10/12/2006
MISS REPUBLIQUE 2007 ET LE COURAGE D'ETRE SEUL(E)
Internautes adorés, comme le titre de cette Note l’indique, j’ai envie de vous raconter quelque chose d’un peu imprévu, to-day. J’ai, en effet, plein d’effervescence dans ma tête. Calmos, je mets un peu d’ordre dans mes idées et je vous narre un événement d’une importance extrême : hier, samedi 9 décembre, 101ème anniversaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, la République française, glorieuse et immaculée, a été une nouvelle fois sauvée des périls atroces qui la menacent.
Mais nous l’avons échappé belle. Et « belle » est vraiment le terme adéquat car c’est bien la beauté (dont des siècles de tradition nous a appris qu’elle était l’œuvre du diable !) qui a failli faire chuter les valeurs républicaines les plus hautes.
En effet, au terme d’un insoutenable suspens (heureusement coupé de moult publicités qui permettaient d’aller faire pipi et de ranger la vaisselle), des ceus comme moi qui étions scotchés devant TF1, vivions dans l’angoisse. Pour les Groenlandais (très nombreux) qui visitent ce site, je résume : le concours de Miss France 2007 mettait (à 23h35, soit deux heure et demie après le début de l’émission) aux prises deux finalistes : Miss Picardie, « étudiante en hypokhâgne » et Miss Limousin, sourd et presque muette. Autrement dit nous avions face à face, dans un duel à mort, la méritocratie républicaine et la discrimination positive.
Petite parenthèse : personne n’avait prévu semblable finale, et les bonnes Françaises et les bons Français devaient, civiquement, non pas regarder TF1 mais France2 et vendre tous leurs meubles (pas leur télé quand même !) pour que le Téléthon explose son record de dons. Soutenir le Téléthon apparaissait d’autant plus un devoir républicain et laïque que des évêques avaient tonné contre la pernicieuse recherche sur les cellules souches susceptible d’en recevoir quelques miettes (des dons effectués).
Mal embouché comme pas deux, j’avais déclaré à mes étudiants, à mon cours sur la laïcité, qu’il n’y aurait là nul suspens : les cléricaux du premier seuil de laïcisation (l’épiscopat) allaient se faire battre à plat de couture par l’union des cléricaux du second seuil (les médecins) et des cléricaux du troisième seuil (les animateurs de télé et autres individus showbiz). Le match du Téléthon était joué d’avance.
Tel une jeune fille qui enlève son foulard en arrivant à l’école, je devient sérieux en arrivant en Sorbonne et donc je n’avais pas osé ajouter : « il mieux vaut, dans ces conditions, regarder l’élection de Miss France, au moins il y aura un peu de suspens ». Pourtant j’aurais du puisque la finale se révélait emblématique du combat titanesque que livre la glorieuse République franco-picarde contre la piteuse démocratie anglo-saxonne et limousine (si, si, la preuve : Richard Cœur de Lion est mort en Limousin)[1].
Comme quoi, on a toujours tort d’être sérieux !
Donc, je reprends le cours du récit pour que le suspens ne soit pas trop interminable et que certains ne meurent pas d’arrêt cardiaque : des 35 belles de départ, restaient seules en compétition Miss Picardie, symbole de la République et Miss Limousin symbole de la démocratie.
Moi, vous commencez à me connaître, il y aurait un concours de Miss mauvais-républicain, j’aurais toutes mes chances (et, une fois n’est pas coutume, je pourrais passer à la télé sans me faire agresser par un trostko-bushien comme Romain Goupil), j’étais donc à fond pour Miss Limousin.
A mon anti républicanisme primaire, s’ajoutaient d’autres motifs tout aussi pernicieux. D’abord, au lieu de me considérer comme un individu abstrait universalo-français, étant né en Limousin, je me sens Limousin et j’en suis fier. Existerait une ‘Limousin pride’, je serais sur un char. Miss Limousin est donc une payse et cela plaisait beaucoup à mon « sot localisme » impénitent[2].
Ensuite, sans aucunement dénigrer Miss Picardie, Miss Limousin était la plus belle et, supersexiste (à défaut d’être supersexy) comme je suis, l’adorable Miss de mon terroir me plongeait dans un doux rêve-petite-madeleine, quand mes parents (des enseignants républicains, eux) m’emmenaient, à 10, 11 ans, au théâtre municipal de Limoges voir jouer du Marivaux et qu’au lieu d’apprécier la haute tenue du texte, je restait bouche bée devant les belles dames aux robes magnifiques, et j’intimais mentalement l’ordre au jeune premier de tomber à genoux pour déclarer sa flamme. Ver de terre amoureux d’une étoile…
Heureusement pour la République, aussi bien le président du tribunal, euh non du jury, le grand Michel Sardou que le vote populaire (métaphore républicaine extraordinaire : le vote des quelques vedettes du showbiz formant le jury comptait pour 2/3, et le vote des téléspectateurs pour 1/3 !) a élu Miss Picardie. On n’a pas dit par quel score la République fut ainsi sauvée. Mais ouf ! On veut bien un peu d’affirmative action dans notre France chérie, mais point trop n’en faut : deuxième après l’hypokhâgneuse, c’est déjà pas si mal…
Me reprenant enfin, j’ai, bien sûr, entonné une vigoureuse Marseillaise, et j’ai crié (comme à Valmy) « Vive la nation » (en ajoutant « universelle abstraite »).
