03/12/2006
VOLTAIRE, ANCETRE DES NEO-REPUBLICAINS?
Tout d'abord: 6250 visite en novembre, soit 208 visites par jour: mieux encore qu'en octobre. Bravo les Internautes. Continuons le débat (ce qui est drôle, c'est que le nombre de commentaires semble inversement proportionnel à la longueur des Notes, si j'en crois ce qui s'est passé pour la dernière Note: peut être qu'avec une Note d'une demi ligne, le record du nombre de commentaires sera battu!!)
Bon, passons aux choses (relativement) sérieuses :
Nous avons vu, il y a une dizaine de jours, que la loi de 1905 se situait dans la filiation du philosophe anglais John Locke, tout en innovant en donnant (elle) une liberté égale aux athées par rapport aux membres des différentes religions. Mais cette filiation est restée largement implicite et le commentaire d’Atchtung-seb (à la suite de la Note) constitue un des nombreux témoignages que la laïcité française a oublié ce qu’elle doit à celles et ceux qui n’ont pas eu l’infinie chance de naître sous le doux soleil français. Les références des militants laïques ont varié au cours de l’histoire de la laïcité française. Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix, des courants laïques, qui pouvaient diverger dans leur conception des rapports entre laïcité et islam, se réclamaient pourtant tous de Condorcet, le dernier philosophe des Lumières française, victime du jacobinisme révolutionnaire. Ces dernières années, au sein de la tendance la plus stricte de la laïcité, la référence à Voltaire la supplante largement. Et des affaires récentes, comme celle des caricatures, alimentent cette référence. Il vaut la peine d’examiner cela d’un peu plus prés.
Voltaire qui (un commentaire de la Note de samedi dernier le rappelle, avait séjourné en Angleterre et en avait pris de la graine!) se voulait influencer par le « sage Locke » et a également écrit un ouvrage sur la tolérance, en 1762. A propos de la condamnation à mort d’un protestant Jean Calas pour un crime qu’il n’avait pas commis (il sera réhabilité, post mortem en 1765) Voltaire élargit sa réflexion au problèmes généraux de la liberté de conscience, du pluralisme, aux rapports entre politique et religion, etc.
Je vais donc indiquer un peu longuement la trame de ce Traité sur la tolérance. Cela en vaut la peine car cet écrit est à la fois très familier (c’est lui qui donne la notoriété habituelle de Voltaire sur ce sujet) et fort peu connu. On se contente, en effet, en général, de louer Voltaire, d’en faire le champion du bien contre les forces du mal (le fanatisme, l’intolérance, etc) et ce jugement moral dispense d’aller y voir de plus prés. Mais citations seront faites d’après l’édition du Traité de Flammarion.
Voltaire ne nous livre pas, comme Locke, une théorie de philosophie politique aboutissant à séparer le gouvernement civil et l’Etat. Voltaire a l’art du mélange des genres et il se fait tour à tour historien érudit, exégète de la Bible (Ancien et Nouveau Testament), auteur de fables fictives conduisant à une réflexion philosophique sur la « tolérance universelle ». Précisons pour ne plus avoir à y revenir, qu’il a une aussi mauvaise opinion des athées que celle de Locke : après avoir dit tout le mal possible de la « superstition » il ajoute « qu’il vaut mieux » pour « le genre humain » d’être « subjugué par toutes les superstitions possibles, pourvu qu’elles ne soient point meurtrières, que de vivre sans religion » car « un athée qui serait raisonneur, violent et puissant, serait un fléau aussi funeste qu’un superstitieux sanguinaire ». Pour lui « il est bien plus raisonnable et plus utile » de « sacrifier aux faunes, au sylvains, aux naïades » que « de ses livrer à l’athéisme » car « partout où une société est établie, une religion est nécessaire ; les lois veillent sur les crimes connus et la religion sur les crimes secrets. »
La grande différence avec Locke est la suivante : Voltaire replace le problème de la tolérance dans une philosophie de l’histoire. Sa philosophie de l’histoire explicite est la marche en avant du progrès : le temps, la raison, la philosophie, le progrès sont là des termes étroitement liés. L’affaire Callas montre, selon lui, que « le fanatisme, indigné depuis peu des succès de la raison, se débat sous elle avec plus de rage », « dans un temps où la philosophie a fait tant de progrès » (p. 35). Autrement dit, on assiste à ses derniers soubresauts, avant la victoire de la raison et de la philosophie qui est le discours de la raison.
