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30/12/2007

FACE A L'"INTEGRISME", L'ESPRIT CRITIQUE (suite et fin !)

Bon, c’est la fin de l’année et donc il faut que j’en finisse avec ma Note qui comparait le rapport de la société à la dite « racaille » de banlieue à son rapport aux dits « intégristes » et dits « sectaires ». Mais comme l'an dernier j'avais fait une Note sur Miss France (rappelez vous, c'était une payse à moi qui avait failli avoir la couronne), je dis à tous mes amis de lIle de la Réunion (ceux de l'Université comme ceux de la Ligue des Droits de l'homme) que je suis de tout coeur avec eux dans la défense de leur Miss. Non, mais sans blague, faire tout un schprumf pour des photos aussi anodines,...Bravo à l'évêque de ne pas être tombé dans le panneau.

Et maintenant, retour à la Note: 

Résumé des 2 chapitres précédents : L’idée de cette comparaison m’était venue (je le rappelle) en lisant l’intéressant petit livre De la discrimination négative de Robert Castel, où il montrait qu’il s’opère un déplacement des conflits qui traversent toute société, vers les marges de cette société. Ainsi au lieu d’affronter ces conflits, d’être parfois des « adversaires », on peut produire du consensus social, entre gens normaux, bien ensemble, et ce qui va mal, ce qui provoque un malaise tend à être rejeté sur des asociaux, des marginaux, des non-intégrés, bref des « ennemis de l’intérieur », que l’on rejette dans l’extériorité (Note du 1er décembre et début de la Note du 16 décembre)

Ce que Castel analyse au niveau social, fonctionne aussi, me semble-t-il, analogiquement au niveau du symbolique, et là j’expliquais ce que j’entends par symbolique et en quoi le symbolique englobe le religieux, sans se réduire au religieux. Je posais, in fine, le problème de « l’ordre symbolique juste » (suite de la Note du 16 décembre).

Là-dessus, Sarko est devenu chanoine, interrompant mes élucubrations. Ce n’est pas bien M’sieur l’Président d’interrompre ainsi les gens quand ils parlent !

 Allez, maintenant, vous êtes remis dans le bain, je peux finir. Il le faut d’autant plus que je ne me rappelle plus toutes les idées géniales que je voulais vous livrer gratis pro Deo. Rassurez-vous, il m’en reste quand même une et je vais rebondir à partir de là.

Il y a eu un sondage, en octobre-novembre, commandité par La Croix qui effectuait une enquête, dans plusieurs numéros, sur le christianisme aujourd’hui. Et quelques uns des résultats m’ont particulièrement frappé.

 Ainsi, à la question :  « pensez-vous que « toutes les religions se valent ? »  Réponse : 63% de oui chez les cathos pratiquants ; 65% de oui chez les sans religions. Pour ces derniers, il est logique que le « oui » soit massif ; on pourrait même penser a priori qu’il ferait plus des 2/3 du sous-échantillon. Peut-être chez certains (il ne faut pas se le cacher) la réponse est « non » car ils pensent (c’est ce que certains medias ont tendance à leur mettre dans la tête) que « l’islam » vaut moins que d’autres religions. Mais que le pourcentage de « oui » soit pratiquement le même chez les catholiques pratiquants, voila qui interroge.

 A la question sur « les tâches prioritaires du christianisme au XXIe  siècle » : le triptyque : « Lutter contre la pauvreté ici chez nous » ; « Agir pour la paix dans le monde » ; « Etre présent et disponible dans les moments clefs de la vie », arrive en tête dans toutes les réponses. La seule différence c’est que c’est dans cet ordre pour l’ensemble de l’échantillon et pour les sans religion, alors que les catholiques pratiquants mettent « la paix dans le monde » avant « la pauvreté ici chez nous ».

Les items qui arrivent en tête comme « tâches prioritaires du christianisme » (y compris chez les catholiques pratiquants) n’ont donc rien de « chrétien ». Un membre de n’importe quelle autre religion, un athée convaincu, un agnostique peut très bien considérer ces tâches comme prioritaires. On peut dire que les 2 premières sont des fonctions du politique, appartiennent à la responsabilité citoyenne, et la troisième  relève davantage de la morale personnelle de chacun.

