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05/03/2005

COMMEMORATION DE 1905

LA COMMEMORATION OFFICIELLE
DU CENTEN AIRE DE LA SEPARATION
A COMMENCE
ATTENTION A LA VISION DE LA SEPARATION
QUI RISQUE DE S’IMPOSER SUBREPTICEMENT



Le savez-vous ? Le gouvernement a confié la commémoration officielle du centenaire de la séparation à l’Académie des Sciences Morales et politiques. Je n’ai rien contre ce choix. L’ASMP (je vais y revenir) est très qualifiée pour organiser des manifestations scientifiques de qualité et qui vont faire progresser le savoir. La personne qui travaille à la célébration de ce centenaire (sous la direction d’A. Damien, membre de la’ASMP) est Y. Bruley qui a réalisé un très très judicieux choix de textes : 1905, La séparation des Eglises et de l’Etat, les textes fondateurs, édition Perrin.

Je regrette simplement que, contrairement à d’autres commémorations, il n’y ait pas eu la constitution d’un Comité plus large pouvant subventionner diverses manifestations ayant lieu un peu partout en France (c’est ce qui avait eu lieu, notamment, pour le bicentenaire de 1789). Et la « France d’en bas », Monsieur Raffarin, on dirait que vous avez un peu peur de ses initiatives….
Pour le moment, deux manifestations ont eu lieu, toutes deux fort intéressantes, mais réservées à une « élite », et n’ayant guère d’impact social.

La première a été la Cérémonie officielle du 14 février dernier. Il fallait avoir sa carte d’invitation, montrer patte blanche : le Ier Ministre était reçu par l’Académie. On a entendu de forts savants discours…dont on aurait bien aimé pouvoir débattre. Signalons que Pierre Nora, en particulier, a effectué une remarquable analyse de ce que l’on pourrait appeler la « religion civile républicaine » (et… dont l’exposé de Claude Nicolet donnait une illustration…involontaire) et Jean Foyer une analyse nettement plus contestable (cf ci après) et interminablement longue de la loi de séparation. A défaut d’avoir été parmi les « happy fews » invités, on trouvera (bientôt j’espère) ces exposés sur le site officiel du centenaire.

Et Jean-Pierre Raffarin ? Eh bien Jean-Pierre Raffarin a joué, dans cette cérémonie, le rôle de l’Etre Suprême dans la Déclaration des droits de 1789.
Vous savez, selon le Préambule, la Déclaration est faite « en présence et sous les auspices de l’Etre Suprême » …mais ce dernier est muet, passif (alors que dans la déclaration d’Indépendance américaine, Dieu est l’auteur des droits de l’homme : sur cette différence fondamentale entre la France et les Etats-Unis cf la Note dans la Rubrique).
Il en était de même là : la cérémonie s’est effectuée « en présence et sous les auspices » de Jean-Pierre Raffarin, mais il a été muet.
Rentré chez moi, j’ai eu des coups de téléphones de journalistes qui voulaient mes commentaires sur « ce qu’avait dit J-P Raffarin », comme il n’avait rien dit, je leur ai proposé d’indiquer en quoi je n’étais pas d’accord avec la présentation de la séparation faite par Jean Foyer, mais ils m’ont tous dit que puisque Raffarin n’avait pas fait de déclaration, ils n’allaient pas parler de la cérémonie. Ainsi est fabriquée l’information-déformation !

La seconde manifestation a été un Colloque passionnant du 21 au 23 février (malheureusement devant moins de 100 personnes) avec des communications très riches, que là encore on pourra télécharger en consultant le site dès que les communications y seront (chacun apprendra plein de choses, cela vaut vraiment la peine). Là on pouvait débattre, mais on n’a pas disposé de beaucoup de temps.

Tout cela est bel est bon. Mais il me faut dire pourquoi je suis en désaccord avec l’exposé de Jean Foyer et, plus généralement, avec une conception de la séparation qui commence à circuler lors de ce centenaire et qui, faute d’un débat explicite, risque de prendre valeur d’évidence. Ce n’est pas très facile à expliquer, mais je vais quand même tenter de le faire car il s’agit d’un enjeu important et sur le plan de la vision de l’histoire et sur le plan de la vision de la laïcité.

