19/12/2004
La Laïcité française dans le contexte de la mondialisation
La Constitution française définit la France comme une République laïque et les Français estiment généralement que la laïcité constitue une singularité de leur pays, voire -comme cela se dit souvent maintenant- une « exception française ». Cet aspect de singularité s’est trouvé renforcé avec la récente loi de mars 2004, interdisant le port de « signes religieux ostensibles » à l’école publique. Cette loi a été adoptée à la suite du travail d’une Commission, dite « Commission Stasi », dont j’ai été membre. Cette loi a été assez vivement critiquée dans de nombreux pays, dont les Etats-Unis et elle risque de développer l’incompréhension entre nos deux nations. Ayant été le seul membre de la Commission Stasi à ne pas avoir voté la proposition de loi, je suis d’autant plus libre d’en expliquer les raisons et surtout d’indiquer qu’il ne faut pas réduire la laïcité française à la loi de mars 2004. La loi de séparation des Eglises et de l’Etat, adoptée en décembre 1905, dont on va fêter le centenaire est une loi laïque beaucoup plus importante. En effet, la loi de 1905 constitue toujours la base fondamentale des rapports entre les Eglises et l’Etat en France, la règle du jeu principale de la laïcité française.
Je vais donc décrire les caractéristiques essentielles de cette loi presque centenaire, et parler des rapports Eglises-Etat aujourd’hui, avant de vous indiquer deux autres domaines sensibles de la laïcité française : celui de l’identité nationale et celui de l’école, ce qui me permettra de terminer par un examen de la loi qui vient d’être adoptée.
La loi de 1905, dans son article 1er, « assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice du culte ». Ces garanties précèdent l’article 2 qui effectue le désétablissement des Eglises (il existait, de 1802 à 1905, 4 religions, établies, « reconnues » dont le clergé était salarié par l’Etat : la religion catholique, la religion luthérienne, la religion presbytérienne, la religion juive). Le désétablissement des religions, la séparation des Eglises et de l’Etat, a donc lieu dans le cadre de cette liberté de conscience et de culte. L’Etat est neutre à l’égard des différentes religions, il ne salarie pas leur clergé, il ne les subventionne pas mais il protège leur libre exercice. Pendant les périodes de tension politico-religieuse l’Etat veille particulièrement à ce que la pratique religieuse puisse s’exercer de façon sereine. Et c’est le cas, chaque fin de semaine en France où, comme dans d’autres pays démocratiques, plusieurs millions de personnes vont paisiblement à l’église, au temple, à la synagogue, à la mosquée, à la pagode, etc. L’actualité, et notamment l’actualité médiatique, privilégie les difficultés, met en avant ce qui va mal. Mais la réalité est aussi composée d’aspects tranquilles, paisibles qui ne font pas la « une » de la presse ou qui ne sont pas mentionnés dans les journaux télévisés.
Le problème récent qui est apparu et qui a beaucoup inquiété les défenseurs de la liberté de religion aux Etats-Unis a concerné des nouveaux mouvements religieux. La France qui, nous en reparlerons, a été pendant des siècles, un pays uniquement catholique a du mal à se faire à la mondialisation du religieux. De 1996 à 2001, suite au suicide-massacre perpétré par l’Ordre du Temple Solaire, il s’est produit une sorte d’amalgame effectué par une partie de l’opinion publique et de la classe politique contre ces mouvements considérés comme des « sectes » (cults). Cela a abouti à la loi de juin 2001 qui devait porter sur un délit de « manipulation mentale » mais qui a renoncé à caractériser un tel délit et réprime l’abus de faiblesse.
Paradoxalement, cette loi -qui aurait pu être dangereuse pour la liberté de religion- a plutôt contribué à dédramatiser la situation et, depuis 2002, si le lobby anti-secte demeure puissant, l’Etat s’est resitué dans sa fonction d’arbitre. A une Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS), a succédé une Mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUD) qui s’attache plus aux comportements et moins aux organisations elles-mêmes. La situation des Témoins de Jéhovah et des quelques Eglises pentecôtistes, qui avaient rencontré des difficultés sérieuses, s’est nettement améliorée. On peut espérer une progressive acclimatation à la pluralisation du religieux, mais il faut reconnaître que la situation demeure relativement fragile.
