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21/03/2005

COMBES: le discour d'Auxerre

DISCOURS D’EMILE COMBES A AUXERRE
4 SEPTEMBRE 1904
« Quelque éloigné que je sois par habitude et par goût de rechercher les occasions de me produire en public, je ne peux que m’applaudir aujourd’hui d’avoir cédé aux instance de mon excellent ami M. Bienvenu Martin, et de vos autres représentants, et d’avoir accepté la présidence de cette fête locale. L’accueil si cordial qui m’était réservé, l’universelle et manifeste allégresse de la foule, la spontanéité des ovations vraiment enthousiastes dont je suis l’objet, toutes ces marques de la communauté de sentiments qui m’unit à vos populations si ardemment, si profondément républicaines, sont bien propres à échauffer l’âme la plus froide et à laisser dans l’imagination la moins impressionnable d’ineffaçables souvenirs.

(…) Messieurs, (…) la République de 1870 a débarrassé la France de la dernière forme de la Monarchie. Le Ministère actuel entend que la République de nos jours l’affranchisse absolument de toute dépendance, quelle qu’elle soit à l’égard du pouvoir religieux.
(…) Depuis un siècle, l’Etat français et l’Eglise catholique vivent sous un régime concordataire qui n’a jamais produit ses effets naturels et légaux. Ce régime a été présenté au monde comme un instrument de pacification sociale et religieuse. (…) En réalité il n’a jamais été qu’un instrument de lutte et de domination.
Sous les gouvernements autoritaires, comme le premier Empire, l’Etat s’en est servi pour contraindre le clergé catholique à la soumission la plus humiliante, aux adulations les plus basses, même à un rôle répugnant de policier, en usant contre les ministres du culte récalcitrants de moyens coercitifs, violents.
Sous les gouvernements faibles et timorés, qui se piquaient de pratiquer l’alliance du trône et de l’autel, c’est l’Eglise qui s’est prévalue du Concordat pour assurer sa prépondérance, en supprimant de fait toutes les clauses des articles organiques qui gênaient son dogmatisme intolérant.
La République, n’ayant pour elle ni la crainte résultant des habitudes violentes du pouvoir personnel, ni les bénéfices corrélatifs d’une pieuse docilité, s’est débattue depuis plus de trente ans dans des difficultés inextricables pour régler, conformément au pacte concordataire les rapports de l’autorité civile et de l’autorité religieuse. Toutes ses tentatives sont demeurées infructueuses.
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(…) Messieurs, aucun homme réfléchi n’a pu se méprendre sur la situation nouvelle qui est née, tant des réponses évasives de la Curie romaine que de la résolution prise par le Gouvernement. Le pouvoir religieux a déchiré ostensiblement le Concordat. En ce qui me concerne personnellement, il n’entre pas dans mes indentions de le rapiécer. (…) il est évident que la seule voie restée libre aux deux pouvoirs en conflit, c’est la voie ouverte aux époux mal assortis, le divorce et de préférence le divorce par consentement mutuel.
(…) Messieurs, je crois sincèrement que le parti républicain (…) acceptera sans répugnance la pensée du divorce, et je crois aussi, disons mieux, je suis sûr qu’il l’acceptera, non dans un sentiment d’hostilité contre les consciences chrétiennes, mais dans un sentiment de paix sociale et de liberté religieuse. (…)

Il importe que les républicains fassent preuve dans ce débat d’une largueur d’idées et d’une bienveillance envers les personnes qui désarment les défiances et rendent acceptable le passage de l’ordre de choses actuel à l’ordre de choses à venir.
Qu’il s’agisse des édifices affectés au culte ou des pensions à allouer aux titulaires actuels des services concordataires, il n’est pas de concession raisonnable, pas de sacrifice conforme à la justice que je ne sois disposé pour ma part à conseiller, afin que la séparation des Eglises et de l’Etat inaugure une ère nouvelle et durable de concorde sociale en garantissant aux communions religieuses une liberté réelle sous la souveraineté incontestée de l’Etat.
(…) Messieurs, je lève mon verre à la ville d’Auxerre qui me reçoit avec un entrain si cordial et si chaleureux (…). Je garderai de la visite que je fais un souvenir ému. Je bois aussi à la démocratie de l’Yonne, aux vaillants vignerons du département, qui s’est distingué de tout temps par l’indépendance du caractère et l’ardent amour de la liberté. »

