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22/12/2007

LE CHANOINE SARKOZY ET LA RELIGION CIVILE A LA FRANCAISE

Où il est montré que le discours de Nicolas (inspiré par des chantres du « républicanisme »), historiquement faux et politiquement dangereux, est nettement moins sympathique que les chansons de Carla !

Sacré Sarko, sacré chanoine ! Je vais quand même être obligé de lui consacrer une Note.

Pourtant j’ai vaillamment résisté. Régulièrement, bien sûr, depuis son élection, il me téléphone et me demande quand est-ce que je vais enfin parler de lui dans mon Blog.

 « Tout le monde parle de moi, m’affirme-t-il, sauf vous. Cela frise le blasphème. » Je réponds derechef que mon Blog n’est pas « pipole » et que, depuis 8 mois, il n’a pas pris position sur la laïcité.

Pas plus tard qu’il y a une semaine, re coup de fil. « Alors cette fois, quand même, vous allez vous y mettre. C’est obligatoire ! ». « Et pourquoi, M’sieur l’Président ? » ai-je demandé. « M’enfin m’a-t-il dit, ne voyez vous pas que, parmi toutes les belles que je fais pâmer, j’ai choisi Miss Bruni, car son doux prénom, Carla, est celui d’une héroïne de votre inoubliable roman ‘Emile Combes et la princesse carmélite’. Alors, heureux ? »

Moi, vous me connaissez, j’ai le sens de la contre attaque. « Ah, c’est comme cela, vous me mêlez à vos amours, mais vous me compromettez, Nicolas. Vous les avez officialisées à Disneyland. Déjà que la méchante Caroline F. m’accuse de prôner une laïcité à l’anglo-saxonne, cela ne va pas du tout arranger mes affaires ! » Et toc[1].

Le président s’est alors fait suppliant : « Je ne vous demande pas de faire mon éloge, simplement de rompre un insupportable silence. Chaque matin, je consulte votre Blog et… toujours rien. Pourtant, de Libé à Gala, je fais la une cette semaine. Cela devient totalement incompréhensible »

Alors là, j’ai été imprudent. Je lui ai dit : « je parlerai de vous, quand vous serez pape ou chanoine ». Et j’ai aussitôt compris ma terrible erreur, car il m’a fait un grand sourire téléphonique et a regagné, tout guilleret, son petit 300 pièces – cuisine élyséen.

Il est donc devenu chanoine, il a été voir le pape ; et me voilà pris au piège : je suis obligé de réaliser le rêve de Sarko en parlant de lui dans mon Blog. Après tout, c’est bientôt Noël, et il faut faire plaisir aux enfants, non ?

Distinguons deux choses. D’abord, la chanoinerie elle-même ; ensuite le discours prononcé à cette occasion.

Sarko, «  premier et unique chanoine d’honneur » de la Basilique Saint Jean de Latran. Vos médias favoris vous ont déjà expliqué pourquoi : en 1604, Henri IV, devenu catholique pour pouvoir être roi de France, fait don à la basilique du Latran de l’abbaye bénédictine de Clairac (aujourd’hui dans le Lot et Garonne)… ainsi que de ses revenus. Le titre de chanoine d’honneur était une façon de dire « merci ». Il faut savoir qu’un laïc peut être chanoine : Copernic l’a été en son temps.

Une « messe pour la France » est célébrée au Latran chaque 13 décembre, jour anniversaire de la naissance du « bon roi » Henry. L’ambassadeur de France près du Saint Siège y représente le président de la République et y reçoit « les honneurs liturgiques ».

Cela appelle à une précision et à un commentaire.

La précision : le Latran a été longtemps le lieu de résidence des papes (jusqu’en 1309 exactement) et l’Eglise latine a tenu 4 conciles au Latran d’1123 à 1215 (ce dernier étant le plus important).

Le commentaire : ce titre de chanoine d’honneur est donc un legs du passé, mais pas de n’importe quel passé. Le passé où il fallait être ou devenir catholique pour pouvoir diriger la France. Le passé où la France était un royaume catholique ; où le catholicisme était une religion nationale. Ok, cela fait partie de l’histoire de France. Est-ce pour autant ce passé là qui doit servir de référence pour aujourd’hui, qui doit être mis en avant ? C’est une autre affaire.

Mitterrand et Pompidou avaient choisi d’assumer ce passé de façon non ostensible. Ils n’avaient pas refusé la charge, mais sans aller prendre possession du titre. De Gaulle avait attendu son second mandat et n’était allé à Rome qu’en 1967. Sarko s’y précipite.

