09/02/2008
LE LIVRE QUE SARKOSY DOIT LIRE ABSOLUMENT POUR EN FINIR AVEC LES "RACINES CHRETIENNES"
Chers Amis,
Je reviens de Montréal où je vais périodiquement, actuellement, pour réaliser de passionnantes interviews sur des débats qui mettent en jeu différentes conceptions de la laïcité.
Et notamment la question de ce que l’on appelle au Canada les « accommodements raisonnables »[1].Eh bien, vous allez être très surpris, j’avais de la peine à faire parler de ces beaux sujets mes interlocuteurs, des gens très bien au demeurant (magistrats, universitaires, etc). C’est eux qui me questionnaient. D’abord : « Alors Carla et Nicolas, c’est quand le mariage ? » Et à peine le mariage fut-il (mariage futile ?) prononcé que la grande question fut : « Alors, c’est quand le divorce ? »
J’ai répondu : « si vous voulez parler de la France, il y a moult problèmes, celui du pouvoir d’achat par exemple,… » Mais nib de sib, le pouvoir d’achat des Français les laissait encore plus froids encore que la température ambiante. En revanche Nicocarla,… Pourtant, ce n’était même pas encore la Saint Valentin[2]
Et là j’ai eu une révélation : le pouvoir d’achat, c’est particulariste, voire même sans doute « communautariste ». Les Zamours nicoliens-carlatantinesques, c’est universel. Voilà le nouvel universalisme républicain. Et pas complètement abstrait, en plus.
D’accord je suis Le Grand spécialiste du sujet, mais à la fin j’avais l’overdose. Alors je me suis promis, juré à moi-même personnellement, de ne plus parler du couple infernal pendant au moins 3 Notes. Et vlan, à peine rentré à Paris, un colis m’attendait avec un livre qui, immédiatement, m’a obligé à penser de nouveau à Nicolas.
En effet c’est THE livre qu’il doit lire de toute urgence pour ne pas raconter n’importe quoi la prochaine fois qu’il ira chanoiniser. Le moment est d’ailleurs favorable : à un mois des municipales, s’il veut éviter le naufrage, qu’il s’enferme dans son petit 450 pièces-cuisine élyséen, s’adonne à cette admirable lecture et, surtout, ne dise plus rien.
En prenant des notes, il en aura bien pour 8 jours. Il a tellement à désapprendre et à apprendre sur le sujet. Il faut dire que cette somme fait exactement 95 pages, en comptant les annexes toutefois.
Le livre est extraordinaire, prodigieux, c’est la huitième merveille du monde, qu’écris-je la première, la seule ! Pipi de chat que les z’autres !
Pourtant, jusqu’alors je me suis extrêmement méfié de l’auteur, un certain Jean baubérot. Ma grande amie, Caroline F., m’a en effet amicalement mise en garde : « l’humour est sa cup of tea, cela prouve bien son penchant pour la laïcité à l’anglo-saxonne. »
J’ai donc failli ne pas le lire. Et, en fait, il n’y a pas la moindre blague dans le texte. Donc, on peut, à la rigueur et par grande indulgence, penser que le dit auteur n’est pas complètement antirépublicain.
Pourquoi ce livre doit devenir l’ouvrage de chevet du petit Nicolas ? Parce qu’il s’agit d’une Petite histoire du christianisme (Librio)… et que l’on y trouve pas l’expression de « racines chrétiennes ».
En revanche, en 150000 signes (c’est dire que l’auteur a passé plus de temps à sélectionner, modifier pour pouvoir raccourcir tout en étant clair, etc), vous avez vingt siècles (et quelques années en supplément gratuit) pour 3 €. C’est donné, et si votre supermarché n’en a pas au moins 20 exemplaires en rayon, changez immédiatement de crémerie.
Non ce n’est pas la perspective essentialiste des « racines », mais celle, historique, des périodes. S’il est exact d’une société est pétri d’historicité, toutes les périodes de son histoire sont sédimentées dans son présent, et pas seulement ses « racines ».
L’héritage chrétien de la France -qui est un de ses héritages, pas le seul- est façonné par différentes périodes.
Du premier au IIIème siècle, nous trouvons la 1ère période, celle du christianisme persécuté et pourtant de plus en plus présent dans la société romaine, à tel point qu’au IV et Vème siècles (seconde période), il devient affaire d’Empire. L’Empire s’écroule et le christianisme se fait (IIIème période) civilisateur de nations.
Des croisades à la Reconquista (qui ne se termine qu’en 1578), un christianisme sur de lui et dominateur, est à la fois bâtisseur de cathédrales, créateur d’universités et de culture savante, persécuteur de juifs, de musulmans et des multiples hérétiques qu’il produit en son sein (IVème période). Il s’agit du christianisme latin, le christianisme oriental a pris le large.
