17/09/2005
LE SECOND IMPENSE DU CENTENAIRE
La LAÏCITE DE 1905 N’EST PAS UNE « EXCEPTION FRANCAISE »
(Catégorie: Les quinze impensés du centenaire)
(Résumé: nous avons vu, il y a une semaine, le premier impensé: la divergence entre la poursuite de la "laïcité intégrale", les années précédent 1905, et la démocratie. Vous trouverez le récit de ce 1er impensé dans la Catégorie "Les quinze impensés du Centenaire", à la suite de celui-ci. Voyons maintenant le second impensé, celui qui est lié en la croyance en un "laïcité exception française")
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Si la poursuite de la « laïcité intégrale » au tournant du XIXe et du XXe siècle peut être qualifiée d’ « exception française » (encore que, ultérieurement, la Révolution mexicaine, avec la Constitution de 1917, et la laïcisation kémaliste à partir de 1924 s’en rapprochent dans une certaine mesure), cela n’est pas le cas de la démarche de la Commission parlementaire de séparation des Eglises et de l’Etat, et surtout de son rapporteur Aristide Briand. Qu’on en juge.
Dans son Rapport à l’Assemblée Nationale, Briand estime « indispensable d’examiner quel est le régime légal adopté dans les autres pays ». Il ne peut le faire que brièvement mais estime qu’une « vue d’ensemble » suffit pour « faire comprendre la continuité de cette évolution qui, par des degrés successifs, conduit les nations de l’antique régime théocratique à celui de la complète laïcité. » Rappelons que nous sommes alors en 1905, c'est-à-dire il y a un siècle.
Briand a ici une perspective porche de celle de Buisson quand ce dernier théorisait pour la 1ère fois la laïcité (cf le début de mon ouvrage Laïcité 1905-2005 entre passion et raison). Mais, plus explicitement que Buisson, il va donner un panorama fort intéressant de différents pays. Il les classe dans une typologie très significative.1èr groupe : les pays qui sont encore dans une « phase quasi théocratique » où l’Etat, « étroitement uni à (une Eglise), reconnaît la prédominance d’une religion sur toutes les autres et n’admet que des institutions sociales conformes au principes de cette religion. » Il s’agit de l’Espagne et du Portugal pour l’union avec l’Eglise catholique, de la Russie , de la Grèce, de la Roumanie, la Bulgarie, la Serbie pour l’union avec des Eglises orthodoxes et de la Suède et de la Norvège pour l’union avec des Eglise luthériennes.
Là existent encore une « religion d’Etat, au sens ancien de l’expression, comme ’religion dominante’ ». Mais même dans ces pays, des évolutions se font sentir : ainsi, « les principes de société moderne ont du être proclamés dans les textes constitutionnels » de l’Espagne et du Portugal. Cependant la liberté de culte y est encore limitée.
2ème groupe : de nombreux pays ont atteint, affirme Briand, « le second stade, celui de la demi laïcité : ils proclament les principes de la liberté de conscience et de la liberté des cultes, mais considèrent néanmoins certaines religions déterminées comme des institutions publiques qu’ils reconnaissent, protègent et subventionnent ». Ainsi en Prusse et dans les autres Etats allemands, en Autriche « il n’y a pas une ‘religion dominante’, une religion d’Etat exclusive de toute autre ; mais plusieurs religions ont un caractère officiel tout à fait semblable à celui des cultes reconnus » de la législation française d’alors.
Briand met donc la France du régime Concordat-cultes reconnus parmi les pays qui sont dans une demi laïcité. Je ne connaissais pas encore ce rapport d’Aristide Briand quand j’ai élaboré, dans les années 1980 « ma » théorie des seuils de laïcisation (rapportés, sous différentes formes dans mes ouvrages depuis 1990, notamment dans le « Que sais-je ? » et dans l’ouvrage cité plus haut). Je suis frappé de constater que ce que je qualifie de premier seuil de laïcisation correspond fort bien à cet état de « demi laïcité » dont parle Briand. Je comprends mal que les philosophes qui estiment que cette théorisation est une sorte de trahison de la laïcité puissent se réclamer de Briand. Mais il ne s’agit pas de leur seule contradiction !
Briand parle aussi de la Belgique, des Pays-Bas, de la Hongrie, de l’Italie, de l’Equateur pour ce groupe de « demi laïcité ».
3ème groupe : « dans quelques pays d’Europe et surtout dans plusieurs grandes républiques américaines apparaît le troisième terme de l’évolution » indique Briand et il précise : « L’Etat est alors réellement neutre et laïque ; l’égalité et l’indépendance des cultes sont reconnues ; les Eglises sont séparées de l’Etat »
En fait, dans les 3 pays européens cités, Irlande, Grande-Bretagne et Suisse, pour les deux derniers la séparation n’est pas complète. Il y a toujours des Eglises officielles mais, et c’est là-dessus que Briand focalise son attention, « on rencontre à côté des Eglises officielles, des Eglises libres séparées de l’Etat ; et (…)l’Eglise catholique est au nombre de ces Eglises libres », à côté d’Eglises protestantes libres.
Donc le régime de séparation est, en fait, « faiblement et incomplètement mis en pratique en Europe ». Mais il est, « au contraire, largement adopté dans le Nouveau Monde ; le Canada (…), les Etats Unis, le Mexique n’en connaissent point d’autres. On le rencontre encore dans la jeune république de Cuba, dans trois République du Centre Amérique et enfin dans le plus important des Etats de l’Amérique du Sud : les Etats-Unis du Brésil ».