En tout état de cause, j’aimerais bien savoir comment les tenants de la « laïcité exception française » intègrent ce genre de faits dans leur vision d’une séparation qu’ils prétendent radicale. Ces faits ne sont pas « rien ». Sarko le souligne d’ailleurs habilement dans son discours « cette tradition qui fait du Président de la République française le chanoine d’honneur de Saint-Jean de Latran. Saint-Jean de Latran, ce n’est pas rien. C’est la cathédrale du Pape, c’est la « tête et la mère de toutes les églises de Rome et du monde », c’est une église chère au cœur des Romains.»Ces faits témoignent que la situation française n’est pas si éloignée de celle d’autres pays : elle est plus laïque dans certains domaines, moins dans d’autres, la séparation française est une séparation relative; le mythe d’une laïcité qui serait tout à fait spécifique à la France, qui établirait un autre rapport à la religion que partout ailleurs dans les démocraties modernes, est complètement pipeau.

Voyons maintenant le discours, dont « la relecture de l’histoire de France » est, du moins d’après Le Monde (22/12/2007), « d’évidence inspirée par Henri Guaino et Max Gallo, qui faisaient partie de la délégation française à Rome. » Or, et c’est très important, Guaino et Gallo font partie du courant dit « républicain » qui, depuis 20 ans, donne à tout un chacun, des leçons de laïcité, se veut le représentant d’une laïcité pure et dure, de la laïcité française authentique. En plus Gallo se pique d’être historien.

La recomposition de l’histoire faite par le discours est, dés le début, une histoire confessionnelle, non scientifique. Il vaut la peine que l’on s’y attarde un peu car ce n’est pas sans conséquence pour la vision du présent. Le discours de Sarko-Guaino-Gallo affirme : « C’est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l‘Eglise. Les faits sont là. En faisant de Clovis le premier souverain chrétien, cet événement a eu des conséquences importantes sur le destin de la France et sur la christianisation de l’Europe. »

« Les faits sont là ». Non, justement. A l’époque de ce baptême (vers 496 dit-on), l’Italie est dominée par les Ostrogoths, l’Afrique latine par les Vandales, l’Espagne et la Gaule méridionale par les Wisigoths, et les Burgondes sont installés dans la vallée du Rhin. Ils sont tous chrétiens. La seule exception est due aux Francs restés païens et le baptême de Clovis et ses guerriers francs va y mettre fin.

Vous n’avez jamais entendu raconter l’histoire ainsi  et pour cause. Exprès, je n’ai pas mentionné une précision : le christianisme des « Barbares » des Ostrogoths aux Burgonde est un christianisme arien qui s’est développé en Occident, utilisant les langues nationales dans la liturgie et la prédication. Schématiquement, Arius, prêtre d’Alexandrie (alors un haut lieu de la chrétienté), voulant sauvegarder l’unicité de Dieu, affirme que Jésus, son « Fils » est une créature subordonnée au « Père » ; il n’est pas lui-même Dieu.

Cette doctrine a été condamnée au Concile de Nicée (325) et déclarée « hérétique ». Catholiques, orthodoxes, protestants sont aujourd’hui des chrétiens nicéens. OK, mais pour une histoire non confessionnelle, scientifique, laïque, l’arianisme constitue une branche du christianisme. Cette branche aurait bien pu triompher. Effectivement le baptême de Clovis marque un tournant dans la lutte entre chrétiens ariens et chrétiens nicéens. Mais il est complètement faux (d’un point de vue scientifique) de prétendre que Clovis fut le « premier souverain chrétien ». C’est adopter un point de vue totalement ecclésiastique, clérical, déniant le titre de « chrétien » aux hérétiques. C’est ériger le dogme chrétien orthodoxe en vérité d’Etat.

Eriger un dogme orthodoxe en vérité d’Etat est plus grave que d’avoir certains liens administratifs entre l’Etat et une religion. Avec Bonaparte, il existait, certes, un Concordat, mais le catholicisme n’était plus vérité d’Etat. Au XXe siècle, il n’y a guère que dans l’Espagne franquiste où le catholicisme ait été vérité d’Etat. Bravo, bravissimo Monsieur Gallo, si vous êtes l’auteur de ce passage, ça c’est digne d’un républicain !

