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28/12/2005

LA LAÏCITE VUE DE "L'ETRANGER"

SEIZIEME ET DERNIER IMPENSE

   Pour le dernier impensé, je vous propose d’examiner la laïcité française vu d’ailleurs, de ce qu’on appelle  en France « l’étranger » (réciproquement, la France est l'étranger des autres pays!). Là, contrairement aux autres impensés, il ne s’agit ni d’un travail d’archives ni d’une enquête systématique, mais d’un propos fondé sur mon expérience. Les fidèles de ce Blog qui ne sont pas Français sont donc spécialement invités à faire des commentaires sur cet Impensé.

Depuis que je suis titulaire de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité », j’ai donné des cours et des conférences dans 28 pays. Dix sept d’entre eux ne sont pas membres de l’Union européenne et il s’agit notamment des pays où je me suis rendu le plus souvent (à 15 reprises au Japon, 10 reprises au Canada, 7 aux Etats-Unis, 6 en Russie et 5 au Mexique). Pour la seule célébration du centenaire, je suis allé dans onze pays[1].

   J’étais invité pour apporter un savoir, mais j’ai beaucoup reçu aussi et ces missions m’ont permis de me dégager des débats trop franco-français. Un seul exemple,  voila la première question qui m’a été posée lors de mon premier cours à Kyoto : « Vous vous dites sociologue de la laïcité, est-ce que vous mettez Dieu en perspective sociologique ? » Ce genre de question décapante induit un décentrement que j’oserai qualifier de ‘salutaire’ !

Une dernière précision préalable : mon public n’était naturellement pas constitué par ce que l’on pourrait appeler des ‘étrangers moyens’. Il s’agissait, avant tout de collègues et d’étudiants. Cependant, souvent, cours et conférences ont alterné, j’ai donc pu aussi toucher un public plus vaste même s’il s’agissait toujours d’un ‘public cultivé’.

   Le bilan de ces missions ne correspond pas du tout à l’idée que, spontanément, on s’en fera en France. Au retour de l’une d’entre elles, un collègue français m’a déclaré : « Vous leur avez parlé de la laïcité, ils n’ont rien du y comprendre ».Or, parler de la laïcité française (ou/et de la laïcité en général) à l’étranger ne présente ni plus ni moins de difficultés que de traiter de tout autre sujet. Il est même possible de dire que, sauf  certains cas, qu’il est plus facile d’aborder la laïcité à l’étranger qu’en France. Plus on s’éloigne de la France, géographiquement et culturellement, plus (quel bonheur !) on vous attend sur un terrain d’argumentation de la preuve sans chercher à interpréter immédiatement vos propos en les ramenant sur un terrain idéologique, convictionnel. On vous demande de ‘tenir la route’ comme universitaire en abordant ce sujet avec les mêmes critères, les mêmes exigences que l’on considère tout autre objet d’enseignement.

   Ceci indiqué, l’objet de cet impensé n’est pas de parler de théorisations savantes. Il s’agit, à travers les échanges, débats, discussions informelles que j’ai pu avoir, de percevoir les conceptions implicites ou explicitées de mes interlocuteurs. Entendons nous bien : indiquer ces conceptions ne signifie pas automatiquement les partager ; c’est seulement refuser de faire la politique de l’autruche, comme c’est trop souvent le cas en matière de laïcité, ce qui est déjà beaucoup.

A partir d’une typologie sans prétention, je distinguerai quatre représentations de la laïcité que j’ai souvent rencontrées dans divers pays.

   La première représentation de la laïcité française la rapproche de l’athéisme d’Etat et/ou suspicion envers la religion. Une petite anecdote  significative à ce sujet : au milieu des années 1990, trois étudiants d’une université de Russie viennent m’attendre à l’aéroport de Moscou. Leur attitude est correcte, mais je ressens une froideur inhabituelle dans l’accueil. Je cherche à en comprendre la raison, commence à discuter avec eux de mes cours. Soudain, l’un d’eux lâche : « la laïcité, c’est la forme française de l’athéisme scientifique »[2].

   Ce n’est d’ailleurs pas seulement en Russie et dans des pays de l’ex bloc de l’Est que l’on rencontre l’idée que la laïcité (française) est une lutte plus ou moins sournoise contre les religions, ou certaines d’entre elles. On la retrouve dans l’Europe du Nord et, parfois aussi, aux Etats-Unis ou même au Canada.

