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08/07/2005

LES PREMIERS DEBATS A LA CHAMBRE

 

 

RESUME DES CHAPITRES PRECEDENTS

 

 Cadre général :

 

 En 1904-1905, la IIIe République existe depuis un tiers de siècle, c’est presque le double de la durée de vie des régimes les plus longs du xixe siècle. Elle a surmonté diverses crises. Elle devrait donc être solide, sinon apaisée. Or, il n’en est rien.  Les mesures prises entre 1901 et 1904 ont entraîné des résistances (mort d’un républicain en mai 1903 à Nantes) et sont allées de pair avec la montée du thème de « la République  en danger ». Il semble que le régime républicain soit emporté vers “ la guerre à toujours ” avec le catholicisme, situation que Ferry voulait éviter.

Effectuée dans un contexte très conflictuel et marquant une nouvelle rupture, la séparation des Églises et de l’État (1905) constitue pourtant un retournement de situation aux effets progressifs. Le refus du pape n’empêche pas sa réalisation pacifique (lois de 1907 et 1908) puis un accord d’application avec le Saint-Siège en 1923-1924. En 1946 la République deviendra constitutionnellement laïque. La victoire maîtrisée des Républicains a permis le passage d’une laïcité, bien exclusif d’une des deux France en conflit, à une laïcité qui peut inclure les membres des deux France. C’est de cette transformation dont rend compte la notion de pacte laïque.

Le processus immédiat de la séparation :

Une visite du président Loubet au roi Victor Emmanuel à Rome (avril 1904) provoque la protestation du pape : selon lui le chef d’Etat d’une « nation catholique » ne peut pas admettre la perte de Rome par le pouvoir pontifical et donc aller voir le roi d’Italie dans sa capitale. Cette vue des choses montre l’ampleur du désaccord : la France était toujours perçue comme la « fille aînée de l’Eglise » car une exigence similaire n’était pas réclamée de l’Empereur d’Allemagne. Or, face à ce dernier pays,  la France avait un besoin vital d’une entente avec l’Italie et le voyage de Loubet relevait seulement de la politique étrangère[1]. Par ailleurs, le nouveau pape, Pie X, convoque deux évêques français à Rome, sans l’agrément habituel du gouvernement. Les relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège sont rompues (30 juillet 1904).

     En novembre 1904, Combes dépose un projet de loi : les Églises, séparées de l’État, seront soumises à une surveillance très étroite. Ainsi, les édifices religieux seront loués pendant dix ans aux associations affectées à l’exercice d’un culte. Ces locations “ pourront ” être renouvelées “ dans les limites des besoins ” – le Conseil d’État ou le préfet en étant juges. Les “ biens reconnus non utiles ” pour un culte “ pourront être concédés à un autre culte ou affectés à un service public ”.

D’autres épées de Damoclès sont placées sur la tête des Églises : les mesures de police des cultes sont sévères, facilitant l’engagement de poursuites judiciaires. Elles permettront de fermer des édifices religieux avant même tout jugement correctionnel. D’autre part, les unions d’associations devront être limitées au territoire d’un département (ainsi il existera une Eglise catholique de la Creuse sans lien avec celle du Rhône ou de l’Yonne) ce qui facilitera leur surveillance par le préfet, etc.

 

Avant Combes, une proposition de loi avait été déposée, en 1903, par un député socialiste Francis de Pressensé[2] (co-signée par Briand et Jaurès). Elle soumet les associations pour l’exercice d’un culte à des conditions nettement plus restrictives que celles régies par la loi de 1901. Les édifices religieux loués aux ex-cultes reconnus pourront servir à “ célébrer des fêtes civiques, nationales ou locales ” ; est-ce un retour à des pratiques de la Révolution ? Il est interdit de rattacher un diocèse à la juridiction d’un “ évêque ayant son siège en pays étranger ” et cela semble viser les liens avec le pape. Sur un seul point, le projet Pressensé tranche avec celui de Combes : il garantit “ la liberté de conscience et de croyance ”.