Cependant, l’Etat français n’a plus le dernier mot, sur son territoire, en matière de liberté de conscience et de religion : un citoyen ou un groupe qui s’estimerait lésé et qui aurait épuisé toutes les juridictions françaises sans obtenir gain de cause, peut faire appel devant la Cour européenne des droits de l’homme. C’est donc une instance supra étatique qui tranchera en dernier recours. Cela est significatif du fait que le cadre de l’Etat-nation n’est plus forcément, dans un contexte de mondialisation, le seul cadre pertinent pour gérer la liberté de religion. Cela apporte une garantie supplémentaire pour celle liberté.
Le désétablissement des religions implique, notamment, une double séparation : séparation de la loi civile et des normes religieuses, séparation de la citoyenneté et de l’appartenance religieuse. Les institutions religieuses sont des institutions de droit privé. Mais s’il y a privatisation des institutions religieuses, et fonctionnement légal des religions selon un mode associatif, cela ne signifie pas que la religion soit cantonnée dans la sphère privée. Les autorités religieuses prennent volontiers position dans de nombreux débats de société ; elles ont des contacts réguliers avec les pouvoirs publics et des représentants des religions siègent dans des Comités consultatifs comme le Comité National d’éthique.
La situation est globalement tranquille et les tensions qui peuvent exister actuellement –comme certains actes condamnables d’antisémitisme ou actes antimusulmans- ne sont pas dues à des raisons religieuses mais relèvent d’actes de racisme, et aussi de répercussion, en France, du contexte international et, notamment, de l’échec du Processus de paix au Proche Orient. Certes, il est exact que la communauté musulmane française -de loin quantitativement la plus importante d’Europe- rencontre des problèmes spécifiques dues à la mémoire encore pesante de la décolonisation, au fait que beaucoup de ses membres appartiennent à des catégories défavorisées et à l’aspect relativement récent (20 à 30 ans) de son implantation massive dans l’hexagone français. Par exemple, il n’existe pas encore assez de mosquées, même si leur nombre augmente assez rapidement. Cependant, preuve que la laïcité fonctionne et permet de trouver des solutions, la situation de l’islam en France a franchi un cap décisif avec la constitution du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) en avril 2003, complété par des Conseils régionaux. Les fidèles de 1500 mosquées ont voté pour élire leurs représentants, permettant à l’islam de disposer d’un organe représentatif. Cet événement a eu beaucoup moins d’écho médiatique que les affaires de voiles islamiques, il me semble pourtant fort important et beaucoup plus porteur d’avenir, pour peu que le contexte international ne soit pas trop difficile.
En définitive, au niveau du cadre juridique et politique de la séparation des Eglises et de l’Etat, il me semble (vous me direz si je me trompe) que la situation laïque française n’est pas, dans l’ensemble, très éloignée de la situation américaine. C’est une situation bien adaptée à la mondialisation du croire. La religion présente, légalement, un caractère associatif et il n’existe pas de contrôle a priori des associations de quelque nature que ce soit. Un groupe de personnes qui souhaitent avoir ensemble des activités religieuses peuvent fonder une association. Et si leur entreprise réussie, elles peuvent créer plusieurs associations et les fédérer entre elles. Cela va dans le sens d’une liberté de religion dont la limite, normale dans un pays démocratique, est l’atteinte à l’ordre public.
Mais le rapport juridique à l’Etat n’est pas le seul aspect du problème. Un autre niveau de la laïcité concerne l’identité nationale, telle qu’elle s’est construite historiquement et toute la culture civique, toute la mentalité spécifique liée à cette identité nationale. Dans ce domaine, la laïcité française est une construction historique comportant des relations de proximité et de distance avec la façon dont la liberté de conscience et de religion s’est développée dans d’autres pays démocratiques et, notamment les Etats-Unis d’Amérique. C’est de cela dont je voudrais maintenant parler un peu.