Arrivent, pratiquement simultanément, une Vème période marquée par l’extension mondiale plus ou moins réussie (échec des rites chinois) du christianisme, en même temps que la division du christianisme latin engendre le pluralisme et favorise le début du double processus de sécularisation et de laïcisation.
La modernité est en marche, et rien ne va l’arrêter (VIème période). Elle se produit à la fois dans et contre le christianisme et celles et ceux qui oublient une des deux données du problème, se plantent royalement. La volonté des institutions chrétiennes de rester dominantes engendre un anticléricalisme d’Etat, plus ou moins fort suivant le rapport des Eglises à la modernité. Au même moment, le christianisme participe, par les missions, à la nouvelle vague d’expansion européenne.
La VIIème période se marque par les totalitarismes séculiers qui persécutent chrétiens (communisme) ou entretiennent avec les Eglises des rapports ambiguës (fascisme, nazisme). L’œcuménisme apparaît comme une nouvelle marque de vitalité chrétienne face aux défis de la modernité triomphante. L’individualisation de la religion favorise cependant de nouvelles formes de christianisme. Et de nouveaux défis apparaissent : progression de la rationalité instrumentale, de l’émotionnel médiatique,…
Voilà en gros la perspective générale. C’est aussi la justification du livre (outre son aspect vulgarisateur pour un grand public, lié à la collection dans laquelle il paraît). Honnêtement, il me semble qu’une telle perspective, ou du moins l’attention à la modernité, à la sécularisation et à la laïcisation qu’elle suppose, n’existe de façon systématique dans aucun autre ouvrage d’histoire du christianisme en français[3].
Pour la petite histoire, j’ai eu très peur quand a paru, alors que je rédigeais mon propre ouvrage, l’Histoire du christianisme au Seuil dirigé par Alain Corbin. D’abord parce que Corbin est un très grand historien, qui a beaucoup renouvelé l’historiographie, même s’il n’a pas tellement fait école (c’est un ami, en plus). Ensuite, parce que cet ouvrage fait 500 pages et que le mien devait en faire 75 + les annexes. Enfin, parce qu’ils se sont mis à… 57 historiens pour le rédiger.
J’ai trouvé cette Histoire du christianisme excellente, innovante sur bien des points (de très bons chercheurs y résument les résultats de leurs recherches) et, curieusement, d’architecture assez classique. Je dois avoir des chevilles beaucoup trop enflées, cela ne m’a semblé nullement disqualifier ma petite entreprise.
La perspective est autre. Les deux sont donc complémentaires.Reste aussi que les 2 ne courent pas dans la même catégorie : le mien est fondamentalement un ouvrage de vulgarisation ;
Au sein de la perspective adoptée, l’objectif de cet ouvrage de vulgarisation est triple :
- présenter clairement les principaux événements, faits de divers ordres, grandes orientations et querelles théologiques, en simplifiant sans déformer, en racontant l’histoire des vaincus comme celle des vainqueurs, en rectifiant au passage, sans avoir l’air, nombre d’idées reçues et d’erreurs communes
- rendre compte de toutes les facettes du christianisme qui est culte et culture, foi et civilisation et qui a été, des siècles durant, religion et politique. D’où une approche du christianisme comme fait de civilisation, allant de l’horrible à l’admirable, et en laissant d’ailleurs le lecteur faire ses jugements de valeur. Ce livre parle non seulement d’histoire de la religion, mais aussi d’histoire de la politique, d’histoire des arts, d’histoire des guerres et des paix, d’histoire des femmes, d’histoire de la colonisation, d’histoire de la modernité (et de la laïcité, naturellement),...
- porter donc un regard d’historien, qui ne soit ni polémique ni apologétique. Pratiquer l’ « agnosticisme méthodologique ». Dans l’exercice de son métier, l’historien n’a pas à se demander si le christianisme est « vrai » ou « faux », de la même façon qu’un médecin examinera les organes d’un accidenté de la route sans se demander s’il s’agit de l’auteur de l’accident ou de la victime d’un chauffard.
Alors, je vous assure, avoir de tels objectifs donne pas mal de sueurs froides. Vous travaillez tard le soir. Vous avez écrit le nombre de pages que vous vous étiez fixé, et (en plus) vous êtes content du résultat!
Et patatras, la nuit les faits que vous n’avez pas sélectionnés, les personnages que vous avez décidé de ne pas mettre vous tirent les oreilles et vous gratouillent les pieds. Alors vous les rajoutez.
Mais du coup, alors que vous aviez passé la journée précédente à réduire votre propos de 20000 à 5000 signes (encore un peu au dessus de la prévision !), au lieu d’avancer et de commencer un nouveau chapitre, vous vous retrouvez avec 8000 signes, le double de ce que vous accorde votre plan ! Il va encore vous falloir travailler pour réduire. Et, au total, nous n’aurez encore pas attaquer le fameux chapitre suivant…
C’est frustrant, mais c’est le passage au réel des merveilleuses idées qui vous trottent dans la tête. Et pour vous donner une petite idée de ce que cela donne, une fois réalisé, je vous livre le début de l’ouvrage (exprès, il ne comporte pas de « vie de Jésus », le problème : Jésus de la foi et Jésus de l’histoire est un autre livre).