Dans un tel contexte, le processus de séparation des Églises et de l’État apparaît aux catholiques convaincus comme une nouvelle “ persécution ”. Dès 1901, les mesures anti congréganistes semblaient à Brunetière le signe qu’on allait vers une séparation qui serait, en fait, “ la séparation de l’Église et de Rome ”. À la catholicisation cléricale de la nation, tentée lors des années 1870, va correspondre la “ nationalisation ” anticléricale du catholicisme : une “ Église nationale ” qui devra épouser “ les préjugés, les passions, les intérêts ” du peuple.

Or, à la fin de 1905 et en 1906, Brunetière prend l’initiative d’une “ supplique aux évêques ” engageant l’Eglise catholique à accepter la séparation : la loi, écrit-il, ne nous empêche “ ni de croire ce que nous voulons, ni de pratiquer ce que nous croyons ”. Brunetière n’a nullement changé, mais les craintes qu’il formulait – et que les projets de 1903 et 1904 confirmaient – se révèlent infondées au regard du contenu de la loi. Un exemple : il avait écrit que “ jamais la République n’accepterait que les évêques puissent tenir des assemblées collectives : elle en aurait trop peur ! ”. Or, une semblable réunion, interdite sous le Concordat,  a lieu dès mai 1906.

 

Anticléricalisme d’Etat et séparation

 

Entre l’anticléricalisme d’Etat de 1899 à 1904 et la loi de séparation de décembre 1905, un renversement s’opère. Pourquoi ? En partie à cause de l’ambivalence de l’anticléricalisme : son combat s’effectue au nom des idéaux démocratiques et sa logique combative le conduit à s’éloigner de ces idéaux. La « laïcité intégrale » est comme l’horizon : on ne l’atteint jamais et l’échec relatif de chaque mesure oblige à en prôner une nouvelle plus restrictive.

Dans cet engrenage, laïcisation et démocratie s’éloignent l’une de l’autre. On semble en revenir au ‘pas de liberté pour les ennemis de la liberté’ révolutionnaire, or la mémoire républicaine (même si elle se réclame de la Révolution) n’ignore pas les dérives auxquelles cette conception de la liberté a abouti. Certains refusent alors « l’omnipotence de l’Etat laïque » où ils voient une « tyrannie » qui, pour « éviter la  congrégation, (fait) de la France une immense congrégation » (Clemenceau).

Il existe alors un lien étroit entre l’Etat républicain et la libre pensée au sens large du terme. Et laïcité et libre pensée tendent à devenir des synonymes.

Ainsi le directeur des Annales de la Jeunesse laïque,  indique pourquoi il «  hai(t) la religion »,  en signant « profession de foi d’un jeune laïque ».

 La vitalité de la libre pensée se manifeste par des Congrès internationaux (Genève, 1902 ; Rome, 1904) et par l’organisation d’une Grande Fête civique de la Raison le 17 mai 1903 au Trocadéro où défilent derrière des membres d’associations et de publications libre penseuses des représentants des groupes socialistes, du parti radical et radical socialiste, des jeunesses républicaines et des loges maçonniques. La séparation des Eglises et de l’Etat est réclamée et quand celle-ci devient probable il peut sembler que le mouvement libre penseur entraîne l’Etat républicain vers ses objectifs[3].

Pourtant le projet d’Emile Combes inquiète certains libres penseurs eux-mêmes par sa dureté, et notamment, Aristide Briand, rapporteur de la Commission parlementaire élue en juin 1903 et, de justesse (17 contre 16), favorable à la séparation.

Des protestants organisent une campagne de presse dans le quotidien anticlérical Le Siècle : minoritaires et républicains ils trouvent particulièrement injustes les dispositions de Combes. Elles leur semblent de plus inefficaces envers le catholicisme qui sera religieusement ligoté mais pourra, par le biais de la loi de 1901 sur les associations, avoir librement une action politique.

En janvier 1905, l’ “ affaire des fiches ” (c’est-à-dire la surveillance, avec l’aide de loges maçonniques, de la vie privée des officiers pour freiner ou accélérer leur promotion suivant qu’ils faisaient ou non acte de catholicisme) conduit Combes à démissionner  même si ce système de délation avait été mis en place sous Waldeck-Rousseau.

