewé ce matin par deux journalistes : l’un avait lu le livre sur épreuves, et l’autres les Notes du blog. Forcément le premier était plus dans la course.
C’étaient de sacrés journalistes car ils m’ont bien tarabusté, ils m’ont poussé dans mes derniers retranchements. J’aime assez cela car ce sont les questions sans concession qui vous poussent à aller plus loin et un de leur propos c’était : mais finalement, pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
Et celui qui ne l’avait pas encore lu (l’autre savait que je ne n’étais pas tendre pour le PS…hollandais) d’ajouter : c’est un livre politique, pas vraiment universitaire comme les autres. Et de me soupçonner de mauvaises intentions,…
Bien sûr, chaque livre ne ressemble pas tout à fait aux autres. Là c’est un livre qui tente de garder l’esprit du Blog, du moins l’évolution que je lui ai donné (et que m’a reproché une internaute) : être plus mordant, incisif, voire polémique et mettre un peu d’humour. Mais tout cela constitue un moyen de faire passer… trente ans (eh oui) de recherches sur la laïcité.
Non seulement de synthétiser ce que j’ai écrit dans d’autres livres et articles, mais d’aller un peu plus loin dans ce qui me semble le grand problème actuel : comment inventer une laïcité du XXIe siècle pour des sociétés pluriculturelles ? Et aujourd'hui toutes les démocratie modernes le sont plus ou moins.
Donc ce livre, pourquoi l’ai-je écrit ?
Pour plusieurs raisons :
1°Parce qu’ayant écrit L’intégrisme républicain contre la laïcité, quand la religion civile rrrrépublicaine était hégémonique, je devais aussi prendre position face à des discours qui sont dans l’optique d’une religion civile américaine matinée de néo-cléricalisme. (c’est ce que tente de démontrer le livre)
2°Parce que les discours de Sa Majesté Sarko Ier comportent un double péril :
-celui d’avoir l’agréable douceur du chant des sirènes aux oreilles de beaucoup de croyants (d’où, à la fin du livre, un 1er Post scriptum sous forme d’une Lettre au croyants : c’est l’essentiel de cette Lettre que publie le Nouvel-Obs : je l’en remercie beaucoup ; je signale cependant que cela n’est pas très représentatif du livre lui-même qui consiste en une lettre, en dix chapitres, à Sarko et à ses plumitifs). Quand on vit un malaise, on est content si Papa Etat vient vous prendre par la main. D’où ma thèse : il ne faut pas affronter la sécularisation par moins de laïcité, mais par plus de vitalité.
-celui d’être objectivement choquant pour les laïques convaincus, qui peuvent donc se draper dans leur bonne conscience outragée et critiquer ces discours par les formules rituelles. Mais répéter de vieilles lunes n’a jamais fait avancer le schmilblick ! D’où un 2ème Post scriptum : une Lettre aux partisans de la laïcité sans épithète où je défend la thèse d’une sortie sociale des Lumières qui fait que le discours laïque peut être lui aussi un discours nostalgique et passéiste privilégiant les « racines » et non un discours construisant l’avenir.
3°Mais l’essentiel du livre consiste en un décryptage des discours sarkoziens : à Latran, à Riyad et au CRIF. D’abord ce n’est pas rien 3 discours présidentiels qui veulent innover sur la laïcité. Ensuite, et peut-être surtout, plus je relisais ces discours, plus j’en parlais avec d’autres, plus tout cela m’est apparu très représentatif de la confusion dans laquelle nous sommes actuellement en matière de laïcité.
Cette confusion où on mélange tout allègrement nous rend incapable de faire face à notre situation actuelle.
4°Et ce n’est pas étonnant, car, depuis 20 ans (ce qui, pour l’historien est très court), nous sommes progressivement passé d’une laïcité arbitrant le conflit des deux France (les dernières queues de conflit ont été les manifs sur l’école : contre le service unifié laïque en 1984 et pour l’école laïque, contre la modification de la loi Falloux en 1994) à une laïcité devant assurer le vivre ensemble de sociétés pluriculturelles.