 Bien sûr, le christianisme peut contribuer à ces tâches. Mais, il ne s’agit en rien de tâches spécifiques, de ce qui ferait son identité propre. Or c’est le rôle majeur qui lui est attribué à la fois par la société globale française et par la majorité des catholiques pratiquants français (les orthodoxes et protestants, minoritaires, ne constituant pas, dans le sondage, un sous échantillon).

Arrive dernier des 5 items proposés par le sondage « Faire connaître le message du Christ », dans ensemble de l’échantillon (15%) et chez les sans religions (5%).  Cet item est avant dernier chez les catholiques pratiquants avec 34%, c'est-à-dire un tiers des catholiques pratiquants. Or la formulation : « faire connaître message », est assez light.

Ce n’est pas demander aux gens si parmi les tâches prioritaires du christianisme il y a prêcher la résurrection du Christ ou un Dieu en 3 personnes, ce qui historiquement, constituent des croyances spécifiques transmises au cours des siècles par l’Eglise catholique, les Eglises orthodoxes et la plupart des Eglises protestantes.

 On voit donc, à partir d’un sondage de ce type (et ce n’est pas nouveau, les études d’Yves Lambert notamment allaient tout à fait dans ce sens), à quel point, le fait même d’avoir des convictions qui ne sont rien d’autres que des croyances séculaires de la plupart des Eglises chrétiennes vous rejettent aujourd’hui dans les marges de la société française.

Les sondeurs n’ont pas (à ma connaissance) croisé les réponses « non » à « toutes les religions se valent » et celles qui font de « faire connaître le message du Christ » une des tâches prioritaires, il y a de bonnes chances pour qu’elles se recoupent en grande partie, formant un petit sous-sous-échantillon, un groupe en dissensus avec les valeurs dominantes de la société. Un groupe à distance de la façon dominante dont la société considère les religions en général et le christianisme en particulier, façon intériorisée par la majorité des catholiques pratiquants.

Et très souvent vous entendez de telles personnes (ou d’autres qui leur ressemblent, en ayant des contenus de croyances autres, non chrétiens) être qualifiées d’ « intégristes » ou de « sectaires ».

 Précisons 2 ou 3 choses :

D’abord, ces résultats n’ont rien à voir avec la laïcité. Les enquêtes européennes montrent que des pays à religion établie ou à religion nationale (l’Angleterre, le Danemark par exemple) sont dans une situation analogue. Cette situation est le résultat d’un processus de sécularisation, pas de laïcisation.

Des chrétiens convaincus qui mettraient en cause la laïcité, qui (du coup) succomberaient aux sirènes de la « laïcité positive » sarkozienne se tromperaient de diagnostic (et donc de solution à leur problème). Il est tentant d’accuser la laïcité car du coup, on peut avoir des adversaires à combattre (les « laïcards »), on peut rejeter « la faute » sur quelqu’un. La laïcisation, la laïcité met en jeu le politique, des forces sociales, des laïcisateurs, des partisans de la laïcité.

 
La sécularisation est le résultat (excusez mon jargon de sociologue) de la dynamique sociale, c'est-à-dire d’interactions extrêmement complexes entre l’ensemble des acteurs de la société. Olivier Roy montre, dans ses livres sur l’islam que les partisans de l’islam politique, que les fondamentalistes musulmans sont, souvent des agents sécularisateurs malgré eux.

En fait, je dirai aussi que la laïcisation est le résultat d’interactions entre acteurs sociaux. Il n’empêche, on peut beaucoup plus facilement croire pouvoir désigner l’adversaire, le méchant, dans ce qui relève de la laïcisation, et (de tous côtés !) on ne se fait pas faute de le faire.

Tandis que la sécularisation, l’adversaire est d’autant moins cernable que, dans les sociétés modernes, elle déstabilise tout le monde puis qu’aujourd’hui les grandes institutions qui avaient opéré à leur profit des transferts de religieux (l’école-sanctuaire, la médecine sacralisée,…) sont atteintes par la sécularisation.

D’ailleurs, les chrétiens doivent-ils considérer la sécularisation comme leur « ennemie » ? On vient de fêter Noël (chrétiens ou pas !) qui est la fête d’un petit enfant né dans une étable, et qui finira mort sur une croix. Se retrouver minoritaire, marginal dans une société sécularisée ressemble un chouia plus à cela qu’une société au christianisme triomphateur, non ?