 

LES DEBUTS DU DEBAT PARLEMENTAIRE

 

Le débat s’engage à la Chambre le 21 mars 1905. L’abbé Gayraud, député démocrate chrétien, critique la situation concordataire : « l’Eglise (catholique) est reconnue non pas comme la vraie religion mais tout simplement comme la religion de la majorité des Français » mais désavoue encore plus le projet de séparation. Où « l’Eglise (catholique) deviendra dans ce pays une association semblable à toutes les autres ». Il avertit : « Au-dessus des lois que vous pouvez faire, il y a le droit de Dieu et la liberté de nos consciences catholiques ». Il demande la création d’une Commission extra parlementaire comprenant des « ministres des cultes reconnus » et se concertant avec le Saint Siège.

 Cela est refusé et, naturellement, la séparation n’est nullement un ‘pacte’ si on réduit ce terme à une entente formelle. Mais, la séparation est une mesure qui concerne la vie sociale des Français. Si une minorité d’entre eux vont régulièrement à la messe, baptêmes, mariages et enterrements religieux restent la norme. Principes démocratiques et réalisme électoral se conjuguent alors pour estimer que la loi doit se montrer accommodante, renoncer aux dispositions rigoureuses.

 

La proposition de la Commission va dans ce sens.

 Le 10 avril 1905, elle est combattue par Maurice Allard, député socialiste, qui estime qu’il y a différentes sortes de séparation. Celle que veulent les libres-penseurs est « celle qui amènera la diminution de la malfaisance de l’Eglise (catholique) et des religions ». Or, pour lui, le projet de la Commission ne va pas du tout dans ce sens. Au contraire, il  rompt avec la politique menée par le « parti républicain (…) depuis plus de trente années ».  Allard s’étonne qu’au moment du « combat décisif contre l’Eglise (catholique) », on demande de « déposer les armes  et d’offrir un projet dit libéral, tel qu’elle-même n’aurait jamais oser le souhaiter».

 Briand assume cette pacification et récuse l’alliance entre l’Etat républicain et la libre pensée : celle-ci devra compter, pour atteindre son but, « sur le seul effort de la propagande, sur la seule puissance de la raison ». Implicitement, il indique donc que la libre pensée, au même titre que les Eglises, sera séparée de l’Etat et que ce dernier va retrouver son rôle d’arbitre.

D’ailleurs le vocabulaire de Briand rompt avec la période précédente où la terminologie guerrière de la « République menacée » prédominait. Briand avait déjà dit à ses « amis » à la Chambre : « Ayez du sang-froid, sachez résister aux surenchères, ne craignez pas d’être taxés de modérés, d’opportunistes » (27 mai 1904). Là il déclare : « Je supplie (sic) mes amis de la majorité républicaine de résister au désire de faire (de la loi) une « manifestation anticléricale (…qui) pourrait mettre aux mains des ennemis de la République une arme dangereuse ».

Avant il fallait prendre des mesures répressives pour parer aux « dangers » encourus par la République ; maintenant ce serait la poursuite de telles mesures qui, indirectement, mettrait la République en danger[4]. On passe d’une vision exclusive à une vision  inclusive.


[1] La Note de protestation fut, en outre, transmise aux autres chefs d’Etat dit « catholiques » avec une phrase assez agressive qui ne figurait pas dans la version transmise au gouvernement français.

[2] Cf. R. Fabre,  Francis de Pressensé et la défense des Droits de l’Homme, Rennes, PUR, 2004.

[3] La séparation figurait depuis 1869 dans le programme républicain mais de Ferry, Gambetta et Paul Bert à Combes (en 1903), les responsables politiques l’avaient toujours refusée : libérale, elle faisait perdre au gouvernement ses moyens de contrôle, stricte elle risquait d’être mal acceptée par l’opinion.

[4] Sur les débats des Chambres,  cf. (Y. Bruley), La séparation des Eglises et de l’Etat, les textes fondateurs,  Tempus, 2005 et J.-M. Mayeur, La séparation des Eglises et de l’Etat, Les Ed. de l’Atelier, 2005.

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