La Déclaration d’indépendance américaine affirme que « tous les hommes sont créés égaux ; ils sont dotés par le Créateur de certains droits inaliénables ». Les droits de l’homme proviennent donc de Dieu et le fait même qu’ils proviennent de Dieu fait qu’aucun être humain ne peut supprimer ces droits. Par contre, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, adoptée par l’Assemblée nationale française en 1789, les droits de l’homme ne proviennent pas de Dieu, la Déclaration des droits est seulement faite en sa « présence » et sous ses «auspices ». Pourquoi une telle différence ? Parce que dans l’Amérique naissante,il existe déjà une multiplicité de dénominations et, qu’en conséquence, dire que Dieu est l’auteur des droits de l’homme ne donne pas de pouvoir à une Eglise particulière. Au contraire, dans la France de 1789, l’Eglise catholique, suite à la Révocation de l’Edit de Nantes, est en situation de monopole religieux : si Dieu était reconnu comme l’auteur des droits de l’homme ce serait l’Eglise catholique qui aurait le pouvoir d’interpréter les droits de l’homme. C’est elle qui fixerait la morale civique, l’esprit des lois démocratiques, bref qui exercerait un magistère moral sur la nation.
La fondation de l’Amérique s’effectue en rupture avec l’ancienne mère patrie et son Eglise établie mais, même si quelques tensions ont pu exister, elle ne donne lieu à aucun conflit majeur entre la religion, la politique et la société. Au contraire de Thanksgiving à Independance Day, il existe une continuité. Par contre, l’émergence de la France moderne naît, d’un conflit frontal entre la nouvelle société et ses idéaux révolutionnaires et le catholicisme. Ce conflit comporta plusieurs étapes et, comme mon exposé n’est pas à dominante historique, je ne vais pas les retracer. L’important est de comprendre que la crise de la Révolution va générer, pendant tout le XIXe siècle, un long conflit que les historiens qualifient de « conflit des deux France ». Il ne s’agit nullement d’un conflit entre « croyants « et incroyants ». Les « sans religion » n’étaient encore, au recensement de 1872, que 82000 personnes sur une population de plus de 36000000 d’habitants ! Il s’agit de deux visions très divergentes de l’identité nationale.
Pour un catholicisme militant, l’identité de la France est avant tout une identité catholique ; la France est une « nation catholique ». Elle est même, selon une expression consacrée « la fille aînée de l’Eglise » (catholique, mais on ne mentionne même pas ce dernier terme, car -dans cette optique- il n’y a qu’une seule Eglise véritable : l’Eglise catholique). Par contre, pour une large mouvance laïcisatrice, qui comporte, naturellement, les « sans religion », mais qui comporte aussi les membres des minorités religieuses et aussi un nombre important de catholiques, plus ou moins pratiquants, l’identité de la France moderne ne doit pas avoir de dimension religieuse ; elle provient de la Révolution française et de ses valeurs, notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyens de 1789. Le pluralisme que tentait le système des 4 religions reconnues n’a pas bien pu fonctionner car il a été dominé par ce conflit dualiste autour de l’identité nationale et la tentative d’une religion de dominer la société civile.
Ce conflit a des conséquences politiques fortes : le catholicisme identitaire a combattu la République et la difficulté qu’a eu la République à s’implanter durablement en France a été mise, à tort ou à raison, sur le compte de cette résistance catholique. Durand ce conflit, la laïcité était, en quelque sorte, le bien symbolique d’un camp. En 1905, elle a triomphé en instaurant la séparation des Eglises et de l’Etat, et une séparation -comme nous venons de le voir- libérale, qui respectait la liberté de religion. Peu à peu cette séparation a été acceptée par le catholicisme militant. La laïcité est donc devenue plus inclusive. En 1946, la Constitution a affirmé que la France est une République laïque, mettant un terme à ce conflit sur l’identité. Mais on voit bien qu’autant l’Etat est, en France, une réalité ancienne et solide autant une représentation relativement unifiée de l’identité nationale est récente et apparaît fragile. Cette identité, vu les luttes passées, a un contenu fortement politique. En France quand on dit : « la République », c’est une manière de dire « la France », alors même qu’existe beaucoup d’autres Républiques, y compris la République américaine. Et l’on croit facilement que la République est menacée, notamment par une possible domination religieuse.
