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15/09/2005

POLITIQUE ET RELIGION (suite) : MINORITES RELIGIEUSES ET ISLAM

(Suite de la Note: "En France aujourd'hui, politique et religion")

Rappel: tous les textes publiés dans ce Blog ne peuvent être reproduits sans l'autorisation de l'auteur.

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(de nouvelles Notes  -comme "Le second  des quinze impensés de la séparation" et "Pour une laïcité critique"seront mises samedi et dimanche)

(Résumé du chapitre précédent: diverses enquêtes montrent que les catholiques français ont intériorisé les idéaux de la laïcité et ne se retrouve pas dans les positions officielles de leur Eglise. La laïcité française n'est pas "apaisée" pour autant...) 

Mais comme nous l’avons dit la vision dominante de la religion en France est ambivalente et, si 78% des Français estiment le facteur religieux comme un besoin essentiel dans l’existence, 59% craignent une trop grande importance de la religion  dans le monde (et 47% en France)[1], religion qu’ils perçoivent souvent à travers ce qu’en disent les médias. Le conflit des deux France a été un conflit politico-religieux et la religion revêt presque immédiatement en France une signification politique. C’est pourquoi peu avant 1905, on espérait que la séparation favoriserait l’éclosion d’un « catholicisme républicain »[2], comme aujourd’hui  beaucoup de personnalités politiques parlent de la nécessité d’un « islam modéré », voire un « islam républicain ». C’est aussi dans ce contexte, que l’Etat républicain estime devoir garantir la « liberté de penser » face à des phénomènes religieux trop englobants[3].

Le pouvoir politique commence à se soucier de groupes religieux, ou à la frontières du religieux et du non-religieux, qualifiés de « secte » à partir du milieu des années 1980 et, suite à diverses affaires parfois douloureuses, cette préoccupation devient importante dans les années 1990[4]. Sur le plan juridique, cela abouti à la loi du 12 juin 2001 contre « les mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme » (la formulation initiale visait « les associations ou groupements à caractère sectaire »)[5]. Loi spécifique contre des dites « sectes » dans son intitulé, mais dont l’application est controversée : pour le rapporteur au Sénat la loi s’applique à tout groupement dont les activités aurait « pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétition psychologique ou physique des personnes qui participent à ses activités » (article 20), ce qui lui donne un caractère général. Par contre la rapporteuse à l’Assemblée Nationale affirme : « En aucun cas ne saurait être visés les syndicats, les groupements professionnels ou les mouvements politiques », ce qui lui donne un caractère discriminatoire.

Au-delà de « l’ambiguïté de la position du législateur »[6], le contexte général entraîne une certaine défiance de l’administration, dont l’importance dans la gouvernance politique est énorme, envers ce qui ne semble pas ‘religieusement correct ‘. En 2003,  un document de la Fédération Protestante de France dénonce « la montée depuis une quinzaine d’année d’un climat de suspicion à l’égard du religieux et notamment, pour ce qui concerne la fédération protestante, à l’égard d’associations évangéliques qui, dans leur travail d’accueil de jeunes, par exemple, se voient subitement retirer les aides qui leur étaient précédemment octroyées »[7]. Le président de cette Fédération, Jean Arnold de Clermont, a réitéré ce propos le 4 septembre 2004 lors de l’Assemblée annuelle des protestants au Musée du Désert (lieu de résistance des Camisards contre l’interdiction du protestantisme opérée en 1685 par Louis XIV). Entre temps, en février 2005, le maire de Montreuil, une commune de la  banlieue parisienne, avait -sous le prétexte de vérifier la conformité des locaux- interrompu des cultes de communautés protestantes haïtienne, antillaise et africaine.