Autant Combes a été combatif envers les congrégations, autant il a été prudent et en retrait sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Deux explications peuvent être données de cette attitude.
L’explication généralement retenue par les historiens (et notamment Maurice Larkin, auteur du seul livre d’ensemble relativement récent sur le processus de séparation publié en 1974 et qui vient seulement d’être traduit en français : L’Eglise et l’Etat en France. 1905, la crise de la séparation, Toulouse, Privat, 2004, qui pousse cette thèse à l’extrême) est que Combes est partisan du Concordat (appliqué rigoureusement) et ne va à la séparation qu’en reculant, poussé par Clemenceau et Jaurès.
Par contre Combes, dans ses Mémoires, écrites en 1907 donc après coup, insiste sur le fait qu’il souhaitait la séparation mais que, dans la position de responsabilité gouvernementale où il se trouvait, toute accélération du processus aurait été contre productive : une partie de son gouvernement était hostile à la séparation et s’il se produisait une rupture au sein de son Cabinet (cas de figure fréquent alors : on était en régime parlementaire où des gouvernements de tendance proche se succédaient) le Président de la république Emile Loubet ne ferait certainement pas appel à lui pour former un nouveau Cabinet. Et comme Loubet était lui-même fort hostile à la séparation…

Sans nier que Combes souhaitait un contrôle de l’Eglise catholique (mais ce contrôle pouvait s’exercer soit par le Concordat appliqué rigoureusement soit par une séparation où l’Etat garde de fort moyens de contrôle, ce qui sera le cas dans le projet de loi que Combes déposera en novembre 1904), je pense que l’argument de Combes mérite d’être pris en considération. Le cœur de Combes devait pencher pour la séparation, mais pas n’importe laquelle et en avançant avec prudence pour éviter de prendre des mesures boomerang. De toute façon, si certains contemporains piaffaient d’impatience, le processus de séparation s’effectue dans un temps assez court et s’emboîte sur le combat anti-congréganiste.

Quelques dates permettent d’en donner une vue synthétique :

Juin 1902 : arrivée de Combes au pouvoir, sa Déclaration ministérielle ne dit rien de la séparation
Octobre 1902 : décision de principe de nomination d’une Commission à partir d’une proposition du député radical de Charente Inférieure (le département de Combes) Eugène Réveillaud (dont le fils Jean est dans le Cabinet de Combes). Il est difficile d’imaginer que Combes et Réveillaud ait été en complet désaccord !
Juin 1903 : Election de ladite Commission (33 membres, 17 favorables à la séparation, 16 contre) : Buisson président, Briand rapporteur
Avril 1904 : Voyage a Rome du Président Loubet, protestation du pape Pie X contre ce voyage car Rome est l’ancienne capitale des Etats pontificaux et le pape veut défendre aux chefs d’Etat de « nations catholiques » toute visite à Rome (quitte, lui, à se rapprocher du pouvoir italien si besoin pour négocier une solution concernant le Vatican). Or le rapprochement avec l’Italie était une nécessité vitale pour la politique extérieure française pour ne pas avoir à ouvrir un front sur les Alpes en cas de guerre avec l’Allemagne.
17 Mai 1904 : Jaurès publie dans l’Humanité la Note de protestation du pape, telle qu’elle a été envoyée aux autres chefs d’Etat « catholiques », cette Note (que lui a remise le prince de Monaco) comporte une phrase qui ne figurait pas dans la version remise au gouvernement français et qui pouvait être considérée par la France comme insultante.
Rappel de l’Ambassadeur français auprès du Saint-Siège.
6 Juillet 1904 : La Commission Buisson-Briand remet une proposition de loi sur la séparation des Eglises et de l’Etat (ce fait est éclipsé par la loi du 7 juillet interdisant l’enseignement aux congrégations)
30 Juillet 1904 : Rupture des relations diplomatiques avec le Saint Siège à la suite de l’affaire Gay-Le Nordez, 2 évêques convoqués par le Vatican à l’insu du gouvernement français alors que selon le régime concordataire cette démarche devait impliquer l’aval du gouvernement.
4 septembre 1904 : Combes se déclare officiellement favorable à la séparation dans le discours qu’il prononce au banquet républicain d’Auxerre (Yonne) après s’être assuré (selon lui) pendant l’été de l’accord de ses ministres.

On peut constater
-qu’en moins de 2 ans le processus a pris forme
-que le pape n’a rien fait (c’est une litote) pour le contrecarrer.
On peut même se demander s’il ne souhaitait pas une séparation qui apparaisse « persécutrice » et ‘réveille’ le catholicisme français. La version catholique prétend qu’il y a eu rupture « unilatérale du Concordat ». Combes à Auxerre affirme que le pouvoir religieux a déchiré le Concordat. Il est classique et de « bonne » stratégie de rejeter la « faute » sur l’autre. Chacun sans doute trouvait son compte dans la rupture, à condition de pouvoir affirmer qu’elle ne provenait pas de lui.
(à suivre)
PS/ Vous avez noté le "Messieurs"! Il y avait 4 femmes sur des milliers de convives. Dommage pour Combes qui aimait bien leur faire la bise (il affirmera qu'il a été le président du Coseil qui a embrassé le plus de femmes); encore plus dommage pour les femmes elles-mêmes exclues de la participation à la vie politique et du droit de vote.

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