Ce ne sont plus les même enjeux, même si l’histoire peut, en la matière, être une dynamique pour inventer l’avenir. Tâtonnements et expérimentations sont nécessaires. La rigueur est souhaitable pour éviter des erreurs trop énormes.
A côté du sérieux, il y a de l’humour, il y a du persiflage, de méchantes piques,… et quelques têtes de Turcs. On peut trouver mes blagues plus ou moins mauvaises, OK. Mais elles ont deux rôles, deux niveaux.
Au premier niveau, celui de la lecture immédiate, ces blagues fonctionnent un peu comme un thermostat. L’alternance de propos de fond et de piques plus légères rend (je l’espère !) la lecture plus facile. Donc cela voudrait avoir une vertu pédagogique.
Mais, il y a un second niveau : quand je vise tout l’aspect bling-bling de la virée au Vatican, quand je me paie la présence de Bigard, choisi de préférence à l’intellectuel Rémi Brague dans la délégation, quand je pointe les erreurs manifestes, le n’importe quoi,… à travers Sarkozy et ses plumes, c’est un peu la société dans son ensemble qui se trouve visée.
Et si c’était tout l’ordre social, l’ordre médiatico-social, qui fonctionnait de manière bling-bling ? Si la grande méprise du Président et sa brutale chute de popularité provenaient du fait que les gens n’ont pas supporté le miroir que Sarko leur donnait d'eux-mêmes ?
Car enfin, tout le monde connaît Bigard et…bien peu Rémi Brague. Entre un humoriste vraiment dégueu (spécialiste des « lâchers de salopes » sic) qui « remplit de stade de France » (sic Sarko à Benoît XVI !) et un prof qui remplit une salle de cours d’Harvard ou de la Sorbonne, notre Président avait raison de penser qu’il n’y a pas photo !
Car enfin, il y a eu un intéressant paradoxe, pas assez mis en lumière: les même causes qui ont fait baiiser Sarko dans les sondages (ses frasques, son côté bling-bling,...) ont fait augmenter les tirages de journaux: ceux-ci l'ont reconnu: Sarko était une aubaine pour eux, et l'aubaine est fini depuis qu'il tente de prendre de la hauteur!
Autrement dit: on s'indignait à tout va,...et on en redemandait!
D’ailleurs, si j’ai commencé cette Note en parlant de Miss Paris Hilton, (qui, entre nous, comme elle est en baisse, me supplie de lui livrer le secret de ma réussite, contre tous ses milliards. ce que je dédaigne, naturellement. Si le taux de change n'était pas si défavorable au "billet vert", je pourrais reconsidérer la question), c'est parce que Sarko peut bien renoncer à ses aspects bling-bling, notre société, elle, n'y renoncera certes pas. Au contraire …
Moralité :
Vous rirez en lisant mon livre, mais attention, à la réflexion, vous risquez parfois de rire jaune !
17:30 Publié dans Ouvrages de Jean Baubérot | Lien permanent | Commentaires (3)
19/04/2008
LA FOUDRE LAÏQUE
Carla, mets vite ton petit Nicolas à l’abri
François (Hollande), prépare toi une retraite mouvementée
Henri (Guaino), va pérorer sur « l’homme antarctique »
Emmanuelle (Mignon) retourne chez les scouts
Philippe (Verdin) enferme toi dans ton monastère,....
TREMBLEZ vous et tous les autres:
LE 2 MAI, LA FOUDRE LAÏQUE VA FRAPPER
ET PERSONNE N'EN RESORTIRA INDEMNE!
17:55 Publié dans Laïcité et crise de l'identité française | Lien permanent | Commentaires (2)
13/04/2008
AGNOSTIQUE ET CROYANT
Donc je reprends le problème je j’avais posé, il y a déjà plusieurs semaines avec la question : peut-on être agnostique et croyant ? Cette question m’est venue en lisant un livre passionnant (dont j’ai donné ici la 4ème de couverture) Naissance des Dieux, devenir de l’homme, une autre lecture de la religion d’Henri Hatzfeld (publié aux Presse Universitaires de Strasbourg).