Mais la Fédération Protestante réclame également certaines modifications de la loi de 1905, notamment sur deux points : le fait que les modifications apportées à la loi de 1901, loi générale sur les associations s’appliquent automatiquement à la loi de 1905 ; la transformation de l’article 19 de la loi, définissant les associations cultuelles. Il indique que « ces associations devront avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte », la FPF voudrait que le « exclusivement » soit remplacé par « principalement ». Cette seconde demande, due à des problèmes pratiques rencontrés par les églises locales dans leurs activités sociales, touche cependant au symbolique : la loi voulait établir une claire distinction entre le religieux et le politique. Par ailleurs, cette question renvoit à celle des dites « sectes » puisqu’un des principaux problèmes au niveau des représentations sociales les concernant est le déplacement et l’euphémisation de la frontière entre le religieux et le non-religieux. Le discours de la FPF n’est donc guère entendu et il a une conséquence paradoxale : celle de faire apparaître l’Eglise catholique comme un défenseur de la loi de 1905, alors que cette organisation religieuse bénéficie des accommodements effectués par les lois de 1907 et 1908 et par l’accord avec le Saint-Siège de 1923-1924, suite à l’interdiction faite aux catholiques français par le pape Pie X d’appliquer la loi de 1905.

La frontière entre le religieux et le non-religieux est également un enjeu fort des débats concernant l’islam. L’hebdomadaire Elle[8] publie, à la fin de 2003, un manifeste signé par des comédiennes et des intellectuelles en faveur  d’une loi interdisant « le voile islamique à l’école et dans l’administration publique » et, plus largement, « tous les signes visibles religieux ». L’article présentant ce manifeste précise : « le voile n’est pas un symbole religieux (il n’y a aucun consensus des exégètes de l’islam sur la question) mais bien le marquage d’un sexe par un autre, un outil d’oppression hérité d’une longue tradition patriarcale destiné à désigner la femme comme un être éternellement impur dans le regard de l’homme et éternellement mineur dans son statut social. Et cette dialectique de l’obscurantisme et du fondamentalisme est révoltante ». Par contre, des adversaires de cette loi font remarquer qu’un tel discours nie la possibilité pour une femme de porter librement le « foulard » et que cela se situe dans la ligne de l’antiféminisme laïque qui, pendant longtemps, a refusé le droit de vote aux femmes, considérées comme soumises à l’emprise cléricale et devant donc être éduquées, émancipées par la laïcité républicaines (et elles ne l’étaient jamais assez) [9]. On peut constater, en tout cas, que la position dominante des féministes sur cette question est diamétralement opposée des deux côtés de l’Atlantique sans qu’existe une véritable confrontation des points de vue.

Depuis 1989, la question du « foulard » ou du « voile islamique »[10] occupe une place importante dans la vie politique française. La première « affaire » (automne 1989) a suivi de peu la fatwa de l’imam Khomeiny contre l’écrivain Salman Rushdie (février 1989). Cela a fortement contribué à faire estimer par une partie de l’intelligentsia et des enseignants, à tort ou à raison, que le « voile » menaçait la liberté de penser. Par ailleurs, cette affaire est intervenue juste après l’adoption d’une loi donnant certains droits aux élèves (loi Jospin, juillet 1989) et elle a été considérée comme la première conséquence de cette loi. De même aujourd’hui, certains s’indignent que certaines femmes « musulmanes » refusent de se déshabiller devant des médecins hommes (et insistent sur l’influence des maris dans cette affaire)[11]. Or ce fait se passe également dans le contexte de la loi Kouchner de 2002 donnant des droits aux malades[12]. Dans le cadre du conflit des deux France, les institutions scolaire et médicale ont joué dans ce pays un rôle de légitimation politique des régimes se réclamant de 1789 et spécialement du régime républicain. En effet, ne pouvant pas se légitimer par la religion, ces régimes devaient opposer la « marche du progrès », la coïncidence du progrès technique et scientifique et du progrès social et moral au « passéisme » religieux. Ecole et médecine ont, en conséquence, été l’objet d’un enchantement séculier plus fort que dans les autres pays démocratiques et aujourd’hui le désenchantement des institutions séculières, les modifications du rapport de force entre l’institution est l’individu revêt, en France, une signification plus politique qu’ailleurs (J. Baubérot, 2004). De part ses caractéristiques culturelles et religieuses spécifiques, de part aussi la position dominante de ses membres dans la société française, l’islam constitue une caisse de résonance de ces changement politico-symboliques. Mais, faute d’une analyse générale, beaucoup prennent la caisse de résonance pour la cause.