Comment raconter les choses de façon compréhensible aux non spécialistes sans trop les schématiser ? Je le fais, par épisodes, dans ma rubrique « Combes » qui va bientôt se continuer par des Notes sur le processus de séparation. Mais il faut, dès maintenant, que je dise l’essentiel. Comment le faire ?

Bon, on peut dire que longtemps, on a fait du « Petit Père » Combes l’auteur de la séparation des Eglises et de l’Etat pour le meilleur (du côté laïque) et pour le pire (du côté catholique).
On insistait sur la rupture que représentait la séparation. On était plus dans la mémoire que dans l’histoire. On racontait le même récit légendaire, légende dorée laïque ou légende noire catholique.

Pour les laïques, on faisait comme si, en 1905, l’Etat s’était affranchi du catholicisme, avait pris son indépendance grâce à la séparation. Pour les catholiques, la séparation gardait un air de « persécution » et de « spoliation ».

Au niveau de la représentation sociale, il reste bien sûr quelque chose de ces mémoires : allant voir, récemment, ‘ma’ médecin et lui disant que j’avais fort occupé avec le centenaire, elle m’a dit : « ah oui, la loi du petit père Combes ».
Autre exemple : alors que tous les historiens spécialistes du XIXe siècles (et les juristes) insistent depuis longtemps sur le fait que l’Etat est déjà largement laïcisé depuis le début du XIXe siècle, et, sous le régime concordataire, contrôle beaucoup plus l’Eglise catholique qu’il ne dépend d’elle, certains philosophes (Henri Pena Ruiz encore dans sa réédition de Dieu et Marianne) restent dans la vieille perspective de la mémoire laïque. On pourrait sans doute donner encore bien d’autres exemples.
Pour la séparation, certains peinent à passer de la mémoire à l’histoire ou confondent allègrement les deux.

Mais au niveau de l’interprétation savante, de l’histoire historienne, de la problématique universitaire, les choses sont entendues. Plusieurs historiens (et j’en ai été) ont insisté sur le changement de perspective : les véritables pères de la séparation ont été Briand, Jaurès et Pressensé et que la loi adoptée a été d’orientation libérale alors que le projet d’Emile Combes était beaucoup plus strict.

Encore faudrait-il ne pas faire d’Emile Combes un bouc émissaire (cf mes Notes sur Combes). Jean Foyer l’a fait allègrement en assimilant les mesures anticongréganistes à la Révocation de l’Edit de Nantes. Il existe une similitude : l’obligation de se libérer, mais malgré tout, pour tout le reste, c’est très différent et cette assimilation me paraît abusive.

En quoi consiste le libéralisme de la loi de séparation ? J’explique cela plus longuement et dans mon livre Laïcité 1905-2005, entre passion et raison et dans ma contribution à l’ouvrage collectif (qui sort en librairie le 12 mars) : Faut-il réviser la loi de 1905 ?, PUF. J’y renvoie les personnes qui voudraient plus d’infos

Ce libéralisme consiste essentiellement en 2 choses :

D’abord dans les garanties apportées à la liberté de conscience et au libre exercice du culte proclamées dans l’article 1er et assurées ensuite par différents articles

Ensuite, dans l’article 4 qui donne l’assurance que les édifices du culte (= églises, temples, synagogues) propriété publique seront attribués aux associations cultuelles qui « se (conformeront) aux règles générales du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice ». En clair : l’église catholique d’un lieu sera attribuée aux catholiques qui seront en communion avec leur hiérarchie, même si une majorité d’entre eux (à cet endroit précis) veut faire dissidence.
Autrement dit la République ne favorisera en aucune manière l’éclatement de l’Eglise catholique, le développement de schismes. Et c’était la crainte majeure de la hiérarchie catholique, plus encore que la perte du budget des cultes. La loi prend en compte cet élément fondamental et cela a provoqué de très vifs débats entre républicains libéraux car, pour certains (comme Ferdinand Buisson), cela revenait à transiger avec les principes (le fameux « universalisme abstrait » : ce n’est pas pour rien que Pressensé a ’trouvé’ cet article 4 dans des séparations anglo-saxonnes.