Le discours continue par une longue indication de faits qui prouveraient la « profondeur de l’inscription du christianisme dans notre histoire et dans notre culture », ce qui induirait, en conséquence, que « la France entretient avec le siège apostolique une relation si particulière ». Parmi ces « faits », le fait que Pépin le Bref ait fait du pape un souverain temporel. C’est historiquement exact, mais le Président de la République laïque doit-il mettre ce fait en avant comme un événement positif, alors que la donation de Pépin a fortement renforcé l’imbrication entre politique et religion ? Qu’en pensez-vous M. Gallo ?

Il y a, dans tout le discours, en outre, une mise en équivalence complète du christianisme et du catholicisme. De nombreux passages opèrent un glissement complet.

Je rappelle que, lors d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (un écrit polémique à l’égard du pape avait été condamné en France, et la Cour a fort justement indiqué que cela portait atteinte à la liberté d’expression ; j’avais rédigé une Note la dessus à l’époque : c’était en gros au même moment que l’affaire des caricatures !), la dite Cour avait relevé, dans ses attendus, que le pape était qualifié par la décision juridique française de « chef des chrétiens » alors qu’il est le chef des catholiques.

En fait, dans l’ensemble du passage, on trouve la conception sous jacente d’une France comme nation catholique (ou comme nation chrétienne: pour moi, le problème reste exactement le même).

Il n’est pas étonnant, qu’à partir de là, l’établissement de la laïcité par la loi de 1905, soit perçue, selon une interprétation très béni oui-oui, très papiste (papiste plus que catholique, nous allons voir pourquoi). Voilà ce que dit Sarko-Guaino-Gallo : « la laïcité est également un fait incontournable dans notre pays. Je sais les souffrances que sa mise en œuvre a provoquées en France chez les catholiques, chez les prêtres, dans les congrégations, avant comme après 1905. Je sais que l’interprétation de la loi de 1905 comme un texte de liberté, de tolérance, de neutralité est en partie une reconstruction rétrospective du passé»

D’abord, il y a là une grave confusion, qui consiste à mélanger la lutte anti congréganiste et la loi de 1905. J’ai montré qu’elles obéissent à des logiques fort différentes. Et je ne suis pas le seul.

Ensuite, il est complètement faux historiquement que la loi de 1905 n’ait pas été interprétée, dès cette époque, comme « un texte de liberté, de tolérance, de neutralité », y compris par des catholiques. Les « cardinaux verts », c'est-à-dire des membres catholiques des différentes Académies, avaient, alors, envoyé une lettre aux évêques leur demandant d’appliquer une loi qui, disaient-ils explicitement, permet « de croire ce que nous voulons » et « de pratiquer ce que nous croyons ». Et de fait, les évêques français dans leur première assemblée épiscopale depuis l’Ancien régime (le Concordat empêchait de telles réunions, la loi de 1905, « texte de liberté » les autorisait) ont voté des statuts d’associations dites « canonico-lègales », c'est-à-dire à la fois conformes à la loi de 1905 et au droit canon (56 voix contre 18).

 

 

Les évêques furent désavoués par le pape. L’historien Maurice Larkin a montré que ce n’était pas le contenu de la loi mais la peur d’une contagion internationale, la peur de la fin de Concordats en Espagne et Amérique latine qui avait principalement motivé la décision du Saint-Siège. L’espoir aussi qu’une aile dure du catholicisme allait faire échouer la loi. La République, très bonne fille, a répondu par la loi du 2 janvier 1907, dont le but était, selon Briand son rapporteur, « de faire une législation telle que, quoi que fasse Rome, il lui soit impossible de sortir de la légalité », de « mettre l’Eglise catholique dans l’impossibilité, même quand elle le désirerait d’une volonté tenace, de sortir de la légalité ».

J’offre un portrait de Nicolas, non de Carla (c’est plus chouette), à l’internaute qui me trouve une attitude plus tolérante que celle-là !

La vision de l’histoire que les conseillers républicains de Sarko lui ont soufflée est la suivante : « C’est surtout par leur sacrifice dans les tranchées de la Grande guerre, par le partage des souffrances de leurs concitoyens, que les prêtres et les religieux de France ont désarmé l’anticléricalisme. »

Génial : ce n’est donc pas la République qui a su vaincre ses propres démons (l’anticléricalisme des premières années du XXe qui, au départ, il faut le rappeler, provenait de l’attitude dominante catholique dans l’affaire Dreyfus, cet anticléricalisme aboutissait effectivement à écorner des libertés) et qui a su effectuer un tournant démocratique avec les lois de séparation (1905-1908), c’est l’attitude des prêtres pendant la guerre 14-18 ! Encore bravissimo M.M les conseillers, c’est très bien pour des RRRRépublicains de cracher ainsi sur la République !