Il s’est opéré un renversement de la perception politique dominante des religions entre le tournant du XIXe et du XXe siècle et le tournant du XXe et du XXIe siècle[13]. Il y a un siècle l’idéologie laïque et républicaine dominante estimait, à tort ou à raison, que les congrégations, voire le « cléricalisme » largement entendu constituait une « menace » politique contre laquelle il fallait se défendre[14]. Elle considérait plus favorablement l’islam[15] que le catholicisme. Nous pouvons regrouper les arguments mis en avant en trois raisons principales.

La première tient à la représentation de la structure théologique des deux religions. Des dogmes catholiques[16] tels la Trinité, la transsubstantiation, la naissance virginale de Jésus, la résurrection,… étaient considérés comme une offense à la Raison et à la Science. Les nouveaux dogmes : l’immaculée conception de Marie et l’infaillibilité pontificale aggravaient  cet aspect « obscurantiste ». Au contraire, l’insistance islamique sur l’unicité de Dieu, la simplicité de la religion musulmane en matière de dogmes, s’accordaient assez bien avec l’imaginaire de la tendance spiritualiste de la libre-pensée.

 La seconde raison porte sur la structure institutionnelle des deux religions : l’islam semblait une religion bien moins « cléricale » que le catholicisme : ni pape, ni évêque ni hiérarchie. Pas même de clergé affirmait-on ; en tout cas pas de prêtre célibataire ayant prononcé des vœux le différenciant des « laïcs ». Là encore l’islam apparaissait favoriser une piété individuelle plus proche du spiritualisme républicain que le catholicisme.

Troisième et dernière raison invoquée: au contraire du catholicisme, et de sa célèbre Inquisition, l’islam est alors considérée comme une religion historiquement assez « tolérante », qui a admis la présence de minorités chrétiennes et juives sur son sol.

L’islam, religion plus éclairée, moins cléricale et plus tolérante que le catholicisme qui pourrait l’affirmer  aujourd’hui, en France, en étant crédible ? On insistera au contraire, en ce début de XXIe siècle, sur le « contraste » entre un christianisme qui « rendrait à César ce qui est à César » et « à Dieu ce qui est à Dieu », serait à « l’origine » de la laïcité et un islam qui, de tout temps, confondrait allègrement religion et politique. Lors des auditions de la Commission Stasi, un ancien ministre, situé au centre de l’échiquier politique, a insisté sur le fait qu’au regard de la République, « toutes les religions ne se valent pas », qu’on ne pouvait donc mettre sur le même plan christianisme et islam.

Le discours sur la « République menacé » s’avère donc récurrent en France, tout en changeant d’adversaire. Il correspond, certes, à certaines réalités mais il possède également une fonction idéologique. La « menace » est idéologiquement surestimée à l’époque même et elle est idéologiquement sous-estimée (ou implicitement niée) cent ans plus tard. Le discours républicain français dominant du début du XXe siècle est maintenant, le plus souvent, sévèrement jugé[17]. Qu’en sera-t-il, dans un siècle ou peut-être moins, du discours républicain français dominant d’aujourd’hui ?

Ouvrages et Articles cités[18]

Assemblée nationale, Les sectes en France. Rapport fait au nom de la Commission d’enquête sur les sectes,  Assemblée Nationale, n°2468, Paris, 1996

Baubérot J., Vers un nouveau pacte laïque, Le Seuil, 1990

Baubérot J., « Laïcité, sectes, société », Champion Fr. – Cohen M., Sectes et Démocratie, Le Seuil, 1999, 314-330.

Baubérot J., Laïcité 1905-2005 entre passion et raison, Le Seuil, La couleur des idées, 2004.

Baubérot J., Histoire de la laïcité en France, PUF, Que sais-je ?, 3ème édition refondue, 2005.

Baubérot J., Emile Combe et la princesse carmélite. Improbable amour. L’Aube, Regards croisés, octobre 2005.