Une identité qui n’est pas assurée d’elle-même a besoin de majorer ses spécificités et de se fortifier en s’opposant. C’est un peu se qui se passe actuellement. Il est clair aujourd’hui que la laïcité n’est plus un objet de conflit entre un catholicisme, même militant, et la République. L’Eglise catholique a officiellement reconnu qu’elle vivait bien dans le cadre de la loi de séparation de 1905 et qu’elle ne souhaitait pas la voir changer. A partir de ce consensus récent, est née, dans les années 1990, l’expression de « laïcité, exception française » qui n’était pas utilisée auparavant. A mon sens, cela est bien davantage l’expression d’un besoin identitaire, face à la construction européenne et surtout à tout le remue ménage induit par la mondialisation, que la désignation d’une réalité. On exacerbe les différences et on minimise les proximités. Cela joue, notamment, parfois à l’égard des Etats-Unis d’Amérique, historiquement l’autre République. Le serment sur la Bible lors de l’entrée en fonction du Président, les invocations de Dieu dans la vie politique américaine, la devise « In God we trust » sur les dollars, voire la querelle créationniste sont souvent invoqués et font croire à certains que le système américain et le système français sont presque le contraire l’un de l’autre. Je ne prétends pas que les différences n’existent pas mais j’estime que, du côté français en tout cas, on les majore. Il en est peut-être de même d’ailleurs, dans un autre sens, dans certains secteurs de l’opinion publique américaine.
Cette laïcité identitaire joue aujourd’hui un rôle également face aux musulmans et à l’islam. Dire que la laïcité est une « exception française » est une manière de dire, sans se l’avouer, qu’il s’agit d’un bien commun aux Français qui sont Français depuis plusieurs générations, aux « Français de souche », comme certains disent, face à de ...nouveaux Français, les musulmans immigrés ou descendants d’immigrés. Ces nouveaux Français devraient, en quelque sorte, réussir une sorte d’examen de passage laïque. C’est du moins l’hypothèse que je propose pour comprendre pourquoi les affaires de voile islamique ont pris une telle proportion en France. Cet aspect va être l’objet de ma dernière partie sur laïcité et école
La laïcité de l’école est, dans la longue durée historique, l’aspect le plus conflictuel de la laïcité. Pourquoi ? Parce que l’école socialise à un savoir, à une culture, elle forme des citoyens en même temps qu’elle donne de l’instruction. Longtemps, il a existé la « querelle des deux écoles » : d’une part, l’école laïque, où l’on enseignait la morale laïque, fondée sur les notions de « dignité humaine » et de « solidarité sociale » et où on l’on enseignait le civisme républicain ; d’autre part, l’école privée (dite, par ses partisans, « l’école libre ») à (au moins) 90% catholique où la morale catholique se trouvait en centre de l’enseignement et qui propageait une autre vision de la France que l’école laïque et portait, notamment, un regard très critique sur la Révolution française. Autrement dit, l’école constituait le lieu stratégique du conflit des « deux France », avec sa représentation divergente de l’identité nationale.
Cette situation conflictuelle, née au XIXe siècle, a continué longtemps au XXe siècle, même quand la laïcité de l’Etat, devenue constitutionnelle (1946) était acceptée par tout le monde. En effet, à partir de ce moment là, l’Etat a progressivement accordé des subventions aux établissements privés, puis a passé de véritables contrats avec ces établissements (1959). Les militants laïques n’ont pas accepté que des fonds publics alimentent les écoles privées et ont voulu unifier les écoles publiques et les écoles privées sous contrat en un seul système laïque d’éducation nationale. Ils n’ont pas réussi à réaliser ce projet (grandes manifestations pour l’école privée en 1984). Pourquoi ? Parce que, depuis le début du XXe siècle, l’Eglise catholique avait changé et n’enseignait plus une autre vision de l’identité française. Et, de 1962 à 1965, le Concile de Vatican II a explicitement ratifié nombre de valeurs de la modernité. Pour la grande majorité des Français, l’existence de deux écoles ne menace plus l’unité nationale. Et comme les parents d’élèves ne sont pas toujours satisfaits de la qualité de l’école publique, ils souhaitent pouvoir disposer d’un recours, d’une autre école. Chaque année, environ 16% des élèves sont scolarisés dans une école privée ; mais 40% d’entre eux, à un moment ou un autre de leur scolarité, vont à l’école privée.