L’opposition républicaine a été telle, que la règle générale émise par l’article 4 été précisée, nuancée par l’article 8 qui dit que l’attribution pourra être contestée devant le Conseil d’Etat qui se « prononcera en tenant compte de toutes les circonstances de fait », ce qui permettait des exceptions (prenons le cas d’une paroisse qui, de façon quasi unanime décide de s’autonomiser, faut-il automatiquement la priver de son lieu de culte ?). Mais Briand a précisé que cela ne changeait pas fondamentalement les choses.

Par contre, à la Séance solennelle, l’orateur a affirmé (malheureusement, on ne dispose pas encore du texte écrit) que l’article 8 annulait l’article 4.
Cela pourrait sembler « pinaillage » de spécialistes. IL N’EN EST RIEN CAR DERRIERE CE DESACCORD (nuance ou annulation de l’article 4), SE CACHE UN ENJEU ESSENTIEL : le refus du pape de la loi de séparation. Prétendre que l’article 8 annule l’article 4 a pour but de justifier le refus papal de la loi et, en conséquence, le fait que l’Eglise catholique ne l’a pas appliquée.

L’aspect consensuel de la séparation va conduire à un double discours :
-la loi a été libérale
-le pape a eu raison de la désavouer
Comment résoudre une telle contradiction ?
En prétendant que c’est grâce au refus du pape que la loi a réellement été libérale !


L’ENJEU EST DOUBLE
Tout d’abord sur le plan de la réalité historique.
Non seulement des catholiques éminents (et notamment des députés de droite comme Denys Cochin qui avait participé aux débats législatifs) voulait l’application de la loi, mais les évêques eux-mêmes, réunis en assemblée (ce que le système concordataire leur interdisait) répondirent « oui » par 48 voix contre 26 à la question : « Est-il possible d’instituer des associations cultuelles à la fois canoniques et légales ? ».

Cette vision tronquée de l’histoire fait donc l’impasse sur le conflit interne à l’Eglise catholique. Certes ce conflit fut résolu par une obéissance quasi unanime au dictat pontifical, mais il n’en a pas moins existé. Il prouve qu’une majorité de l’épiscopat français estimait que la loi n’empêchait pas l’Eglise catholique d’exister comme elle le souhaitait.
Le changement de regard historiographie ne peut laisser indemne la manière de voir le refus de Pie X. Sinon l’objectivité de l’historien s’arrête alors devant l’infaillibilité pontificale.

Le second enjeu concerne la comparaison entre passé et présent, comparaison typique d’une commémoration.
A la Commission Stasi, j’ai entendu certains dirent en substance : la République a obligé les catholiques a respecter la laïcité, il est normal qu’elle fasse de même avec les musulmans.
Quand on tient ce genre de propos, on se fonde en général sur une histoire légendaire, celle qui vous arrange et on ne cherche pas à connaître une histoire plus scientifique.
On tort l’histoire selon son désir et son idéologie. Or, la république s’est montrée particulièrement « bonne fille » puisqu’elle a voté de nouvelles lois empêchant les catholiques de subir les conséquences de l’illégalité dans laquelle le pape les avait volontairement mis (le pape souhaitait aboutir à un « délit de messe » qui aurait été vécu comme une « persécution ». les républicains ont fait preuve de beaucoup de sang-froid pour ne pas tomber dans ce piège).

ATTENTION DONC : soyez attentifs à la façon dont on va raconter l’histoire de la séparation, aux DEFORMATIONS et aux OUBLIS significatifs qui vont être opérés.
A bon entendeur, salut !

Dans la Note ANTICLERICALISME DE COMBES

Découvrez la suite du PASSIONNANT FEUILLETON
cette semaine:
-la radicalisation de la lutte anticongréganiste et la loi de Juillet 1904
-laïcisation et démocratie.

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