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20/02/2009

UNE LAÏCITE ARBITRE.

D’abord une annonce :

  

Entre laïcité, interculturalisme et multiculturalisme

à la recherche d'un "accommodement raisonnable"

entre les approches française et canadienne

 

 

 

L’Ambassade du Canada en France

 Vous invite à assister, le jeudi 5 mars prochain de 10h00 à 12 h 30,

au Centre culturel canadien, 5 rue de Constantine, Paris (7e), à un échange croisé Canada-France 

Le regard d’un expert français sur Canada et celui d’un expert québécois sur la France.

 

 L'historien -sociologue Jean Baubérot, membre de la Commission Stasi,  auteur d'un récent auteur d’un tout récent  ouvrage intitulé « La laïcité interculturelle, le Québec, avenir de la  France, France? », publié au   aux Editions de l’Aube, nous proposera sa lecture de la réalité québécoise.

Sa collègue, et canadienne,  la sociologue québécoise Micheline Milot, membre de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles du Québec, auteure de La laïcité, aux Éditions Novalis- Bayard, nous offrira son point de vue sur la réalité française.

 

avec
 Prière de s’inscrire auprès de Claudette Dion à claudette.dion@international.gc.ca.

Au plaisir de vous accueillir dans nos murs le 5 mars !
N'oubliez pas: c'est gratuit mais il faut s'inscrire

 

Marc Berthiaume

Chargé des relations politiques et parlementaires

Ambassade du Canada

35 avenue Montaigne, 75008 Paris

 

Ensuite, la suite du feuilleton/ Ce qu’est –Ce que n’est pas la laïcité.

 

Les chapitres précédents nous avaient permis de nous rendre compte que la Princesse Laïcité voit sa beauté éclore davantage par la régulation que par l’intégration. L’intégration, elle-même doit être équilibrée : ni trop (car alors, c’est la fée Carabosse) ni pas assez (car alors, c’est l’Ogre du Petit Poucet).

La régulation sociale égalitaire donne de la vitalité à la princesse laïcité tout comme (ou presque !) le Prince charmant réveille la Belle au bois dormant par un baiser. Et puisque nous sommes en pleine histoire de prince et de princesse, tournons nous vers la laïcité monarchique belge, car elle a bien des choses à nous apprendre.

 

Plus précisément ouvrons l’ouvrage de Philippe Grollet : Laïcité : utopie et nécessité[1] . Il parle avec justesse de ce que j’appelle « une régulation égalitaire laïque », sans utiliser cette expression, mais cela importe peu.

Ph. Grollet est avocat au barreau de Bruxelles. Il a été président du « Cercle du Libre Examen de l’Université de Bruxelles » (1973-1975), président de « Bruxelles Laïque » (1980-1986) et président du « Centre d’Action laïque » belge (1988-2004).

C’est donc un acteur, qui nous livre une réflexion personnelle, inspirée par sa riche expérience et les responsabilités qui ont été les siennes.

 

Grollet combat le « communautarisme, antithèse de la laïcité politique » qu’il définit comme un « système de démembrement du service public, voire de l’autorité publique en « piliers » communautaires, Etats dans l’Etat, régis par leurs règles propres et soumis à l’autorité de leurs chefs religieux ou communautaires. »

C’est donc une « tribalisation de la société ». J’ajouterai que les politiques publiques, trop souvent, contribuent à cette tribalisation, alors même que des personnalités politiques font des effets de manche dénonciateurs sur un « péril communautariste ».

Grollet ne l’ignore pas puisqu’il écrit que l’Etat doit « assumer ses responsabilités » : « maintenir la mairie au milieu du village » et « éviter toute connivence coupable entre l’autorité publique et une autorité communautaire quelconque ». C’est la séparation des sphères, l’autonomie du processus de décision politique, de la société politique.

 

Cette séparation n’est pas une fin en soi. Elle est un moyen « de maintenir une stricte égalité de traitement entre toutes les communautés ». Ah, voilà précisément cette laïcité arbitrale, cette laïcité de régulation sociale.

Parler d’arbitrage permet de ne pas tomber dans le piège de ceux qui parlent de « neutralité d’abstention » ou, pire encore, de « neutralité de méfiance ».