Mais ensuite, hélas, mes mauvaises pensées me sont revenues et l’élection de Miss France m’a rappelé mes discussions avec des étudiantes féministes américaines. L’une d’elle m’avait dit un jour : « Nous, on accepte sans problème les filles à foulard mais on a obtenu dans notre ville la suppression du concours de Miss, les Françaises, elles, font l’inverse. Ce n’est pas très féministe » Intéressant, non ?
Regarder TF1 et le concours de Miss France s’est avéré plein d’autres enseignements. A un moment, par exemple, a été passé un reportage sur Miss France 2006 (également Miss Europe : qui a dit que la construction européenne se trouve en panne ?) et, dans ce reportage, il y a eu une séquence où Miss France 2006 se trouvait invitée dans diverses émissions de télé, et notamment celle d’Ardisson sur France 2, service public alimenté sur nos impôts. Comme d’hab, Ardisson (ou un autre animateur de son talk show) lui a lancé une vanne très bête et méchante, et elle en a été toute déstabilisée. Alors un autre animateur, qui avait sans doute des restes rentrés de preux chevalier, lui dit : « Ne vous inquiétez pas : votre métier est d’être belle, notre métier est d’être con ». Tel quel (comme dirait Philippe[3]).
Admirable éclair de lucidité, et si (rêvons) j’étais nommé président de France-Télévision je ferai passer cette répartie en boucle sur toutes les chaînes publiques au moins un jour par semaine. Avec une nuance toute fois : maintenant, on ne réclame plus seulement des femmes d’être belles, on les veut belles et intelligentes (et le concours de Miss France se met au goût du jour : belle et hypokhâgneuse…), tandis que les animateurs de télévision, eux, peuvent être et sont de plus en plus sinistrement « cons ».
L’aveu en a été fait spontanément parce qu’il s’agissait de Miss France et que ce petit macho d’animateur a eu le cœur serré devant une belle jeune femme fragilisée (je le comprends très bien : j’aurais eu exactement la même réaction). Mais habituellement beaucoup d’animateurs de télé se montrent des cons arrogants, satisfaits, puant de bêtise et traitant de haut toutes celles et ceux qui s’efforcent de ne pas leur ressembler.
Aller, même si ce n’est pas Miss Limousin qui a gagné, je vais me montrer beau joueur et souhaiter beaucoup de courage, d’intelligence et de finesse à Miss France 2007 ; il lui en faudra pour affronter, un an durant, la bêtise des multiples « cons » qui se mettront sur sa route. Elle qui rêvait à la fois de devenir Miss France et de faire l’école du Louvre pour être archéologue, a réalisé son premier rêve, je lui souhaite de réaliser le second et surtout que le premier ne tourne pas au cauchemar. « On est bien seule quand on devient Miss France » a déclaré la Miss de l’an dernier, dans le petit reportage déjà cité. Oui, il faudra à Miss Picardie avoir le courage d’être seule, seule face à la meute.
Mais ce courage d’être seul, d’affronter la connerie ambiante, la connerie ordinaire qui se réclame parfois des beaux noms de laïcité et de République n’est-ce pas le lot quotidien de celles et de ceux qui tentent de refuser le formatage, la standardisation, d’une société de communication de masse, d’une communication marchande qui veut transformer tout un chacun, Miss ou pas Miss, en marchandise.
Telle est la morale de mon histoire.
Allez on en reparlera dans une semaine, en reprenant la suite des Notes précédentes et en s’intéressant aux Voltair-rien(s), ces nouveaux religieux de la religion civile républicaine.
Bonne semaine et à plus {rappellez vous : le courage d’être seul(e)}.
[1] Mais comme, pour un universitaire, tout est toujours plus compliqué qu’il n’y paraît, je rappelle que Calvin était picard (et donc, pour les néo-républicains, cela fleure le protestantisme "anglo-saxon"!).
[3] Sollers, bien sûr. C’est une vanne intello-nulle, mais au point où j’en suis.
12:25 Publié dans CONTRE L'OBSCURANTISME | Lien permanent | Commentaires (9)