Soyons précis : la guerre de 1914-1918 a contribué effectivement à la réconciliation des deux France.

Mais d’une part, cette réconciliation est la conséquence d'une double découverte, elle s’est faite des 2 côtés : les poilus ont effectivement découvert que les prêtres ne ressemblaient pas à la caricature diffusée par l’anticléricalisme ; mais, de leur côté, les officiers (qui, pour la plupart étaient allés soit à l’école confessionnelle soit dans les petites classes de lycées et n’avaient donc jamais fréquenté l’école primaire laïque) ont découvert que les soldats, issus de « l’école sans Dieu » n’étaient pas, comme on le leur avait seriné, dépourvus de valeurs morales. Le discours ne retient que le premier aspect ! Déjà le propos sur 14-18 est  donc complètement unilatéral, para calotin.

D’autre part, la loi de 1905, les lois de 1907-1908 avaient déjà transformé la donne et fait œuvre d’apaisement, de pacification : la France de 1912-1914, ne ressemble pas du tout, sur ce plan, à celle de 1902-1904 : le conflit des deux France n’est déjà plus un conflit frontal. C’est d’ailleurs ce qui permet d'effectuer ce que l’on a appelé « l’Union Sacrée ». Elle est possible en 1914, elle aurait été extrêmement plus difficile 10 ans auparavant. La « Grande guerre » s’inscrit dans un processus que la « laïcité de sang-froid » (Briand) qui a présidé à la séparation a mis en route.

Toute la reconstruction historique du discours est ainsi tordue dans un sens précis qui tourne fondamentalement le dos à l’esprit de la loi de 1905, car le message essentiel de cette loi consiste à dire que la France n’est pas une nation catholique ou chrétienne, ou judéo-chrétienne (peu importe), qu’il n’existe pas de dimension religieuse dans l’identité nationale (c’est le sens fondamental de l’article 2) et que la France assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes (article 1).

Faire comme si cette liberté de culte impliquait une quelconque identité religieuse, une quelconque identité chrétienne de la France est doublement dangereux. C’est dangereux car contraire à l’identité laïque et c’est dangereux pour la liberté des cultes elle-même.

Voila ce que dit le discours : « la laïcité ne saurait être la négation du passé. Elle n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n’aurait pas dû. Comme Benoît XVI, je considère qu’une nation qui ignore l’héritage éthique, spirituel, religieux de son histoire commet un crime contre sa culture, contre ce mélange d’histoire, de patrimoine, d’art et de traditions populaires, qui imprègne si profondément notre manière de vivre et de penser. Arracher la racine, c’est perdre la signification, c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale, et dessécher davantage encore les rapports sociaux qui ont tant besoin de symboles de mémoire. »

 

 

Bien sûr, une nation est tissée d’histoire, une société comporte une épaisseur historique. Mais outre que l’histoire de France est beaucoup plus complexe et qu’elle n’a pas qu’une seule sorte de « racines », outre que, nous venons de le voir, la référence à cette histoire est déformée (et très sélective) pour aboutir à cette conclusion, attention de ne pas réduire « la signification », le « ciment de l’identité nationale » et « les rapports sociaux » aux dites « racines ». L’histoire (ou plus exactement la mémoire) dit Gaston Kelman[2] « c’est comme le rétroviseur : il ne faut pas le regarder trop longtemps, sinon on se prend le mur d’en face ! » (interview in Réforme, 20 décembre 2007)

Cette hypertrophie de la « mémoire » (et d’une mémoire très amnésique) ne signifierait-elle pas une faillite du politique, incapable de façonner des projets d’avenir ?

En fait, le discours ne se dérobe pas à cette question de la projection dans l’avenir. Il comporte un passage sur « l’espérance » qui apparaît très ambivalent (intéressant pa:rfois, perniceux ailleurs). Le voici : « fonder une famille, contribuer à la recherche scientifique, enseigner, se battre pour des idées, en particulier si ce sont celles de la dignité humaine, diriger un pays, cela peut donner du sens à une vie. Ce sont ces petites et ces grandes espérances « qui, au jour le jour, nous maintiennent en chemin » pour reprendre les termes même de l’encyclique du Saint Père. Mais elles ne répondent pas pour autant aux questions fondamentales de l’être humain sur le sens de la vie et sur le mystère de la mort. Elles ne savent pas expliquer ce qui se passe avant la vie et ce qui se passe après la mort.