En lisant cet ouvrage, je me suis dis : je partage globalement l’approche qui est une approche anthropologique des religions, la plupart des hypothèses et analyses de l’auteur me semble convaincantes : pour prendre un exemple l’analogie qu’il effectue entre les religions et les langues comme instrument nécessaire de lecture du monde m’apparaît très pertinente.
Je suis même plus radical que lui à ce sujet. En effet, pour moi c’est le symbolique qui est un instrument nécessaire de lecture du monde et le symbolique déborde le religieux (tout ce qui s’est joué autour de la flamme olympique est hautement symbolique sans être religieux). Alors pourquoi, diantre, l’auteur estime-t-il qu’il faut être athée pour appréhender la religion comme il le fait ? Je ne suis pas athée et, si je peux discuter certains détails techniques, je suis en accord complet avec l’architecture de son propos.Il faut dire quelques mots de l’itinéraire d’Henry Hatzfeld, qu’il rappelle lui-même en début du livre. Hatzfeld était un pasteur protestant qui s’est progressivement aperçu qu’il ne croyait plus à ce qu’il prêchait et qui en a tiré les conséquences en quittant le pastorat.
La liberté de religion, selon les textes internationaux, c’est la liberté de croire ou de ne pas croire, de s’engager dans une religion, de changer de religion, de quitter la religion. L’itinéraire d’Hatzfeld s’inscrit dans ce droit fondamental qui, seul, garantit l’authenticité de la personne dans ses convictions.
L’itinéraire d’Hatzfeld mérite d’autant plus un grand respect qu’il s’est accompagné d’une riche réflexion sur son vécu, réflexion qu’il a fait partager dans un beau livre : La flamme et le vent.Encore au début de l’ouvrage, il a de belles phrases, pudiques et profonde, pour rendre compte de l’expérience intime qui l’a éloigné du protestantisme croyant :
« Quand on a su ce que c’est que la foi, on ne peut pas la feindre lorsqu’on ne l’a plus. Il n’est pas aisé de vivre le conflit de la fidélité et de la sincérité. »
Un temps, il a hésité : « Comme s’il fallait choisir entre l’illusion religieuse et la vision tragique d’un monde absurde. Or ce n’était ni l’un ni l’autre. (…) se risquer hors du refuge que constitue la croyance et la pensée religieuse n’impliquait ni une transgression effrayante, ni le retournement de toutes les valeurs. Je pouvais me mettre en route dans un monde déjà bien connu, même s’il devait encore me réserver beaucoup de surprises. J’avais l’impression de continuer plutôt que de rompre. »
Je cite ces propos, précisément parce que, là, il ne s’agit pas d’analyse mais d’un vécu qui n’est pas le mien. A ce titre, il m’intéresse beaucoup. Je ne rendrais pas compte de mon rapport à la religion en terme de « refuge » Comme sociologue ou historien, je perçois ce qu’il veut dire, mais existentiellement, cela ne correspond à rien. Pour ma part, je parlerai plutôt de mon rapport à la croyance en termes de « joie » et de « richesse spirituelle ».
Mais, précisément, il est important d’échanger aussi sur son vécu et pas seulement sur des analyses et abstractions, même si ces dernières sont également essentielles.
En fait, le rappel par Hatzfeld de son itinéraire m’a fait réfléchir au mien, et nos chemins se sont croisés, comme deux trains allant dans des sens aller et retour.
Hatzfeld a ‘perdu la foi’ selon l’expression consacrée. Il est devenu professeur de sociologie et, tout en effectuant de savants travaux sur les origines, la genèse de la sécurité sociale, il a consacré (pendant 25 ans) une heure de son enseignement à la sociologie de la religion.