   Avant de  dire qu’il s’agit d’une diabolisation, d’une confusion, ou -au minimum- d’une réduction, il faut prendre au sérieux de tels propos, pour ne pas être soi-même dans l’incantation, il faut écouter les arguments de vos interlocuteurs. En voici quelques uns parmi d’autres:

- la laïcité française a tendance à mettre la religion hors de la culture (critique notamment d’étudiants anglais mais également formulée dans d’autres pays)

- la laïcité française a fait preuve de violence et d’intolérance : des étudiants de l’Université libre de Bruxelles -l’Université laïque !- font remarquer que pendant la Révolution la Belgique fut « envahie » et des prêtres belges tués ; des Canadiens que des congréganistes sont venus chez eux, au début du XXe siècle, chassés par les lois anticongréganistes

- l’attitude française envers les Nouveaux Mouvements religieux et les « sectes » est souvent très sévèrement jugée, notamment à l’époque de la MILS d’Alain Vivien[3] : des professeurs Américains affirment que ce dernier n’a pas voulu recevoir une délégation américaine prétextant qu’un de ses membres était un scientologue alors qu’en fait il s’agissait d’un baptiste ; des professeurs japonais se sont déclarés choqués par le fait qu’une délégation de la MILS venue à Tokyo pour enquêter sur la Soka Gakkai n’a voulu voir aucun d’entre eux mais a longuement rencontré l’organisation religieuse avec laquelle la Soka Gakkai a rompu. « C’est comme si on était allé demander à Rome des renseignements sur Luther », m’a précisé l’un d’eux. D’une manière générale, beaucoup de mes interlocuteurs de différents pays (dans la période 1996-2002 surtout) développaient le propos suivant : « En France, la lutte antisecte est limitée par un dispositif juridique libéral et des traditions démocratiques, mais quand on veut exporter le modèle français en Europe de l’est et en Chine, c’est la liberté religieuse elle-même qui se trouve menacée »

- « la laïcité française est intolérante envers les femmes » : d’Amérique du Nord au Japon, que de fois ai-je entendu dire cela de la part d’étudiantes ou de femmes adultes féministes. La loi de 2004 n’a naturellement pas arrangé les choses. Il a fallu rappeler que le voile était interdit uniquement à l’école publique (et non partout, comme parfois certaines le croyaient[4], ce qui n’empêche d’ailleurs pas le maintien du désaccord. J’ai émis, à plusieurs reprises, le souhait d’un dialogue entre des féministes de différents pays et notamment entre des féministes américaines et françaises, parfois aussi péremptoires (avec des certitudes opposées) les une que les autres. Ainsi, des féministes mettaient en avant que la « Commission Stasi » n’ait pas été paritaire alors qu’elle prenait une décision concernant au premier chef des femmes. Il a fallu leur expliquer que, vu la position féministe dominante en France, cela n’aurait probablement rien changé (ce qui leur a paru étonnant). Il n’empêche, cela les choquait.

   A l’argument : « il existe des foulards contraints, imposé par des frères, maris ou pères », une étudiante américaine, approuvée par ses camarades, m’a rétorqué : « si une femme préfère obéir au petit phallus de son frère, son mari ou son père plutôt qu’au grand phallus de l’Etat, c’est son droit le plus strict ». On m’a raconté également l’histoire d’une pakistanaise, présidente d’une importante association contre l’intervention anglaise en Irak, interloquée quand, lors de l’une de ses tournées en France, on lui a dit qu’elle était sous la domination de son mari parce qu’elle portait un foulard. Elle aurait répondu : « Mon mari, je l’ai choisi et il garde nos enfants pendant que je parcours la planète au service de la cause que je défends ».

   La seconde représentation de la laïcité française la perçoit comme une sorte de religion (civile) républicaine. Cette perception, complémentaire de la première, est exprimée de façon plus ou moins sommaire ou élaborée suivant les publics. Certains d’ailleurs, comme l’anthropologue  Paul A. Silverstein, l’ont plus ou moins théorisée sous une forme un peu plus nuancée  (« French laïcité operates much like a religion »)[5].