Ces questions sont de toutes les civilisations et de toutes les époques. Et ces questions essentielles n’ont rien perdu de leur pertinence. Bien au contraire. Les facilités matérielles de plus en plus grandes qui sont celles des pays développés, la frénésie de consommation, l’accumulation de biens, soulignent chaque jour davantage l’aspiration profonde des femmes et des hommes à une dimension qui les dépasse, car moins que jamais elles ne la comblent. »

Et le discours continue sur ce thème : « Ma conviction profonde, dont j’ai fait part notamment dans ce livre d’entretiens que j’ai publié sur La République, les religions et l’espérance, c’est que la frontière entre la foi et la non-croyance n’est pas et ne sera jamais entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, parce qu’elle traverse en vérité chacun de nous. Même celui qui affirme ne pas croire ne peut soutenir en même temps qu’il ne s’interroge pas sur l’essentiel. Le fait spirituel, c’est la tendance naturelle de tous les hommes à rechercher une transcendance. Le fait religieux, c’est la réponse des religions à cette aspiration fondamentale. »

Qu’il y ait une « réponse des religions à cette inspiration fondamentale » ne signifie pas, pour autant, que les religions aient le monopole de la réponse. Pourquoi Sarkozy abandonne-t-il de fait, sitôt, l’avoir émise l’idée d’une quête personnelle ou foi (de multiples fois possibles) et doute s’entremêlent ? Pourquoi ce glissement du symbolique au religieux, puis aux religions, que l’on trouve et dans son livre et dans le discours ? Je renvoie sur ce point à ma Note du 16 décembre : « Pour un ordre symbolique juste » et à ce que j'indiquais du « symbolique », comme espace social plus vaste que le religieux.

 

 

Certes, à peu prés tout un chacun s’interroge, un jour ou l’autre, sur les questions indiquées par le discours. Il le fait à l’intérieur ou à l’extérieur de traditions religieuses, et cet intérieur peut lui-même comporter une certaine distance avec les positions des autorités religieuses. Des catholiques pratiquants utilisent des moyens contraceptifs, des protestants pratiquants n’ont pas été d’accord quand le président de la FPF a parlé de modifier la loi de 1905

Le discours semble l’admettre puis, en fait, ramène, de façon indue, le symbolique au seul religieux, puis (de fait) à ce qui est nommé « notre religion majoritaire »  et poursuit : « l’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent. La désaffection progressive des paroisses rurales, le désert spirituel des banlieues, la disparition des patronages, la pénurie de prêtres, n’ont pas rendu les Français plus heureux.»

Suit, alors, une grave dépréciation de la morale laïque et une prise de position qui me semble tout à fait contraire à la neutralité de l’Etat : « s’il existe incontestablement une morale humaine indépendante de la morale religieuse, la République a intérêt à ce qu’il existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions religieuses. D’abord parce que la morale laïque risque toujours de s’épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration à l’infini. Ensuite parce qu’une morale dépourvue de liens avec la transcendance est davantage exposée aux contingences historiques et finalement à la facilité. »

Pour le fun, je précise que cette dépréciation de la morale laïque, est dans la filiation… d’Emile Combes (cf. mon roman). En revanche, elle tourne le dos à Jules Ferry et à l’instauration de l’école laïque. La création de la morale laïque a signifié que l’Etat ne prenait pas parti dans la querelle entre les cléricaux qui affirmait qu’une morale d’essence divine était seule valable et les anticléricaux qui dénonçait la morale religieuse comme essentiellement nocive, mais recherchait ce qui pouvait être commun.

La République a sans doute « intérêt » à ce que les citoyens ne soient pas désespérés, mais elle n’a pas à se prononcer sur la forme ou le contenu de leur espérance ; et (pour ce qui la concerne) elle doit s'occuper de leurs intérêts et de leurs besoins ; elle a « intérêt » à ce que les citoyens ait des valeurs morales, elle ne doit pas prendre parti sur le fait que ces valeurs soient religieuses ou non religieuses ; mais elle a à jouer un rôle d’arbitre pour que ces valeurs ne contreviennent pas aux lois.