Devenu athée, l’étude sociologique objectivante et froide a remplacé chez lui l’attitude croyante.
Pour ma part, quand j’ai commencé à faire de la recherche historique, j’étais à la frontière de la croyance et de l’athéisme. Parmi mes lieux de militance, il y avait l’Union des étudiants communistes, alors en délicatesse avec le PC. J’étais dans la tendance dit « italienne ».
En gros il y avait les pro parti, les maos, les trotskistes. Nous, nous étions influencés par Gramsci, qui avait rénové intellectuellement la pensée marxiste, mais comme nous étions contre le culte de la personnalité, nous ne nous appelions pas « gramscistes », mais « italiens ». En plus le PC italien évoluait dans un sens démocratique alors que le PC français était toujours stalinien.
Après, nous avons du quitter l’UEC et nous avons fondé un « groupuscule » « gauchiste », le CRIR où Centre Révolutionnaire d’Etudes et de Recherches. C’était peu avant Mai 68.
Vous voyez, je vous l’avais prédis, vous n’échappez pas aux souvenirs d’ancien combattant, en cette année de 40ème anniversaire. Et ce n’est peut-être pas fini !
Mais tout cas, pour indiquer brièvement ma situation convictionnelle quand j’ai soutenu mon doctorat, puis suis devenu assistant de recherche à l’EPHE.
Mes études « scientifiques », universitaires, portaient alors sur le protestantisme, au moment même où, au sein du CRIR, je participais à une entreprise dont le but était « de refaire collectivement pour le XXe siècle, ce que Marx avait fait pour le XIXe » Rien de moins !
C’est aussi à ce moment là que j’ai complété ma formation d’historien par une formation de sociologue. Dans l’une ou l’autre discipline, ce qui m’a été enseigné, ce que j’ai cherché à pratiquer, c’est ce que l’on appelle l’agnosticisme méthodologique.
On n’est pas dans l’ordre de la conviction, de la croyance ou de l’incroyance, on n’a pas besoin de savoir si c’est vrai ou pas quand on décortique une réalité socioreligieuse. On n’est ni dans une posture de croyant, ni dans une posture d’athée. On est dans une démarche de connaissance. Et c’est passionnant.
Weber appelle cela la « neutralité axiologique », on pourrait parler aussi de suspension de jugements de valeurs.
Il me semble, étant donné le rapport social à la médecine, que l’image la plus parlante pour se faire comprendre consiste à comparer avec le travail du médecin. D’autant plus que je pense que souvent on en accorde trop au médecin, et pas assez à l’historien et au sociologue.
J’y reviendrai. D’autant plus que cela permettra de parler du problème (actuel) des femmes dites « musulmanes » qui refusent d’être examiné par un médecin homme. Et aussi du problème (permanent) du passage de l’expert, du clerc, au clérical.Mais voyons d’abord rapidement comment cela se passe dans la réalité sociale.
Quand un médecin examine un accidenté de la route, peu lui importe s’il s’agit d’un chauffard ou d’une victime. Ce qui l’occupe, c’est l’établissement de son diagnostic.Libre à lui, de militer ou pas, en dehors de son travail professionnel, dans une association de sécurité routière et, là, éventuellement, de combattre les chauffards.
Plus encore, dans certains cas, lors d’un examen médical, le médecin aura sans doute besoin de connaître non seulement l’état clinique du patient mais aussi des aspects de sa vie personnelle, voire intime. Ces aspects, il doit s’en occuper strictement par rapport à leurs aspects médicaux. Il n’a pas à les juger, en tant que médecin.
De même le médecin peut légitimement voir et toucher, au niveau de la manière dont la société fonctionne, s’organise, des parties du corps normalement réservées aux personnes avec lesquelles on a une relation intime.
Il faudrait alors compléter l’expression neutralité axiologique par celles de neutralité d’affects, de neutralité de sensualité, ou quelque chose comme cela
(si une/un internaute trouve une formule appropriée, je suis preneur).