Pour Voltaire, le « fanatisme » était peut être acceptable hier, mais aujourd’hui « le temps, la raison qui fait tant de progrès, les bons livres, la douceur de la société » font leur œuvre (p. 47). Il faut donc « adoucir des édits autrefois peut-être nécessaires, et qui ne le sont plus » car « le régime de la raison (…) éclaire lentement mais infailliblement les hommes. Cette raison est douce, elle est humaine, elle inspire l’indulgence, elle étouffe la discorde, elle affermit la vertu, elle rend aimable l’obéissance aux lois [cela ne sera pas le point de vue de Rousseau], plus encore que la force ne les maintient.» (p. 56). Etc. Précisons que les « édits autrefois nécessaires » = la Révocation de l’Edit de Nantes et ses suites…
Le passé fanatique par excellence, c’est le Moyen Age et ces « siècles de barbarie » où « il pouvait être pardonnable de présenter des fables au vulgaire, c'est-à-dire à ces seigneurs féodaux, à leurs femmes imbéciles, et aux brutes leurs vassaux (…) on les repaissait d’histoires de sorciers et de possédés ; ils imaginaient aisément que Saint genou guérissait de la goutte, et que saint Claire guérissait les yeux malades » (p. 130). Temps de « superstitions » et ce passé a engendré les guerres de religions du XVI e siècle avec le massacre de Vassy et la Saint-Barthélemy (p. 45), temps de « fanatisme ».
Conclusion : il faut être dans le sens de l’histoire : « Chaque jour la raison pénètre en France, dans les boutiques des marchands comme dans les hôtels des seigneurs. Il faut donc cultiver les fruits de cette raison, d’autant plus qu’il est impossible de les empêcher d’éclore » (p131)
Mais Voltaire développe également une philosophie de l’histoire plus implicite, très claire pourtant qui se dégage du panorama historico-mondial qu’il donne. Cette autre vision est un peu plus complexe que la marche en avant qui va de temps passés intolérants à un temps présent qui a tout pour être tolérant. En effet, s’il a tout pour l’être, il ne l’est pas et l’affaire Callas en est la preuve. Donc Voltaire opère un élargissement du temps (et aussi de l’espace : « sortons de notre petite sphère ») pour expliquer pourquoi la virtualité tolérante du temps présent ne se réalise pas en France.
Et là, il n’y a plus un progrès linéaire de l’histoire mais une sorte d’exception historique occidentale qui se transforme présentement en exception française (« Serons nous les derniers à embrasser les opinions saines des autres nations, elles se sont corrigées : quand nous corrigerons-nous ? », p. 80).
Exception historique occidentale, mes 2 termes sont importants : c’est d’abord une exception historique : les Grecs et les Romains étaient tolérants : « de tous les peuples anciens policés, aucun n’a gêné la liberté de penser » (p. 61), suit des passages fort érudits (par rapport bien sûr, à la connaissance historique du temps) sur l’Antiquité.
A propos des Romains, Voltaire démonte facilement des récits édifiants de martyres « composés uniquement par les chrétiens eux-mêmes » (p. 79) et en montre contradictions et invraisemblances, mais il a lui-même parfois une méthode parfois peu rigoureuse d’administration de la preuve : ainsi, il donne un exemple qui va dans son sens, puis ajoute « Mais que cette anecdote soit vraie ou fausse, il demeure certain que… » (idem) ou encore « qu’on juge si la persécution excitée par Galère, après dix-neuf ans d’un règne de clémence et de bienfaits, ne doit pas avoir sa source dans quelques intrigues que nous ne connaissons pas » (p. 75), etc. D’une manière générale il pense, que quand ils ont été persécutés, les chrétiens l’avaient bien cherché : à partir de l’histoire de Polyeucte, il estime que « ce zèle inconsidéré, qui éclata souvent (…) a été probablement la source de toutes les persécutions » (p. 70), persécutions qui eurent au demeurant un caractère modéré et épisodique (p. 71) et furent dues à des motifs politiques et privés et non religieux (p. 74s)
Ensuite Voltaire passe a l’Ancien Testament et là il s’efforce de montrer que les Hébreux ont fait cohabiter la croyance en leur Dieu et la croyance dans l’idolâtrie. Et au moment de Jésus coexistent pharisiens, sadducéens et esséniens. « On ne trouve, dans toute l’histoire de ce peuple aucun trait de générosité, de magnanimité, de bienfaisance ; mais il s’échappe toujours, dans le nuage de cette barbarie si longue et si affreuse, des rayons d’une tolérance universelle » et un spécialiste de Voltaire, Vissière, de commenter qu’ « oubliant son habituelle férocité [contre les Hébreux et l’Ancien Testament cf. Le Dictionnaire philosophique ], il leur accorde exceptionnellement un satisfecit » (p. 12) : en fait on voit là conjuguées ensemble les 2 philosophies de l’histoire : la linéaire puisqu’il y a barbarie longue et affreuse ; la en zigzags puis qu’il y a des rayons d’une tolérance universelle qui vont disparaître ensuite.