Chapitre 1
L’émergence du christianisme
Chrétiens avant d’être citoyens.
Dans l’Empire romain, où le sacrifice aux divinités protectrices constitue un acte de loyauté politique, des individus bizarres refusent de participer à ce culte. Ils se rendent ainsi coupables d’un crime de lèse majesté et attirent la colère de la foule quand épidémies, mauvaises récoltes et défaites militaires apparaissent la conséquence de leur conduite « impie ». Lorsque le magistrat les interroge, ils affirment s’appeler « chrétiens » et annoncer un « évangile ». Ce terme est familier du monde gréco-romain. Lors de l’accession au trône d’un empereur on proclame son évangile, c'est-à-dire « la bonne nouvelle » qu’il va amener prospérité, paix et justice. Mais ces chrétiens prétendent qu’il n’existe qu’un seul « évangile » incarné par l’enseignement, la mort et la résurrection d’un certain Jésus qu’ils qualifient de Christ. Par extension, ils désignent aussi par ce terme des récits de sa vie destinés à susciter la foi dans ce Christ et le Dieu qu’il révèlerait.
Le terme de Christ correspond, en grec, à l’hébreu Messie et signifie «envoyé de Dieu ». Les juifs, qui forment des communautés dynamiques en divers endroits de l’Empire, attendent la venue d’un Messie. Les chrétiens affirment qu’il est déjà venu, puisqu’il s’agit de Jésus, et pensent qu’il va bientôt revenir. En soi, cela ne dérange pas l’ordre impérial ouvert à la multiplicité des cultes et les chrétiens, de leur côté, se déclarent soumis aux autorités. Mais ils désobéissent en refusant d’adorer toute autre divinité que leur Christ et son Dieu. Cela met ceux qui sont baptisés à l’écart d’une part de la vie publique : certains métiers ou manières de vivre sont liées aux cultes traditionnels et à la divination. Ceux qui n’ont pas différé leur baptême sont chrétiens avant d’être citoyens. Ils font donc preuve de « haine du genre humain » (Tacite) et forment une « secte » dangereuse qui adore un criminel condamné par le magistrat au supplice infâmant de la croix. Pourtant l’Empire, accommodant, ferme souvent les yeux. En cas de crise, il doit néanmoins sévir.
Longtemps tolérance et répression alternent ou coexistent suivant les lieux. Commencées à Rome sous Néron en 64 (l’apôtre Pierre en est une des victimes), les persécutions tendent à se généraliser au milieu du III° siècle, à cause du nombre grandissant de chrétiens. On délivre alors un certificat (libellus) à ceux qui participent aux cérémonies sacrificielles. Cela permet d’arrêter facilement les contrevenants. Ils sont emprisonnés, torturés, mis à mort par milliers. En fait, tous les chrétiens ne résistent pas jusqu’au martyre. Certains, les sacrificati, obéissent à l’ordre impérial ou transigent et font brûler quelques grains d’encens devant une divinité (les thurificati). D’autres réussissent à acheter un certificat de complaisance (les libellatici). Ceux qui n’ont pas cédé les considèrent comme des lapsi (ceux qui sont tombés) et se disputent pour savoir si l’on doit ou non réintégrer les repentis.
La suite dans votre grande surface !
Est paru en même temps, une Petite histoire du bouddhisme (Librio) par un immense savant, Jean-Noël Robert, qui a vraiment joué le jeu de la vulgarisation.
Avec la Petite histoire du judaïsme de J.-C. Attias et E. Benbassa et la Petite histoire de l’islam de M. A. Amir-Moezzi et P. Lory (livres Librio dont j’ai déjà parlé), vous n’avez plus aucune excuse d’être ignorants en histoire des religions.
[1] Je crois vous en avoir déjà parlé, mais vous y aurez encore droit.
[2] Dois-je rompre ce mauvais humour en indiquant que les seules personnes qui étaient totalement indifférentes à Carla-Nicolas étaient les femmes musulmanes que j’ai interviewées.
[3] Je suis preneur, bien sûr, de démentis cinglants ! Les 2 ouvrages de synthèse qui me semblent le plus se rapprocher de « ma » perspective sont 2 histoires du catholicisme (ce qui fait qu’ils ne peuvent explorer les rapports différents à la modernité des différentes confessions chrétiennes) F. Cluzel, l’Eglise catholique des origines à nos jours (Privat, 2005) et surtout J.-P. Moisset, Histoire du catholicisme (Flammarion 2006).
10:20 Publié dans Ouvrages de Jean Baubérot | Lien permanent | Commentaires (3)