Tout cela signifie que le médecin se trouve dans une démarche d’agnosticisme par rapport à ses valeurs propres, de neutralité, d’objectivation, de réduction de la réalité avec laquelle il entre en rapport à ce qui lui est professionnellement opératoire.
Eh bien, il n’y a pas aucune raison (si ce n’est le rapport sacral que la société a entretenu avec la médecine) qu’il n’en soit pas de même pour l’historien ou le sociologue. Une véritable démarche scientifique, en histoire, en sociologie, est complexe, difficile, demande un gros investissement et nécessite que l’on mettre entre parenthèse d’autres préoccupations.Il faut, là aussi, réduire la réalité à ce qui est opérationnalisable.
C’est ce que j’ai appris dans ma formation d’historien et de sociologue
C’est ce que me suis efforcé de pratiquer, sous le contrôle de mes maîtres, d’abord, de mes paires ensuite, lesquelles avaient des croyances et incroyances, des convictions très diverses.
Et encore aujourd’hui, quand je vais au Japon, par exemple, on m’attend sur la solidité scientifique de ce que je peux raconter. Si mes collègues, qui vivent dans un univers social très différent du mien sur le plan du symbolique, estimaient que mes dires étaient imprégnés par du convictionnel ; par de la croyance, cela ferait belle lurette qu’ils ne m’inviteraient plus !
Reprenons brièvement mon itinéraire comme ayant croisé celui d’Hatzfeld:
En 1975, je suis redevenu véritablement protestant croyant. Sans doute cela ne s’est pas fait en un jour, même s’il y a eu un jour décisif.
Eh bien, cela n’a rien changé à mon approche « scientifique », universitaire de la religion. Au contraire, car plus on travaille, plus on approfondit une démarche de connaissance.
Et je me suis senti à l’aise dans cet agnosticisme après ce « retour de foi », tout autant que je m’étais senti à l’aise avant. Je n’ai eu ni problème métaphysique, ni problème existentiel. Aucun état d’âme.C’est d’ailleurs pourquoi quand je lis Henri Hatzfeld et ce qu’il écrit sur la construction sociologique, historique, des religions, sur l’invention humaine des religions, je trouve ses propos totalement pertinent.
Que la religion soit œuvre humaine ne me trouble en rien. Là où j’estime, en revanche, qu’Hatzfeld a radicalement tort et quitte le terrain scientifique, c’est quand il glisse…
…Il glisse de religions qui seraient œuvre humaine à religions qui ne seraient QU’œuvre humaine, qui seraient totalement œuvre humaine.Là il prend une position convictionnelle qui n’a plus rien de scientifique.
Là il remplace la démarche de doute méthodologique, de mise entre parenthèse de convictions par l’expression d’une conviction, certes totalement respectable, mais qui n’a à faire ici et brouille l’analyse.
Car, à mon sens, à cause de cela, il n’arrive pas à prendre totalement en compte le symbolique non religieux et à l’inclure dans son analyse. Dans le Musée d’Hiroshima règne une atmosphère de recueillement « religieux » que l’on ne retrouve pas forcément l’été dans les cathédrales. Et dans la 1ère Note sur ce thème d’aujourd’hui, j’ai précisé le sens et le rôle du symbolique.
C’est pour cela, à mon sens, qu’il minimise l’apport du processus de sécularisation, en ayant une approche plus anthropologique que socio-historique de la religion. Certes il a raison de dire qu’insister sur le déclin du religieux est unilatéral. Mais cela ne signifie nullement que la situation culturelle aujourd’hui, par rapport à la religion, soit identique à celle d’il y a quelques siècles.
Autrement dit, quand il remplace l’agnosticisme méthodologique par un athéisme convictionnel, il ne situe plus complètement dans la nécessaire gymnastique intellectuelle (et symbolique) qui fait qu’on ne doit pas être tout à fait le même dans son rôle professionnel et dans d’autres aspects de sa vie.