   On retrouve dans beaucoup de pays cette idée d’une laïcité française presque religieuse. Et il est significatif de constater que les impensés des uns sont, parfois, l’inverse des impensés des autres. Je me souviens d’une séance avec des étudiants américains  où, par un jeu d’entraînement, chacun surenchérissait sur l’autre pour décrire la laïcité comme la « religion de la France ». Je les ai laissés s’exprimer puis leur ai rétorqué, en souriant, que les Français, eux, se montrait particulièrement sensibles à la religion civile américaine, leur donnant différents exemples dont celui de l’inscription « In God we trust » sur les dollars. Quelle ne fut pas ma stupéfaction de m’entendre répondre que je me trompais, qu’il n’y avait nullement marqué un tel propos sur les billets verts. Réponse qui recueillait l’assentiment général. J’ai du les obliger à prendre un billet de banque et à le regarder attentivement pour qu’ils se rendent compte de leur erreur. Et même l’erreur démontrée, ils n’accordaient pas plus d’importance que cela à la chose [6]. Ainsi, dans chaque pays, existent des réalités que l’on ne veut pas voir, et quand on vous oblige à les regarder en face, on minimise, autant que faire se peut, leur importance. Par contre, vue d’ailleurs, l’importance accordée est grande, voire parfois peut-être disproportionnée.

   Souvent, il m’a été dit, surtout Outre-atlantique : « ce n’est pas parce que  Dieu n’est pas invoqué qu’il n’existe pas, en France, du sacré républicain ». Et cela, en Europe du Nord également, fait penser que la laïcité française est trop radicale. Mais quand on fait préciser les choses, il s’agit beaucoup plus de la mise en cause d’une mentalité suspicieuse à l’égard des religions,  de propos ou d’écrits dont on a entendu parler que de la critique du dispositif juridique laïque français. Certes, en Angleterre, Allemagne ou dans des pays scandinaves, l’absence de budget des cultes est parfois mal vue. Mais, souvent, les aides indirectes et notamment la mise à disposition gracieuse et l’entretien d’édifices du culte ne sont pas connues. Dans le cas contraire, certains peuvent réagir alors comme une collègue anglaise qui affirmait à l’un de mes cours qu’il valait mieux, financièrement, être dans la situation de l’Eglise catholique en France que dans celle de l’Eglise établie d’Angleterre.

   En Europe du Centre et de l’Est, la France semble avoir en partie raté le coche de la sortie du communisme. La situation belge de la laïcité, famille de pensée à côté des religions, est souvent jugée plus attractive que la conception française, à la fois trop globale et, pour certains, ne donnant pas (paradoxalement) de place véritable à l’agnosticisme et à l’athéisme[7]. A mon sens, les deux aspects peuvent être complémentaires et la France doit impérativement prendre des mesures qui réalisent mieux l’égalité des convictions face aux religions.

Dans d’autres milieux, notamment dans les Balkans (Bulgarie, Roumanie,…), le désir d’une nouvelle officialité de la religion majoritaire rend la laïcité française suspecte de ne pas en accorder assez aux croyances. Souvent, mes conférences ont permis un débat entre personnes d’un même pays, d’opinions divergentes voire parfois franchement opposées (encore dernièrement en Slovaquie). J’ai joué un rôle de catalyseur.

   Dans différents pays, mes interlocuteurs m’ont  demandé si cette séparation « trop radicale » ne serait pas en partie à l’origine des difficultés françaises face à l’islam. « La façon dont vous percevez le communautarisme vous amène à en récolter les ‘mauvais’ côtés et pas les  bons’ » m’a-t-on affirmé. On estime aussi que l’allégeance demandée à la « R »épublique montrait l’aspect « néo-colonial » de la laïcité française, que la France écartèle les individus entre leurs différentes identités et que « les Français n’ont pas encore compris que l’avenir est à ceux qui sont porteurs de deux cultures ». On m’a également déclaré : « la France se veut la championne de la diversité culturelle sur le plan international mais la refuse chez elle ». Et un collègue ne m’a pas caché qu’il trouvait notre abord de l’histoire « étroitement national », sous estimant les apports que la France a reçu d’autres pays.

   La « radicalité » réelle ou supposée de la laïcité à la française est, par contre, perçue plus favorablement, voire approuvée dans des pays latins comme l’Espagne, l’Italie, le Mexique ou le Brésil. Parfois aussi, elle est considérée comme une via media qui permet de sortir de l’athéisme officiel sans retomber dans des conflits religieux ou dans la dépendance de la religion majoritaire. Ainsi j’ai trouvé de bons échos en Ukraine où la diversité religieuse est forte (maintien de l’agnosticisme, orthodoxie divisée en trois, catholiques uniates, divers protestantismes qui maintenant égalent en nombre les uniates) et également au Kirghizstan où la situation est parfois tendue entre une bourgeoisie russophone et une population musulmane.