L’arbitre court sur le terrain autant que les joueurs. Il est actif, il se fatigue. Mais il ne marque pas les buts, il n’empêche pas que ceux-ci soient marqués, sauf s’il y a tromperie.

L’arbitre veille à ce que le jeu se déroule loyalement.

Certes, il y a des gens qui couvrent du terme de neutralité une volonté d’abstention complète (sorte de ‘loi de la jungle convictionnelle’), ou même une volonté de méfiance poussant la laïcité vers une anti-religion d’Etat). Mais ce n’est pas du tout l’état d’esprit, par exemple, de la loi française de séparation votée en 1905..

Celle-ci proclame dans son Article I, « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre publique ».

 

A mon sens, dans le genre, on n’a pas trouvé mieux que cette articulation de trois aspects :

- la liberté de conscience = le droit de croire et de ne pas croire mais aussi d’agir selon sa conscience. Il y a des cas où il est raisonnable d’accorder aux individus le droit à une « objection de conscience »

- la liberté des cultes = le droit de se réunir paisiblement pour célébrer son culte et organiser son culte librement (cf. aussi l’Article 4 de la loi de 1905)

- les limitations dans « l’intérêt de l’ordre publique » : l’objection de conscience ne peut aboutir à désorganiser la société, la liberté des cultes n’est pas absolue car elle doit se coordonner avec les autres libertés et droits démocratiques.

 

L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (1950) développe cela et le rend plus concret, dans un langage plus moderne.

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou collectivement, en public ou en privé,, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et des libertés d’autrui. »

 

Je rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme (Strasbourg) peut condamner un Etat membre du Conseil de l’Europe dont la juridiction n’aurait pas respecté la Convention.

Au moment même où se produisait l’affaire dite des « caricatures de Mahomet », la France se trouvait condamnée à deux reprises pour atteinte à la liberté d’expression (Article 10). Le Blog en a parlé, les grands médias français peu ou pas du tout.

 

Ceci précisé, revenons à l’ouvrage de Grollet. Rappelez-vous, il a été question de « stricte égalité de traitement entre toutes les communautés ». Cela signifie que le refus du communautarisme n’implique en rien le rejet des « communautés ».

Grollet se montre très explicite à ce sujet.

Si le « communautarisme » est le contraire de la « laïcité politique » écrit-il, « l’organisation au sein de la société civile de communautés diverses, qu’elles soient de nature confessionnelle ou non confessionnelle, sociale, politique, culturelle, ethnique ou tout ce que l’on voudra, n’est qu’un mécanisme normal du fonctionnement de la démocratie. »

Et il poursuit : « La démocratie serait totalement impraticable sans un minimum d’organisation des citoyens regroupés selon leurs choix politiques, philosophiques, religieux et leurs intérêts économiques, culturels ou autres. »

 

Cela est vrai en France comme en Belgique et comme dans les autres pays démocratiques. Et les propos tonitruants contre « les communautarismes » et qui ne définissent jamais ce dont il s’agit.

Le pluriel (à communautarisme) est déjà souvent un indicateur : ce sont certaines communautés, certaines religions qui sont visées et pas pour d’autres.

Et quand il est question de lutte « contre TOUS les communautarismes » c’est pire :

-         soit l’auteur de ces propos est antireligieux (ce qui est son droit strict comme option personnelle, mais certes pas comme défense du « principe de laïcité »)

-         soit cette personne est aussi franche du collier que les nombreux mels que nous recevons tous : « Vous avez gagné 15000000 de $. Ceci n’est pas un spam » !

Le communautarisme doit être au singulier : c’est un système politique et social. Les communautés doivent être mises au pluriel : il en existe plusieurs.

Les auteurs de propos qui mettent (de fait) une quasi équivalence entre « communautarisme » et expression des communautés feraient bien de changer d’attitude.

La leur est boomerang. On va le voir .

 

Grollet finit son paragraphe ainsi : « Pour autant que ces communautés ne disposent d’aucun attribut de l’autorité publique, et ne se voient reconnaître aucune compétence relevant de l’autorité publique » : la boucle est ainsi bouclée, puisqu’on en revient à la séparation.

Le propos est clair et cohérent.

 

La séparation, en France, c’est l’Article 2 de la loi de 1905 : aucune officialité d’aucun culte ; donc pas d’argent public pour « toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes », sauf (est-il dit immédiatement) pour les aumôneries.