Mais je dis cela à charge de revanche, c'est-à-dire que je lui donne tout autant le droit de décrypter des failles dans ma propre démarche. La conquête de la scientificité est toujours œuvre collective qui nécessite critiques réciproques.
Donc je tente cet agnosticisme méthodologique, ce doute nécessaire à la connaissance qui est toujours, à mon sens, une démarche en devenir. Et je trouve cela tellement intéressant au niveau de sa propre qualité de vie que je l’applique à tout ce qui est connaissable et pas seulement à l’exercice de mon métier d’historien et de sociologue.
Tout ce qui est, à mon sens, de l’ordre de la connaissance est redevable d’une démarche d’agnosticisme.
C’est fondamental dans une démocratie où le citoyen est censé se faire une opinion sur tout.
Mais une opinion n’est pas un savoir.
Alors dans beaucoup de domaines, dans la plupart des domaines, on n’a pas la maîtrise de savoirs personnels, on n’a pas une démarche active et personnelle de connaissance. On reçoit passivement des informations. On est surinformé quantitativement mais extrêmement sous-informé qualitativement.Le doute est alors requis. Bien connaître les limites de ce que l’on sait, bien savoir ce que l’on ne sait pas. L’agnosticisme devient une éthique de vie et pas seulement la pratique d’un métier.
(à suivre)
15:50 Publié dans PROBLEMATIQUE | Lien permanent | Commentaires (0)
09/04/2008
DE LA PROFANATION DE TOMBES MUSULMANES
Je suis débordé de travail, mais je ne veux pas abandonner celles et ceux qui me font l’amitié de venir régulièrement sur ce Blog. Et il y a toujours des choses que l’on « rumine », même si l’on pas le temps de les approfondir.
Un journaliste m’a demandé dernièrement quand j’allais continuer ma Note sur « agnostique et croyant » : j’y pense… et je lui ai répondu : « dés que j’aurai 2 heures de libre pour me concentrer un peu ». Mais cela m’a remis dans le coup et m’a fait « carburer » en moi-même à propos de ce que j’avais dit concernant le symbolique.
Or l’actualité vient de nous fournir 2 faits qui relèvent de ce « champ symbolique » (pour employer une expression de sociologue) : la profanation de tombes musulmanes, les contestations du passage de la flamme olympique à Paris.
Bien sûr ces 2 faits sont très divergents sur le plan éthique, mais au-delà des nécessaires jugements de valeurs, ils montrent, tous les deux, l’importance du symbolique. Et les gens, en génral, se sont montrés singulièrement démunis à ce niveau.
La profanation des tombes musulmanes donne, une fois de plus (malheureusement) tort à celles (n’est-ce pas Caroline F.) et ceux qui prétendent que l’islamophobie ne correspond pas à de la réalité sociale.
J’ai entendu sur je ne sais plus quelle radio, une journaliste prétendre que ce n’était pas si grave que cela, style : les gens qui sont morts, on ne peut plus les atteindre. Outre que ce sont des vivants qui sont visés à travers les morts, de tels propos traduisent une méconnaissance profonde du symbolique.
La profanation des tombes de combattants musulmans est l’expression la plus absolue possible du refus de la présence d’une communauté musulmane en France (pas de faux procès, j’entends ce terme de communauté nullement dans un sens d’englobement de l’individu, mais comme le regroupement libre, volontaire, en tension parfois, de gens autour d’un terme commun, que ce terme soit catholicisme, libre-pensée, judaïsme, maçonnerie, protestantisme, bouddhisme, islam,…)
Ces tombes constituent un triple symbole.
D’abord le symbole d’une légitimité acquise, il y a près d’un siècle maintenant, par le « sang » : des musulmans ont « sacrifié leur vie pour la France » comme on disait encore il y a peu. Ce vocabulaire peut paraître désuet. Mais il faut faire attention que ne plus employer, tout à coup, certaines expressions parce qu’elles apparaissent « ringardes » peut être une manière commode de rejeter dans l’impensé des réalités dérangeantes.