   Une troisième représentation consiste à affirmer que « la France est moins laïque qu’elle ne le pense ». On peut trouver semblables propos dans les pays latins que je viens de citer, particulièrement au Mexique, mais aussi en Belgique, Pays-Bas, au Japon, aux Etats-Unis. Dans ces deux derniers pays, ce sont souvent les fortes subventions accordées aux écoles privées sous contrat qui étonnent, voire choquent certains. On m’a fait également remarquer que, si attaqué soit-il pour le mélange qu’il opère entre politique et religion, le président Bush ne va pas aussi loin dans ses projets d’aides à des écoles plus ou moins confessionnelles. Et si on veut faire jouer l’argument de non-équivalence, alors il faut cesser, en France, de s’indigner de la place occupée en Amérique par les églises comme « lieu de sociabilité ».

   Autre sujet de critique, aux Etats-Unis mais pas seulement, le Concordat en Alsace-Moselle, « le plus archaïque des Concordats » m’a dit un interlocuteur. Au Mexique, au Canada et en Amérique latine, ce sont aussi l’existence de cérémonies officielles dans des églises catholiques, lors de certains événements, qui se trouvent mises en cause.

   Cette troisième représentation est moins fréquente que les deux premières, peut-être parce qu’elle implique une bonne connaissance empirique que la laïcité française. Je l’ai cependant rencontrée, énoncée de deux manières différentes ; soit sur un mode plutôt ludique : des étudiants voulant montrer à leur professeur français que la France, finalement, n’a pas de leçon à donner en matière de laïcité ; soit sur un mode plus agressif ou dramatique comme cette auditrice belge qui posait la question : « la laïcité française n’est-elle pas un masque face aux discriminations indirecte subies par les minorités ? ». Il est même arrivé parfois qu’après avoir effectuer des analyses les plus objectives possibles, j’ai du indiquer mes propres positions pour pouvoir mieux dialoguer avec mes interlocuteurs. Ainsi au Japon, dans un amphithéâtre composé pour les trois quarts d’étudiantes, je devais expliquer les raisons de la loi de mars 2004. Je l’ai fait en donnant les arguments des promoteurs de la loi et mon cours fut accueilli avec une certaine froideur. La question, à laquelle je m’attendais, est très vite arrivée : une étudiante m’a demandé si je ne pensais pas que la laïcité française, telle qu’elle se manifestait par cette loi, traitait mieux le christianisme que l’islam et se montrait « intolérante ». J’ai répondu que l’on changeait de registre et j’ai expliqué ma position personnelle. Les applaudissements se montrèrent alors beaucoup plus chaleureux[8].

   La quatrième représentation, elle, n’est rien moins qu’une perception ‘amoureuse’ de la laïcité française et de la France. Loin de se montrer toujours critiques envers notre pays, certains étudiants et (surtout) des auditeurs adultes de mes exposés ont souvent manifesté une affection, voire une admiration pour la France, cela spécialement dans d’anciens pays colonisés comme la Tunisie ou le Vietnam, mais aussi en Europe de l’Est, en Russie, au Japon. Le thème de « la France pays des droits de l’homme », la vision de la laïcité, invention française située au cœur de ces droits, restent indubitablement présents. Pour certains, la France constitue encore un modèle de démocratie, la laïcité française représente un vivre-ensemble exemplaire. Certains commentaires élogieux sont lyriques, voire idylliques. La référence à la France sert également de levier pour pouvoir critiquer ce qui ne va pas dans son propre pays. Et là votre propre discours empreint d’esprit critique loin de désenchanter l’atmosphère renforce plutôt cet amour de la France : on magnifie le fait que quelqu’un d’aussi libre de ton ait pu faire partie d’un cabinet ministériel ou avoir des responsabilités de direction dans l’institution universitaire…

   L’exemple du Japon est particulièrement significatif. Pour une génération, la France a représenté un idéal pour celles et ceux qui ne voulaient être ni proaméricains ni procommunistes. Le rayonnement de la littérature et de la culture française, la connaissance de l’histoire de France sont sans commune mesure avec ce que l’intelligentsia française sait du Japon. Et la curiosité intellectuelle, souvent laudative envers la laïcité française, de désir de savoir et de comprendre se rencontre dans divers milieux.