La aussi, il est très intéressant de constater que Briand estime que la séparation existe de fait au Canada et que ce pays est laïque. La perspective de Briand est donc proche de celle que développe Micheline Milot dans ses divers travaux (cf son ouvrage Laïcité dans le nouveau monde, Brepols, 2002 et ses contributions dans les 2 ouvrages collectifs que j’ai dirigés : La Laïcité à l’épreuve, religions et libertés dans le monde, Universalia, 2004 et De la séparation des Eglises et de l’Etat à l’avenir de la laïcité, l’Aube, 2005). De même, on lira (toujours dans La laïcité à l’épreuve) la contribution de Roberto Motta sur le Brésil.
Sur les Etats-Unis, Briand a un jugement nuancé. Il indique que « le principe de laïcité et de la neutralité de l’Etat est consacré dans la constitution fédérale » américaine. Mais ajoute que les Etats-Unis ont une « conception spéciale de la laïcité » où il y a « séparation juridique, mais une véritable union morale entre l’Etat et les Eglises » et développe, à partir de là de fort intéressantes remarques.
Notons que l’Amérique, perçue de manière moins nuancée que ne le fait Briand, sera le grand pays de référence des débats de la séparation. Partisans (Jaurès notamment) de la séparation et députés réservés à son égard citent laudativement l’Amérique, les premiers comme un exemple à suivre, les seconds pour déplorer que la séparation qui se prépare en France ne laissera pas (selon eux) la même liberté aux Eglises que la séparation américaine.
Notons aussi, que la séparation française ne va pouvoir réussir qu’en empruntant une disposition essentielle à la législation américaine : nous y reviendrons quand nous traiterons du fait que la séparation de 1905 a pris ses distances avec la logique de « l’universel abstrait républicain » (français)Sur les Etats-Unis, cf. notamment les travaux d’Isabelle Richet et la contribution de Fabienne Randaxhe dans De la séparation…à l’avenir de la laïcité.
Ce qui plait le plus à Briand est la laïcité mexicaine (elle est alors plus libérale qu’elle ne le sera de 1917 à 1992) : « Le Mexique, écrit-il, possède la législation laïque la plus complète et la plus harmonique qui ait été jamais mise en vigueur jusqu’à ce jour (…) : il connaît réellement la paix religieuse » et l’Eglise catholique est toujours forte, elle « ne parait pas avoir souffert du régime légal assez strict mais non oppressif dans lequel elle vit. »
Sur le Mexique : cf. la contribution de Roberto Blancarte dans De la séparation…à l’avenir de la laïcité.
On peut donc constater que l’esprit du principal auteur de la loi de 1905 est à l’opposé d’une « laïcité exception française ».
Nota Bene : on trouvera les 15 pages du rapport Briand sur le site de la Ligue française de l’enseignement : www.laicite-laligue.org
AINSI, POUR BRIAND, comme pour Buisson d’ailleurs, IL N’Y A PAS UN (voire deux ou trois) PAYS LAÏQUE(s), ET LES AUTRES QUI NE LE SERAIENT PAS. IL EXISTE, au contraire, DES PAYS PLUS OU MOINS LAÏQUES, DES PAYS EN TRAIN DE DEVENIR PLUS LAÏQUES QU’ILS NE L’ETAIENT AVANT. LA LAÏCITE EST UNE MARCHE.
IL EXISTE également chez Briand DES FACONS DIFFERENTES DE VIVRE LA LAICITE. (cf. la laïcité américaine comme forme un peu « spéciale » de vivre la laïcité).
Et vous aurez remarqué que sous propos sous entend une DEFINITION NON SUBSTANTIVE DE LA LAÏCITE, et plus encore UNE DEFINITION TRES LARGE OU LE PLURALISME S’AVERE UN CRITERE DECISIF (ainsi il peut exister, par exemple, des « demi laïcités » avec un système de « cultes reconnus »).
Avec la séparation, la France va passer d’un stade de « demi laïcité » à une laïcité plus conséquente qui, affirme Briand, vivent déjà plusieurs pays, notamment des deux Amériques. A chaque fois donc la France n’est pas seule de son espèce. LA MANIERE D’ENVISAGER LA LAÏCITE EST DONC DECONNECTEE DE L’EXPERIENCE FRANCAISE ; ELLE EST D’EMBLEE INTERNATIONALE ; BIEN DIFFERENTE DE LA VULGATE ET DU NOMBRILISME D’AUJOURD’HUI.
LA COMMEMORATION DU CENTENAIRE A INTEGRE LE FAIT QUE LE « PERE » DE LA SEPARATION EST BRIAND ET NON COMBES. ON LOUE BRIAND DE SON LIBERALISME, MAIS L’A-T-ON VRAIMENT COMPRIS ?(Bientôt je vous expliquerai pourquoi, après avoir été parmi les historiens qui ont contribué à mettre en valeur la figure de Briand et à dire que la laïcité de 1905 n’était pas celle du « petit père Combes », j’ai estimé nécessaire de remettre en avant la figure de Combes (et de lutter contre son actuelle diabolisation ou mise à l’écart) dans mon roman : Emile Combes et la princesses carmélite, improbable amour (l’Aube) qui, rassurez-vous paraît bientôt (le 14 octobre)
22:55 Publié dans LES QUINZE IMPENSES DE 2005 | Lien permanent | Commentaires (0)
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