Ensuite, cela rappelle qu’un tel « sacrifice » a été vraiment très mal « récompensé » Si vous ne connaissez pas la question et que vous voulez bénéficier d’une synthèse courte mais bien faite, je vous recommande la contribution de Patrick Weill : Le statut des musulmans en Algérie coloniale : une nationalité française dénaturée, publié dans l’ouvrage dirigé par M. Arkoun : Histoire de l’islam et des musulmans en France, Albin Michel, 2006.
Pendant des décennies les « Français musulmans » auxquels beaucoup expliquent aujourd’hui que la laïcité signifierait un reflux de leur religion dans la sphère privée (c’est plus complexe : tout dépend si on appelle sphère publique ce qui est en fait la sphère institutionnelle, liée à l’Etat, aux collectivités publiques) on été publiquement et officiellement désignés par leur religion, et cela les privait de citoyenneté.
Autrement dit la France a exigé des « Français musulmans » les même devoirs qu’elle a demandé aux autres Français, y compris le « devoir suprême », sans donner les mêmes droits. Certes, il n’y a pas que des musulmans qui ont été victimes de ce déni de droits, d’autres colonisés l’on été également. Mais les dits « Français musulmans » ont été au premier rang de cette discrimination.
Enfin, j’ai une doctorante qui travaille sur les sépultures musulmanes. Elle insiste, avec justesse, sur le fait que « la relation à la terre, notamment face à la mort, est un révélateur de l’appartenance à cette même terre. » L’inhumation de ces soldats dans la France hexagonale en fait symboliquement des Français pour toujours.
Et actuellement, le choix d’être enterrés en France par de nombreux musulmans venus d’autres pays montre une identité française assumée.
La profanation des tombes s’est accompagnée de graffitis injurieux envers Rachida Dati. On peut penser ce que l’on veut de la politique de cette dame, ces graffitis n’ont rien à voir avec une critique. C’est le fait même que l’on puisse être musulmane et ministre qui est insupportable aux auteurs de cette profanation.
Ce qui montre, en creux, l’importance du symbole qu’incarne Rachida Dati. Encore une fois, quelque soit la politique qu’elle met en œuvre. Elle oblige beaucoup de nos concitoyens à changer leurs regards.
On s’est indigné de ces profanations. Vraiment pas longtemps, car on est passé tout de suite après à l’affaire de la flamme olympique, et la profanation des tombes semble déjà oubliée. Elle devrait pourtant donner lieu à une explication historique, à réintégrer ces « Français musulmans » dans notre histoire commune. Espérons que le prochain 11 novembre en sera l’occasion, sans qu’il ait besoin que de sinistres individus nous obligent, à leur insu, à un tel rappel.
(la suite demain, si j’ai le temps ; sinon dans 2, 3 jours)
18:20 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (2)
06/04/2008
LE 2 MAI, LA LAÏCITE A LA FÊTE
Nicolas Sarkozy prend 1666666 mesures pour faire plein d’économies et, qu’en 2012, chaque Français puisse acquérir un yacht
(Après tout, Henri IV, qui était comme lui, chanoine du Latran, faisait en sorte que, chaque dimanche, les Français mangent une poule au pot).
Il fait rentrer la France dans l’Océan Atlantique.
Il gagne la guerre en Afghanistan.
Il séduit chaque matin Carla en se rasant sans la raser.
Il remporte mille autres victoires.Bref, Sarko Ier, empereur des Français, ne craint qu’une chose et une seule :
QUE LA LAÏCITE LUI TOMBE SUR LA TETE
Et le PS, ce supplétif de J.-P. Brard,
A EXACTEMENT LA MEME CRAINTE
Or ce sera chose faite
Dans moins de 4 semaines :
Le 1er mai = Fête du travail
Le 2 mai 2008 : FÊTE DE LA LAÏCITE
Qu’on se le dise….
(dans 2, 3 jours, une Note « classique »)
11:50 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (0)