 

Admirable équilibre : de même que l’Article 1 est limité par les nécessité de l’ordre public, l’Article 2 est lui-même limité par l’exigence de « garantir le libre exercice des cultes » : les élèves dans les internats, les malades dans les hôpitaux, les prisonniers ne peuvent se déplacer et donc, avec les aumôneries la puissance publique peut leur apporter, s’ils le souhaitent, tel ou tel culte à domicile.

De même la loi de 1905 met, gratuitement, à la libre disposition des cultes les édifices religieux qui sont propriété publique : cela aide à garantir leur libre exercice. Et, dans les années 1920, des laïques plutôt intransigeants (tel Herriot) se sont engagés pour que de l’argent public aide à la construction de la mosquée de Paris.

Mais participer financièrement aux dépenses normales des cultes aurait un tout autre sens : ce serait une réofficialisation.

Globalement, tout cela a été à peu prés bien appliqué pendant 85-90 ans. Ce n’est que depuis 10 – 15 ans que les méfaits de l’idéologie républicaniste, et sa laïcité à géométrie variable, font qu’il y a de gros problèmes.

La Belgique, me direz vous c’est différent. Oui, et elle est à la fois moins laïque et plus laïque que la France. Nous en reparlerons, car nous continuerons à nous intéresser à l’ouvrage de Grollet

 

Pour le moment, retenez cette distinction fondamentale communautés-communautarisme. En effet, si vous confondez communautés et « communautarisme », vous êtes alors incapable d’indiquer la frontière entre les deux, et comme ce refus des communautés ce n’est pas tenable dans la réalité concrète…

Que se passera-t-il ? On naviguera entre les deux extrêmes : refus de l’expression communautaire – expression communautaire envahissante. Là est le boomerang.

 

Grollet indique qu’il faut accorder aux communautés un « espace approprié ».

Quel est cet espace ?

Ce n’est pas la sphère publique institutionnelle, politique, nous l’avons déjà vu

Mais, et là je vais en étonner plus d’un, à mon sens, ce n’est pas non plus la sphère privée.

Ce qu’il faut accorder, c’est une part de l’espace public, lieu de dialogue, de confrontation, de débat de la société civile qui est le troisième angle du triangle (même si ce n’est pas tout l’espace public).

 

« Comment ça, ce n’est pas la sphère privée ? » diront certains. Vous voulez vraiment le savoir ?

Vous voulez aussi savoir comment comparer le système belge, le québécois, le français, etc en matière de laïcité.

Vous voulez savoir si j’ai changé ces dernières années (certains me le disent : ils ne retrouvent pas dans le Baubérot expliquant la laïcité à Nicolas le Bien Aimé  le Baubérot de la Commission Stasi : ils ont tort : leur Baubérot favori est toujours le même et je peux tout à fait expliquer la cohérence du schmilblick.)

Cerise sur le gâteau : vous apprendrez aussi pourquoi le rôle principal du sociologue de la laïcité consiste à voir le gorille que personne ne remarque.

Si, si je suis très sérieux, je vous l’assure.

Vous voulez savoir, enfin, si nous allons retrouver le bon papa Durkheim, à la barbe fleurie, très présent dans les premiers épisodes de ce remarquable feuilleton (mieux que ceux de la télé) pour bien cerner les notions d’ « intégration » et de « régulation », et que nous laissons dormir in pace depuis quelques semaines.

 

Autrement dit vous voulez tout savoir sans rien payer.

Vous ne voulez pas travailler plus… pour payer plus (cher)

Vraiment, « c’est pas sur vous » (comme dirait l’autre) que Super Sarko peut compter pour dénouer la crise, sauver la planète, et … plaire ainsi à Carla.

Vraiment… Mais je m’arrête car, malgré manipulations, médicaments, examens médicaux divers, mon dos fait toujours des siennes et ce n’est pas du tout agréable.

Bof, je ne suis pas un mauvais bougre. Alors, prochainement, je vous dirai tout sur les aventures multiples de la princesse Laïcité explorant les forêts profondes, les espaces rocheux et les sphères écartées.

Mais, un peu de patience, que diable !

 



[1] Bruxelles, Editions Labor/Espace de Libertés, 2005.