   Cette représentation amoureuse est parfois émouvante ; elle pose cependant trois problèmes.

   D’abord, je l’ai évoqué, on la rencontre davantage chez des personnes relativement âgées que chez des étudiants  même si elle n’est pas complètement absente chez ses derniers. On peut se demander si la France ne vit pas sur l’acquis d’un « glorieux » passé.                Paradoxalement, ensuite,  cette attitude explique la vivacité de certaines critiques : j’ai souvent rencontré des réactions d’amoureux déçus[9]. Enfin, même ceux ne vont pas jusque là, aimeraient voir la France, et spécialement la laïcité française, plus audacieuse : dans de nombreux pays, en Europe spécialement mais aussi parfois ailleurs, on m’a souvent dit : « Quand est-ce que vous allez vous décidez à développer véritablement cet enseignement laïque des religions qui pourrait nous servir de modèle ? »

   Au début de 2005, le CNAL a demandé à l’institut csa d’effectuer un sondage pour savoir ce que les Français pensaient de la laïcité. Pour la définir, cinq items étaient proposés et une seule réponse acceptée. Les trois principaux choisis ont recueillis 88% des réponses :

-         mettre toutes les religions sur un pied d’égalité (32%)
-         séparer les religions et la politique (28%)
-         assurer la liberté de conscience (28%)

   Ce triangle laïque ne présente rien d’étrange ou d’incompréhensible dans aucun coin de la planète et, une fois encore, il n’est pas plus difficile de parler de la laïcité que de n’importe quel autre sujet.

   Une démarche comparative montre que, dans des contextes historiques, culturels, politiques différents, des questions analogues se posent en matière de laïcité. Il faut donc mettre fin à deux légendes, un brin xénophobes. La première serait que « les étrangers ne comprennent pas la laïcité ». IL FAUT ARRETER DE PRETENDRE QUE LES ETRANGERS NE PEUVENT PAS COMPRENDRE LA LAÏCITE. Quand ils font des critiques, ce n’est pas qu’ils ne comprennent pas ; c’est qu’ils ne sont pas d’accord !  Assez souvent, ils ne sont pas d’accord avec ce qui est présenté en France comme la laïcité (les lois de 2001 et de 2004 par exemple).

   Ce stéréotype d’une laïcité que les non-Français ne pourraient pas comprendre, ce repli identitaire sur une laïcité incomprise ne signifie-t-il pas une sacralisation de la « laïcité française », une croyance naïve qu’elle est une réalité ésotérique, et par là une tentative de  mettre à l’abri de toute critique la façon dont elle se concrétise en France ?
   La seconde légende, complémentaire à la première, consisterait à croire que la laïcité est une « exception française », que la France serait la fille aînée, que dis-je, la fille unique de la laïcité. La France n’est pas un peuple d’initiés perdu dans un monde profane, incapable de s’approprier des formes diverses de laïcité. La laïcité peut être une réalité partagée comme le montre, entre autres, la Déclaration universelle sur la laïcité.

TRES BONNE ANNEE.

Rendez-vous au tout début de 2006 pour une conclusion sur le centenaire et de nouvelles rubriques. 

    

  



[1] Pendant les 15 mois de la commémoration du centenaire de 1905, je suis allé en Allemagne, Belgique, Bulgarie, Canada (2fois), Etats-Unis (2fois),  Italie,Japon (4 fois), Russie, Mexique, Royaume Uni, Slovaquie.

[2] Un collègue russe, à qui je rapportais cette anecdote, m’a rétorqué : « Que voulez-vous, dans cette université, les parents sont mafieux et leurs enfants sont orthodoxes » !

[3] Cela s’était fortement atténué depuis 2002, mais risque de recommencer avec le virage que vient de prendre la MIVILUDES (cf ; Les Nouvelles du 23/12/2005 dans la catégorie « Actualité »)

[4] On dira, comme on l’a dit lors de la « crise des banlieues », que des medias présentent la France de façon caricaturale. Peut-être, mais beaucoup de média s françaises font exactement pareil quand ils parlent de ce qui se passe ailleurs.

[5] Lors d’une manifestation organisée à l’Assemblée Nationale par le PS, un intervenant a provoqué une facile réaction d’indignation moraliste primaire en stigmatisant un article du Monde titré : « la laïcité, une religion française ». Populisme facile… mais qui évacue les questions gênantes. Ce n’est pas ainsi que le PS sortira du bourbier idéologique dans lequel il est enfoncé.