 Ensuite, ce qui est en jeu là, n’est pas la sécularisation en elle-même que la sécularisation jointe à un conformisme social qui fait que des chrétiens convaincus sont rejetés dans les marges socio-symboliques, se trouvent en dissensus avec les valeurs dominantes de la société (par exemple, l’idée « que toutes les religions se valent ; ou que la tâche prioritaire du christianisme est de lutter contre la pauvreté ou de promouvoir la paix). Cela entraîne plusieurs conséquences :

-         ces chrétiens vont devenir a priori suspects d’être « intégristes » ou « sectaires », alors qu’ils peuvent être tout à fait tranquilles, bons citoyens, etc. Le seul fait de ne pas être au diapason des valeurs dominantes les rend implicitement suspects.

-         et a fortiori, encore plus s’il s’agit de personnes convaincues qui n’appartiennent pas au christianisme, mais à d’autres religions socialement et historiquement moins « balisées », parce que moins enracinées dans l’histoire et la culture françaises.

D’où (re jargon de sociologue, je tente de ne pas y recourir souvent, mais parfois il faut utiliser des termes précis) production sociale de « l’intégriste » ou du « sectaire » comme celui qui a un autre univers symbolique que la majorité, qui est hors du quasi consensus symbolique.

Comment repère-t-on ce quasi consensus ? Par des court circuits : ainsi l’idée (très répandue) que si on ne pense pas que toutes les religions se valent, on est intolérant. C’est une idée typique de la religion civile à la Jean-Jacques Rousseau, et vous la rencontrez souvent répétée. Or, elle est particulièrement stupide car elle confond le respect de l’autre (la tolérance, le pluralisme) et l’imposition d’une logique de l’équivalence qui, en fait, est elle-même intolérante : j’ai le droit de choisir une option religieuse (ou irréligieuse) et de l’estimer supérieure aux autres, c’est même ce doit qui est au fondement de la laïcité.

Ce que demande la laïcité, c’est la gymnastique intellectuelle qui fait que, tout en ayant ses propres choix, et y tenant, on tolère, on respecte ceux des autres. Et cette gymnastique intellectuelle là, le minoritaire, celle ou celui qui se trouvent plus ou moins hors du consensus, l’effectuent plus souvent que celle ou celui qui n’ont pas de véritable choix personnel et dont les idées s’imprègnent des idées majoritaires, dominantes.

Les « idées de son temps » dira-t-on plus tard, de façon condescendante, en estimant qu’elles étaient erronées, voire mauvaises (ainsi Hergé avait « les idées de son temps » en écrivant Tintin au Congo !).

 Cela ne signifie nullement qu’il n’existe pas des gens véritablement intolérants, mais que l’on met dans le même sac des tolérants et des intolérants, des minoritaires tranquilles et des extrémistes. Cela est non seulement de l’intolérance, mais aussi de la bêtise. Comment arriver à lutter contre les véritables extrémistes si on les confond avec tous ceux et celles qui sont simplement des gens convaincus qui tendent de vivre selon leurs convictions ?

Cela signifie aussi une sacralisation du social : ce n’est pas par hasard que Rousseau reprend le terme de religion quand il parle de religion civile. Et donc une absence d’esprit critique à l’égard des idées dominantes de la société.

Le problème est là, ce qui me sépare des gens qui me lancent moult injures (moins drôles que celles du capitaine Haddock, malheureusement !) n’est pas une pseudo indulgence vis-à-vis d’extrémistes, c’est le fait que ces gens sont parfaitement à l’aise dans les conformismes sociaux les plus plats.

Il ne s’agit donc pas d’angélisme, ni d’apologie de la désocialisation qui risque toujours conduire à l’enfermement dans une bonne conscience elle aussi abêtissante (même quand elle ne légitime pas la violence). Je signale pour une approche fine, non essentialiste et assez proche de la mienne, de l’intégrisme en islam,le très intéressant petit livre de Dounia Bouzar, L’intégrisme, l’islam et nous paru aux éditions Plon il y a quelques semaines.

 Entre diabolisation et angélisme, l’esprit critique. Nous allons en reparler tout au long de 2008.

Je vous souhaite une Fantastique Année 2008, avec un jour en plus (le 29 février, cadeau à tous les internautes qui consultent ce Blog) pour pouvoir « vivre plus ».