Il est quand même assez gonflé de dénoncer le risque de « fanatisme » de la morale laïque, et de prétendre que la religion serait alors le remède, alors que la prétention à détenir une vérité religieuse peut tout autant produire du « fanatisme ». De même prendre parti pour une morale non exposée aux « contingences historiques », c’est quitter son rôle d’arbitre pour adopter une position philosophique officielle, alors qu’elle doit rester libre pour chaque citoyen.

Le président est mieux inspiré quand il affirme que : « Toutes les intelligences, toutes les spiritualités qui existent dans notre pays doivent y prendre part (aux débats éthiques). Nous serons plus sages si nous conjuguons la richesse de nos différentes traditions ». Mais, alors pourquoi avoir, juste avant, privilégié une morale religieuse ?

La « laïcité positive » que prône le président est alors très ambiguë. Certes, il rappelle des valeurs fondamentales : « le régime français de la laïcité est aujourd’hui une liberté : liberté de croire ou de ne pas croire, liberté de pratiquer une religion et liberté d’en changer, liberté de ne pas être heurté dans sa conscience par des pratiques ostentatoires, liberté pour les parents de faire donner à leurs enfants une éducation conforme à leurs convictions, liberté de ne pas être discriminé par l’administration en fonction de sa croyance. »

Là je suis d’accord, à condition de préciser ce qui est entendu par « pratiques ostentatoires », qu’il soit bien clair que ces « pratiques » peuvent être le fait de toutes les religions et convictions et ne visent pas une religion particulière (suivez mon regard !).

 

A ce sujet, l’inquiétude se précise avec la phrase suivante : « le peuple français a été aussi ardent pour défendre la liberté scolaire que pour souhaiter l’interdiction des signes ostentatoires à l’école. » La reprise du terme « ostentatoire » (la loi de 2004 dit « ostensible ») est significative.

Et cette phrase apparaît typique d’une laïcité à géométrie très variable : douce pour le catholicisme (« la liberté scolaire » sous entend, en fait, les subventions que l’on sait aux écoles privées, très majoritairement catholiques), dure pour l’islam (l’interdiction des signes ostentatoires/ostensibles à l’école ; il n’est même pas précisée à l’école publique). Pourtant à la Commission Stasi, Sarkozy, comme Marie-George Buffet, s’était prononcé contre la future loi.

Et, au-delà même d’une laïcité à géométrie variable, C’EST A UNE VERITABLE RELIGION CIVILE CATHO-LAÏQUE que tend un tel discours. Tout l’aspect quasiment normatif qui est donné aux « racines essentiellement chrétiennes » va dans ce sens.

Deux passage sont particulièrement significatifs de cette religion civile catho-laïque, car ils mettent catholicisme et laïcité sur le même plan : « Tout autant que le baptême de Clovis, la laïcité est également un fait incontournable dans notre pays ». Et plus loin : «la laïcité ne saurait être la négation du passé. Elle n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n’aurait pas dû.(…) C’est pourquoi nous devons tenir ensemble les deux bouts de la chaîne : assumer les racines chrétiennes de la France, et même les valoriser, tout en défendant la laïcité enfin parvenue à maturité. Voilà le sens de la démarche que j’ai voulu accomplir ce soir à Saint-Jean de Latran ».

En fait, on peut relire l’ensemble de ce discours dans cette perspective de religion civile catho-laïque, cela de son historique à sa dépréciation de la morale laïque qui, dans le discours, se trouve en manque par rapport à la morale religieuse : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance.» Et un peu plus tard : « Depuis toujours, la France rayonne à travers le monde par la générosité et l’intelligence. C’est pourquoi elle a besoin de catholiques pleinement chrétiens, et de chrétiens pleinement actifs. »

 

 

Et le feu d’artifice, c’est l’analogie entre les sacrifices qu’exige la prêtrise et le terrrrrible sacrifice qui est celui d’être président de la République : « Je mesure les sacrifices que représente une vie toute entière consacrée au service de Dieu et des autres. Je sais que votre quotidien est ou sera parfois traversé par le découragement, la solitude, le doute. (…)Sachez que nous avons au moins une chose en commun : c’est la vocation. On n’est pas prêtre à moitié, on l’est dans toutes les dimensions de sa vie. Croyez bien qu’on n’est pas non plus Président de la République à moitié. Je comprends que vous vous soyez sentis appelés par une force irrépressible qui venait de l’intérieur, parce que moi-même je ne me suis jamais assis pour me demander si j’allais faire ce que j’ai fait, je l’ai fait. Je comprends les sacrifices que vous faites pour répondre à votre vocation parce que moi-même je sais ceux que j’ai faits pour réaliser la mienne. » (quand même, avoir Carla comme gouvernante de curé-président,  cela change les choses, non ?)