Cette tolérance disparaît ensuite en Occident et Voltaire parle d’une Chine et d’un Japon tolérants (p. 51), qui ont laissé venir les missionnaires chrétiens, la Chine étant même un modèle de tolérance et de civilité (relation, fictive encore une fois, d’une disputé de controverse en Chine, chapitre 19, p. 125ss.) Eloge du « sage et vertueux » Confucius (p. 140). On le verra, l’intolérance des Chinois et des Japonais s’inscrit dans le seul cas où pour Voltaire l’intolérance est nécessaire. Continuons notre lecture du Traité :
En Occident, l’intolérance (mauvaise) est arrivée avec le christianisme, non pas certes avec Jésus : au contraire et il rapproche la mort de Jésus de celle de Socrate (p. 104). Le lien structurel entre christianisme (« l’Eglise ») et intolérance est la conclusion logique de son propos, même si c’est une conclusion qu’il explicite très brièvement, car si Voltaire nous donne des chapitres sur l’antiquité gréco-latine, les deux testaments, la Chine, etc, il ne nous donne pas de chapitre de l’histoire de l’Occident chrétien et reste allusif sur le constantinisme (c'est-à-dire le système de relations étroites entre politique et religion établi progressivement à la suite de la conversion de l’Empereur romain Constantin au christianisme, au début du IVe siècle de notre ère).
Pourtant ce qu’il nous en dit brièvement est très significatif : quand il met en scène Constantin, c’est pour en faire un homme éclairé qui commence par dire à l’évêque Alexandre et à Arius : « Vous êtes de grands fous de disputer sur des choses que vous ne pouvez entendre » (p ; 133). Sa faute fut seulement de ne pas persévérer dans sa résolution d’imposer silence aux 2 parties et d’être « flatté de présider à un concile ne long habits rouge, la tête chargée de pierreries » (p. 134) : cela « ouvrait la porte à tous (les) fléaux ». En fait, pour l’ensemble des historiens d’aujourd’hui ce qui se mis en place alors fut un système le « césaropapisme » où l’empereur avait des pouvoirs spirituels, le politique un pouvoir religieux. Ce n’est que plus tard, à certaines périodes du Moyen-Age, que le pouvoir religieux influencera le politique.
De même, pour Voltaire, les « barbares » firent moins de mal que les controverses religieuses jusqu’à qu’ils se prêtent « à ces disputes fatales » (. 135). Ailleurs, il rappelle les persécutions du christianisme dominant qui, à ses yeux, furent les pires : « les vaudois, les albigeois, les hussites, les différentes sectes des protestants », « nous les avons égorgés, brûlés en foule, sans distinction ni d’âge ni de sexe. Y a-t-il dans les relations avérées des persécutions anciennes, un seul trait qui rapproche de la Saint-Barthélemy et des massacres d’Irlande ?» (p. 79), massacres de protestants qu’il rapporte avec pas mal de complaisance p. 49 , c'est-à-dire en donnant le plus de détails sanguinolents possibles et, nous l’avons vu, insiste sur les « superstitions ».
Selon Voltaire, cette intolérance compromet l’Eglise catholique en son entier : « Le successeur de Saint Pierre et son consistoire (…) approuvèrent, célébrèrent, consacrèrent l’action de la Saint-Barthélemy » (p. 87). Saint-Barthélemy dont les protestants furent les victimes. Certes, ils « imitèrent la cruauté des leurs ennemis » (p. 45), mais au XVIe siècle, les protestants furent des agents du progrès et donc, « malgré leurs erreurs, nous leur devons le développement de l’esprit humain, longtemps enseveli dans la plus épaisse barbarie » (p.44) et les pays protestants, aujourd’hui ont tolérants (cf p. 48, 49, 52).