[6] L’étudiant qui était l’auteur de l’intervention s’en est alors tiré par une pirouette : pour lui, la signification de la phrase incriminée était en fait : « en Dieu nous avons confiance… et tous les autres doivent payer cash ! »

[7] Rappelons, à ce sujet, que la France a reçu un avertissement de la Commission européenne des droits de l’homme a la suite d’une plainte de l’Union des Athées.

[8] Cela m’a semblé particulièrement intéressant car, vu l’âge de ces étudiantes, ce sont elles qui, il y a quelques années ont, comme le résumait un collègue de Tokyo, « pris des ciseaux, raccourci nettement les jupes de leurs uniformes scolaire, et personne n’a rien pu faire ».

[9] J’ai spécialement ressenti cela, au tournant du XXe et du XXIe siècle, face aux activités de la MILS.

Commentaires

Merci pour cette longue et passionnante série (qui deviendra sans doute un livre — qui le mérite en tout cas). Je n'ai hélas pas pu vous rencontrer au Japon pour des raisons d'emploi du temps et je regrette bien qu'un projet de voyage à Nagoya n'ait pas pu se concrétiser. Mais ce n'est pas grave puisque je vous lis (et puis peut-être à votre 16e voyage...).
Je confirme de ma propre expérience tout ce que vous dites sur la perception de la laïcité au Japon et l'utilité de sortir d'un système pour le penser de l'extérieur.
Je me demande d'ailleurs pourquoi des chercheurs et intellectuels japonais, parfois critiques engagés du système français et de ses réalisations au jour le jour, ne sont pas engagés dans leur propre pays dans une lutte contre des situations archaïques et inégalitaires bien plus criantes qu'en France. Invoquant en l'occurrence un certain fatalisme, ne seraient-ils pas plutôt dans un simple impensé de "confort" ?...

Écrit par : Berlol | 29/12/2005

Pour aller dans le même sens que Jean Baubérot...
Je viens de regarder une émission passionnante sur la laïcité de la chaîne LCP (TNT), montrant que le rapport de forces ne nous est pas encore vraiment favorable. Y a du boulot !

Un docu "Je vous salue Marianne" (Azéma, réalisateur) suivi d'un débat-forum.

Parmi les intervenants, Jean Glavany qui préfère ne rien changer, "ne touchez pas à (ma) loi de 1905" (sous-entendu "comme à ma PAC" !). On peut être à gauche et conservateur à la fois. Il a avoué aussi sa conception de la culture puisque associations cultuelle et activité culturelle (sociale, caritative,...) sont incomptatibles. Dommage pour tous les Français.
Henri Pena-Ruiz, lui, craint une surenchère entre les demandes de mosquées et celles pour des temples maçonniques ou de libres penseurs.
Heureusement, Odon Vallet a montré que la Loi a pourtant été plusieurs fois modifiée depuis 1905, notamment pour l'adapter aux exigences du Vatican.
L'imam d'Evry réclame l'égalité entre l'islam français et les autres religions concernées il y a 100 ans.
Surtout Yves Jégo, quoique sarkozyste, a courageusement fait le lien entre l'évolution de la Loi et celle de la société. Quelquefois, il faut avoir le courage de tirer l'opinion vers le haut. Le contraire de la démagogie populiste, non ?

A cette occasion, nous avons aussi appris combien la religion catholique coûte aux contribuables français : 8 milliards d'euros chaque année pour les professeurs de son enseignement privé sous contrat et pour l'entretien de ses 37 740 bâtiments ecclésiaux. On s'étonnera moins que l'épiscopat tienne tellement à conserver le statu quo de la loi de 1905, qu'il a pourtant refusé d'appliquer à l'origine ! Il est vrai qu'à partir de 1922, des décrets lui ont accordé des dérogations pour des dispositions majeures, comme l'absence de démocratie dans l'organisation des paroisses.

Il est vrai aussi qu'en 1984, les laïcards ont empéché la réunification scolaire dans un système national. Depuis, l'école laïque ne cesse d'en payer le prix et s'étiole à petit feu ou à force d'explosions dans les quartiers difficiles. Bourdieu avait raison : l'école reproduit (encore) les inégalités socio-culturelles.

Et bravo pour les IMPPENSES et pour la Charte internationale !

Écrit par : Jacques Monteil | 01/01/2006

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