Chélini-Pont B. – Gunn J., Dieu en France et aux Etats-Unis, quand les mythes font la loi, Paris, Berg International, 2005.

Larkin M., Church and State after the Dreyfus Affair. The Separation Issue in France, London, Macmillan, 1974.

Rolland P., « La loi  du 12 juin 2001 contre les mouvements sectaires portant atteinte aux Droits de l’Homme. Anatomie d’un débat législatif », Archives de sciences sociales des religions, 121, janvier-mars 2003, 149-165.

Rosanvallon P., Le Sacre du citoyen, Paris, Gallimard, 1992.

Roy, O. La laïcité face à l’islam, Paris, Stock, Les essais, 2005.

Sorrel Ch., La république contre les congrégations, Paris, Le Cerf, 2003.


[1] Sondage CSA effectué en juin 2005 pour Le Monde des religions,auprès d’un échantillon national représentatif  constitué selon la méthode des quotas auprès de 948 personnes âgées d’au moins 18 ans

[2] Mais la loi de 1905 a tourné le dos à une telle perspective, notamment par son article 4 : cf. M.Larkin, 1974.

[3] Cf.  J. Baubérot, 1999.

[4] Cf. notamment, Assemblée Nationale, 1996.

[5] Pour ce qui suit, cf. P. Rolland, 2003.

[6] P. Rolland, 2003, 157.

[7] Fédération Protestante de France,La Laïcité, 19/9/ 2003. (document remis à la « Commission Stasi », cf. note 32)

[8] « Elle s’engage », Elle, 8/12/2003.
[9] La France est le pays où le différentiel entre l’obtention du droit de vote par les hommes (1848) et par les femmes (1944) est le plus important de tous les pays démocratiques. La conception de l’universel républicain en est largement la cause (cf. P. Rosanvallon, 1992, 396, 411 sq.

[10] L’appellation est souvent en affinité avec la position de l’acteur social, auteur du propos. Il est à noter que -paradoxe- ce sont les acteurs qui sont enclins à tolérer cette tenue au non de la liberté de conscience qui parlent de « foulard » et les acteurs qui veulent l’interdire en affirmant qu’il ne s’agit pas d’un « symbole religieux » qui  réclament une loi interdisant les « signes religieux » et parlent de « voile islamique ».

[11] Ce fait, que personne n’a cherché à quantifier, a été considéré comme particulièrement significatif par certains membres de la « Commission Stasi » chargée, par le Président de la République, d’étudier les problèmes posés par l’application du « principe de laïcité ».

[12] Paradoxe intéressant, les médecins français du XIXe siècle refusaient l’accés des études médicales aux femmes au motif que l’exercice de ce métier offenserait leur pudeur. La 1ère femme autorisée à s’inscrire à de telles études put les suivre à la Faculté d’Alger précisément pour pouvoir soigner des femmes musulmanes d’Algérie.

[13] Sur la 1ère représentation dominante cf. notamment le Grand Dictionnaire Universel (publié de 1866 à 1876 mais largement utilisé encore au début du XXe siècle dans l’encadrement républicain, sur la seconde cf. notamment O. Roy, 2005.

[14] Nous donnons une représentation romancée, mais fondée sur un travail d’archives, du climat et des événements des années 1902-1905 dans notre roman historique J. Baubérot, 2005/2.

[15] Cf. le rapport d’E. Combes sur l’islam  (in J. Baubérot, 2005/2). Cela n’empêchait cependant pas de vouloir contrôler l’encadrement de l’islam en Algérie.

[16] En fait, à part la transsubstantiation (considérée comme particulièrement absurde et obscurantiste) et les nouveaux dogmes du XIXe siècle, ces dogmes étaient communs au christianisme. Mais, dans le protestantisme lui-même, ils étaient soit contestés soit l’objet de réinterprétations spiritualisantes.

[17] On estime que « La République (était) contre les congrégations » (titre de l’ouvrage de l’historien  Ch. Sorrel, 2003), alors qu’à l’époque même des Républicains modérés estimaient que c’étaient les congrégations qui étaient contre la République .

[18] Les documents autres que les ouvrages et articles sont référencés en note.

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