L’école doit accomplir une tâche de plus en plus difficile en raison, d’une part de la crise générale de l’autorité qui, à mon sens, n’est pas sans lien avec le développement de moyens de communication de masse à un niveau mondial, d’autre part de la multiplication, dans les classes, d’élèves de nationalités et de cultures différentes. Comme aux Etats-Unis d’Amérique, les enfants passent plus de temps devant leur télévision qu’à l’école. Avec internet notamment, se développe une communication horizontale qui ignore les frontières et met en crise les moyens plus traditionnels de transmission des connaissances et de la culture. On remarque, également, un développement des revendications identitaires à l’école.
C’est dans ce contexte qu’a eu lieu le processus qui a conduit à la loi de mars 2004. De mon point de vue, il s’agit d’une mauvaise lois, mais qui a été envisagée pour de bonnes raisons. Je voudrais, en terminant, m’expliquer sur ce paradoxe. La Commission Stasi a siégé de juillet à décembre 2003 et elle a beaucoup travaillé. Elle a fait sa proposition pour un ensemble de raisons qui me semblent tout à fait valables. D’abord, elle a voulu adresser un message clair aux islamistes radicaux, et marquer un coup d’arrêt face à la montée de certaines revendications. Certes, l’islamisme radical reste actuellement vraiment très minoritaire en France, mais il existe cependant et, ces jours ci, un imam salafiste est poursuivi devant les tribunaux pour avoir tenu des propos contraires aux valeurs démocratiques. Ensuite, la seconde raison qui a motivé la décision de la Commission concerne la défense de l’égalité entre les femmes et les hommes. Certains voient dans le foulard le symbole d’une conception de la femme qui porte atteinte à cette égalité. Enfin, troisième raison, une vision de l’école laïque comme lieu de neutralité et où les appartenances religieuses (ou non religieuses) diverses des élèves ne doivent pas perturber le travail d’acquisition du savoir, d’apprentissage de l’esprit critique et de formation à la citoyenneté.
Je suis globalement d’accord avec ces trois raisons et c’est, d’ailleurs pourquoi je n’ai pas voté contre la proposition. Mais je me suis abstenu et comme j’ai été seul à le faire, j’ai empêché par là même un vote unanime. C’était donc, de ma part, une prise de position grave. Je l’ai adoptée parce que je suis convaincu que si les motifs qui sont à l’origine de la loi sont bons, la loi elle-même est mauvaise. A mon sens, il aurait fallu traduire autrement les préoccupations de la Commission. Je pense, par exemple, que si on avait décidé d’aggraver les mesures contre les mariages forcés que subissent certaines jeunes musulmanes on aurait adressé un message beaucoup plus clair de coup d’arrêt face à l’islamisme et de défense de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il y a, j’en suis convaincu, beaucoup de musulmans non extrémistes qui souhaitent que les jeunes filles portent un foulard (ou un voile, les deux mots sont utilisés). Le port du foulard ne me semble pas, en lui-même, signifier une intériorisation d’une pseudo infériorité de la femme et il existe des femmes engagées dans un combat féministe au sein de l’islam qui ont un foulard. Enfin, une instance juridique, le Conseil d’Etat, avait déjà rendu un Avis exigeant que le port de signes religieux à l’école, et notamment le port du foulard, reste discret et ne s’accompagne pas de prosélytisme ou de mise en cause des programmes scolaires. Cet Avis me semblait suffisant.
Quoi qu’il en soit, la loi est maintenant votée et j’espère qu’elle sera appliquée avec discernement et ne créera pas, à la rentrée prochaine, des tensions qui seraient néfastes pour tout le monde. On doit, d’ailleurs, effectuer un bilan au bout d’un an, ce qui me parait une mesure de sagesse. L’année prochaine va être, je l’ai dit, l’année du centenaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Beaucoup de manifestations se préparent. Elles seront, je l’espère, l’occasion d’une réflexion d’ensemble des conditions nouvelles de la laïcité française. Elle doit garder, au XXIe siècle, dans le nouveau contexte de la mondialisation, les caractéristiques essentielles de son dynamisme, c'est-à-dire la non domination de la religion sur l’Etat et sur la société civile, la liberté de religion et de conviction et l’égalité des religions et des convictions.
17:30 Publié dans Laïcité française | Lien permanent | Commentaires (0)
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