Voltaire est donc indulgent envers l’intolérance protestante car c‘est le catholicisme qui est essentiellement visé par son propos, et plus exactement, trois formes de catholicisme :
- le catholicisme de la « populace » (terme qui revient plusieurs fois), de la « province » (« la raison l’emporte à Paris sur le fanatisme, quelque grand qu’il puisse être au lieu qu’en province le fanatisme l’emporte presque toujours sur la raison » p. 38), des confréries ; c’est sur ce catholicisme là que repose la puissance de l’Eglise, c’est lui qui a fortement influencé la décision des magistrats dans l’affaire Callas.
- le catholicisme des « superstitions monacales ultramontaines » (p. 132) versus les « libertés de l’Eglise gallicane » ;
- et surtout, et de façon obsessionnelle : les jésuites. C’est d’autant plus intéressant que ce qu’il dit de la (bonne) Chine a comme source (qu’après il arrange à sa manière) les Lettres édifiantes et curieuses que les jésuites avaient publié sur la Chine. Le chapitre XVII du Traité, pages 118ss. Est constitué par une lettre fictive indiquant un plan de super Saint-Barthélemy contre les protestants (à assassiner dans leurs lits et pas dans la rue : le sang sur la place publique, cela fait désordre !), suivie de castrations (des garçons de 14 ans et plus, pour ne pas perpétuer les protestants) et de conversions et mariages forcés des filles à des catholiques (pour ne pas trop dépeupler la France) ; quant aux jansénistes, le plan de ces ignobles jésuites serait de leur donner des hosties empoisonnées (blasphème religieux absolu pour le catholicisme, en même temps que crime) ce qui est une manière de dire que les jésuites sont sans foi ni loi. Or ce chapitre (qui suit un dialogue déjà imaginé d'un janséniste mourant avec un jésuite bien portant) introduit la justification de l « ’intolérance » contre les jésuites.
Là, contre les jésuites, « l’intolérance paraît raisonnable » (p. 123) « de « droit humain » (p. 121) parce que les « erreurs » sont des « crimes » dés que ces erreurs « inspirent le fanatisme ; il faut donc que les hommes commencent par n’être pas fanatiques pour mériter la tolérance ». Comme les jésuites le sont avec leurs « maximes coupables » et « leur institut est contraire aux lois du royaume » alors « on ne peut s’empêcher de dissoudre leur compagnie, et d’abolir les jésuites pour en faire des citoyens ». Mais c’est en quelque sorte là de la bonne intolérance si l’on peut dire car c’est « un mal imaginaire » et « un bien réel pour eux, car où est le mal de porter un habit court au lieu d’une soutane, et d’être libre au lieu d’être esclave. » (cqfd : on libère les jésuites en étant intolérants avec eux !)
On voit là qu’il s’agit d’un cas de figure : la libération par l’intolérance impensable dans la pensée de Locke où on ne peut jamais libérer les gens malgré eux : c'est une conception très différente de la liberté.
En revanche, Voltaire plaide pour la tolérance envers les protestants, mais cette tolérance voltairienne semble égale à la non tolérance de Locke envers les catholiques : « je ne dis pas que tous ceux qui ne sont point de la religion du prince doivent partager les places et les honneurs de ceux qui sont de la religion dominante. En Angleterre, les catholiques, regardés comme attachés au parti du prétendant, ne peuvent parvenir aux emplois : ils payent même double taxe ; mais ils jouissent d’ailleurs de tous les droits des citoyens » (p. 49) : l’Angleterre est donc donnée en exemple, y compris dans les limites de sa tolérance ; cela correspond au fait qu’en revanche, la Caroline (de ce qui encore l’Amérique anglaise) est trop lockéenne pour Voltaire, et la France n’a pas selon lui à imiter cette tolérance générale.
Il faut noter que la tolérance limitée en Angleterre s’effectue à partir d’un grief politique précis : « regardés comme attachés au parti du prétendant » (Stuart, alors que depuis 1714 c’était une autre dynastie, les Hanovre, qui régnait). En revanche, la raison donnée par Voltaire de la limitation de la tolérance est le fait de ne pas être de la religion du prince » : la conformité à l’idéologie de l’Etat dirait-on en termes modernes. Voltaire se situe dans la tradition du gallicanisme (on a vu que le catholicisme ultramontain, c'est-à-dire favorable à la suprématie du pape, était visé) où le roi a un pouvoir temporel sur l’Eglise.