Là, vraiment, en lisant ce passage, je me suis bien marré. C’est ce qu’il y a de terrible avec Sarko ; cela fait des années qu’il nous fait rigoler : son combat contre Chirac, c’était souvent très drôle. Et après, avoir mis Christine Boutin et Fadéla Amara ensemble, même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais pas osé y penser, j’ai éclaté de rire. Et maintenant, j’aurais bien voulu voire la figure de certains de ses auditeurs quand ce deux fois divorcé (moi, cela m’est égal, mais eux…) leur dit : « on est pareils ».

Mais en même temps, il ne faut pas se laisser avoir par ce côté rigolo. Et, beaucoup plus sérieusement, les laïques qui sont croyants ne doivent pas se faire prendre au piège de la « laïcité positive », de la religion civile catho-laïque, christiano-laïque (le problème reste le même) de Monsieur Sarkozy : la foi doit être un choix personnel et non une affaire d’Etat.

La France n’est pas « chrétienne » et n’a pas à l’être ; ce sont des individus qui le sont et ont la liberté de se regrouper en Eglises, comme ils le souhaitent.

 Les chrétiens (comme les adeptes d’autres religions) doivent réclamer la liberté, toute la liberté (et François. Hollande ferait bien, sur ce sujet, avant de critiquer le discours de ne pas s’allier, contre D. Voynet, à Montreuil, avec un néo-stal qui, en violation de la loi de 1905, a interrompu des cérémonies religieuses). Mais ils ne doivent accepter, pour le christianisme, aucune officialité d’aucune sorte, ou alors ils ne peuvent plus se réclamer de la laïcité.

Je prends un exemple : un chrétien peut parfaitement penser que, pour lui, la morale laïque est insuffisante ; il peut très bien partager, comme individu, les opinions énoncés par M. Sarkozy, sur ce point. Mais, s’il est partisan de la laïcité, il doit trouver choquant qu’un président de la République ès qualité, prône une telle option.

La République française est la République de tous et toutes. Les citoyens ont un doit égal à trouver la morale religieuse nocive ou indispensable. C’est leur affaire. L’Etat n’a certes pas à croire ou à ne pas croire à leur place.

Puisque l’on nous rabat les oreilles avec la « mémoire », rappelons nous que de Théodose à Pinochet, l’Etat chrétien a toujours été une big catastrophe.

Quand le gouvernement de l’Ordre Moral, dans les années 1870, avait voulu favoriser les croyances religieuses, le pasteur évangélique Edmond de Pressensé, les avait immédiatement rappeler à l’ordre : « L’honneur d’une religion est qu’on puisse ne pas la pratiquer. »

En fait, le plus significatif est la rencontre entre deux conseillers de la tendance dit « républicaine » et le président Sarkozy. Elle ne doit rien au hasard. Dans mon livre : L’intégrisme républicain contre la laïcité, j’avais émis l’idée que le courant dit républicain allait devenir un courant néo-conservateur à la française et prôner un catholicisme identitaire. On m’avait dit que c’était très excessif ; or nous y sommes !

(entre parenthèse, vous verrez, dans ce livre, que la « laïcité inclusive » que je prône n’est pas la « laïcité positive » du chanoine Sarkozy, elle refuse tout religion civile et toute dimension religieuse de l’identité nationale)

Sacré Sarko, sacré chanoine : il m’a amené à écrire une longue Note et à remettre à la prochaine fois la fin de ma Note du 16 décembre.

 

 

  

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[1] Ceci dit, Carla (choisie dans le cadre de l’ouverture ?) est la seule chance d’un retour de la gauche au pouvoir. Luc Le Vaillant, en dévoile la stratégie dans Libé du 21/12 (« Carla, on compte sur toi ») : elle épuise Nicolas, elle le sèvre brutalement, flirte ostensiblement avec Villepin. Là, en position de force, elle impose à Nicolas de signer une lettre de démission, en échange d’une ultime gâterie. Ca devrait marcher.

[2] Auteur de Je suis noir et je n’aime pas le manioc. Max Milo, 2004.

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