La solution qui permet la tolérance, dans le Traité de Voltaire, n’est pas le « gouvernement limité », comme chez Locke, mais la « bonté du prince » et la fin des dogmes et des controverses qu’ils entraînent.
- la solution (à l’affaire Callas ou au problème de l’intolérance ?) : « cet écrit sur la tolérance, écrit Voltaire, à propos de son texte, est une requête que l’humanité présente très humblement au pouvoir et à la prudence. Je sème un grain qui pourra un jour produire une moisson. Attendons tout du temps, de la bonté du roi, de la sagesse de ses ministres, et de l’esprit de raison qui commence à répandre partout sa lumière » (p. 151). Et dans la postface de 1765, trois ans plus tard, il estime que tout est allé beaucoup mieux puisque d’un côté « on chassait les jésuites, on abolissait leur société en France ; ils avaient été intolérants et persécuteurs ; ils furent persécutés à leur tour » (p. 153). (donc il s’agit bien d’une « persécution » et non de l’application des lois d’un Etat de droit, comme le demande Locke) et Paris a remédié à Toulouse, le roi a pris le contre pied de la « populace » et de juges fanatisés : non seulement le jugement a été cassé, mais un don royal a réparé « la ruine de la famille » : « le roi, par cette bonté, mérita, comme par tant d’autres actions, le surnom que l’amour de la nation lui a donné » (p. 156) (=le surnom de Louis XV était Louis le Bien aimé). L’aspect plaidoyer pour une cause contribue donc à l’absence d’une réflexion critique sur le politique. Et si ce n’est pas le politique qui est le responsable de l’intolérance, si ce n’est pas lui qui a à se réformer, quelle est la cause, quel est le remède ?- on l’a déjà vu : le texte fonctionne sur des oppositions (qui font du philosophe, par définition « impartial » (p. 154) le juge moral sinon judiciaire). Fanatisme (religieux et non politique quand il s’agit de peuples chrétiens ; au contraire la bonne intolérance est mise dans le politique pour les peuples non chrétiens, peuples antiques et peuples non occidentaux), superstitions, populace de province, catholicisme monastique et ultramontain, jésuitisme, etc sont les causes du mal. Mais même au-delà, ce qui parcourt l’ouvrage c’est que les dogmes et les controverses religieuses que ces dogmes engendrent sont inutiles et même nuisibles. Nous l’avons vu à propos de l’émergence du constantinisme, ce ne sont pas les liens étroits Eglise-Etat que critique Voltaire, c’est le fait que l’Etat n’ait pas imposé silence aux disputes religieuses : il indique « Il sortit de chaque verset contesté une furie armée d’un sophisme et d’un poignard » mais sans établir de lien avec l’instrumentalisation politique de la religion (p. 134s). Formule ramassée de la p. 133 est très claire : « Moins de dogmes, moins de disputes ; et moins de disputes, moins de malheurs : si cela n’est pas vrai j’ai tort ». La solution est donc dans le retour à l’adoration d’un « Dieu clément (…) celui dont toute la loi conduisait en ces paroles : ‘Aimez Dieu et votre prochain’ » ; mais « cette loi pure et sainte » a été surchargée « de sophismes et de disputes incompréhensibles » (un Dieu généraliste qui se distingue du Dieu de Jésus Christ trop particulier : cf la prière finale au « Dieu de tous les êtres, de tous les mondes, de tous les temps »)
Contrairement à Locke la solution n’est pas donc politique mais théologique (un christianisme où la morale supplante la doctrine) autant que culturelle (les progrès de la raison) : proposition d’une démocratie politiquement libérale au « gouvernement limité » (quant à son pouvoir) chez Locke, manifeste d’anticléricalisme religieux de l’autre. D’une côté une vision pour l’essentiel laïque et séparatiste, de l’autre un gallicanisme anticlérical.
POUVONS-NOUS DIRE ALORS QUE LES NEO-REPUBLICAINS SONT (comme ils l'affirment volontiers) DES "VOLTAIRIENS"?
Oui, certes, mais non finalement, CAR.... (à suivre...)
PS: petite réponse au commentaire d'Iloreda: Oui, l'ouvrage La solution laïque et ses problèmes d'Emile Poulat est intéressant. Poulat a écrit plusieurs livres sur la laïcité; je vous recommande plus particulièrement le dernier:
Notre laïcité publique, paru chez Berg International en 2003.
19:35 Publié dans Laïcité française | Lien permanent | Commentaires (4)