18/01/2009
LA LAÏCITE N'EST PAS L'INTEGRATION (suite)
… MAIS FAIT PARTIE DE LA REGULATION SOCIALE .
Ce qu’est –ce que n’est pas la laïcité III
Je reprends les Notes qui cherchent à indiquer ce qu’est et ce que n’est pas la laïcité. Je vais essayer de faire une Note pas trop longue : depuis quelques jours j’ai un mal de dos épouvantable du, je pense, à une fréquentation assidue de mon ordinateur.
Reportez-vous à la Note du 6 janvier et à celle du 29 décembre : "L’intégration n’est pas ce que vous croyez" et "La laïcité n'est pas l'intégration".
Nous avons tenté d’aborder l’intégration autrement que l’idéologie dominante qui la réduit à un problème d’immigration : les migrants où leurs enfants doivent s’intégrer à une sorte de France républicaine intemporelle, figée.
Nous avons vu que pour Durkheim et la tradition sociologique jusqu’aux années 1970, « l’intégration » concernait tout individu, quel qu’il soit, dans ses rapports à la société (et aussi à un groupe, une institution).
L’intégration, c’est la capacité d’une société (d’un groupe, d’une institution,…) à intégrer ses membres. Il faut donc se focaliser d’abord sur la dite société, pas sur les individus.
Chez Durkheim, il existe une catégorie de suicides due à une trop faible intégration sociale et une autre catégorie due à une intégration trop forte, trop complète.
Le degré d’intégration souhaitable est donc un enjeu social: une société démocratique doit être capable d'intégrer ni trop (intégration totale = société totalitaire) ni trop peu.
Dans les années 1960 et 1970 des analystes ont mis l’accent sur la « participation » et même la « contestation ».
Si on veut se focaliser sur les migrants, on peut dire que des années 1930 aux années 1980, ils se sont « intégrés » souvent en participant aux activités d’organisation qui contestaient la société : l’Eglise catholique et le Parti Communiste.
Intégration, contestation, participation forment un triangle, un schéma décrivant le rapport de l’individu à la société.
Mais, nous l'avons vu, il s'agit d'abord d'une capacité sociale: La solidité d'une société, d'une institution d'un groupe, dépend de leur capacité à intégrer harmonieusement, à accepter d'être contesté sans être détruit, à favoriser la participation du plus grand nombre d'individus dans leur diversité.
Durkheim n’est guère un sociologue de la contestation. Mais, à côté d’un facteur purement intégratif (nous allons tout de suite y revenir), il retient des éléments qui vont plus dans le sens de la participation :
Les individus sont intégrés quand ils ont une bonne densité d’interactions entre eux (contre la ségrégation sociale par exemple) et des buts qui leur sont communs (ce qui sera d'autant plus possible que ces buts seront justes au double sens de justice et de justesse cf."l'ordre juste" de Ségolène).
La recherche d’objectifs, même communs, les interactions entre individus produisent du social, de la nouveauté : une société qui a une forte capacité d’intégration n’est pas une société immobile, c’est une société qui arrive à avoir un mouvement d’ensemble relativement ordonné, une société mobile, qui évolue sans se déliter.
Cela passe par la participation, mais aussi, apport nouveau par rapport au vieux Durkheim, par la contestation.
Je rappelle que le fondateur de « l’école française de sociologie » est mort en 1917. Cela ne nous rajeunit pas, chers internautes. Enfin, surtout vous : moi je suis éternellement jeune, tous mes amis vous le diront (ou alors ce sont d’horrible faux-culs et pas des z’amis !)
Donc, apport nouveau, la contestation, en obligeant la société à changer, est un facteur qui peut favoriser la capacité d’intégration d’une société.
En effet, une société figée sur une intégration imposée va s’éloigner des individus (qui, eux, bougent, veulent avoir leur individidualité) et, à terme, réduire sa capacité intégratrice (cf. l'écroulement de l'URSS par exemple).
Reste qu’on trouve, chez Durkheim, une insistance sur un élément intégrateur en amont des interactions des individus entre eux et de leur recherche d’objectifs communs : il s’agit des sentiments communs, des croyances et des pratiques partagées. Bref une conscience collective commune.
C’est l’aspect religieux de l’intégration, celui qui s’impose par le haut.
Mais il peut s’agir alors d’une société explicitement religieuse : la société de chrétienté, aujourd’hui ce que le pouvoir iranien tente de faire, etc.
Il peut s’agir aussi, d’une religion civile (cf la notion de Rousseau que, avant Bellah, Durkheim reprend à son compte en la « sociologisant »).
Je vous en parle comme si vous étiez au parfum et qu’il n’existait pas sur terre meilleur spécialiste que vous de la religion civile.
Pourquoi ? Parce que vous avez toutes et tous en tête mon admirable Note du 18 novembre ou, malgré le titre (« Une laïcité interculturelle », ça c’était la pub pour mon dernier bouquin et, ne vous inquiétez pas, je vous bassinerai encore à son sujet puis que maintenant il est aussi en vente au Québec), il en était question.
Si vous n’avez plus cette Note en tête, relisez la de toute urgence : mon grand ami Xavier Darcos m’a confié en confidence qu’il allait organiser une interrogation écrite nationale sur le sujet : « Pendant qu’ils feront cela, m’a-t-il dit, au moins ils seront occupés à autre chose qu’à manifester. »
Bref je vous ai parlé de la religion civile en vous indiquant mon amical désaccord avec Jean Paul Willaime à ce sujet. Willaime insiste sur le fait que toute société comporte de la religion civile. A partir de là, il conteste le contenu de mon livre : La laïcité expliquée à M. Sarkozy (autre pub clandestine que je fais honteusement pour contrebalancer le fait que France 2 ne peut plus diffuser les pubs de mon éditeur !).
La baubérotique position consiste à dire : certes, il existe des éléments de religion civile dans toute société, mais d'une part trop de religion civile va contre la démocratie (car des croyances communes, des "dogmes civils" disait Rousseau, ne peuvent être légitimement contestés) et, par ailleurs, la religion civile n’est pas la laïcité.
On peut donc débattre et du degré de religion civile que l'on cherche à imposer et de la forme qu'elle prend.
Moi, vous l’avez compris la religion civile n'est pas ma cup of tea et, malgré mon admiration sans borne pour Carla, je me situe un tantinet dans la critique de la religion civile à la Sarko-Tarzan-Zorro.
La religion civile est le cœur même de l’intégration (et donc des éléments sont peut-être indispensables à la cohésion sociale, mais point trop n’en faut, puisqu’une trop forte intégration a des conséquences…suicidaires). La laïcité, elle, fait partie de la régulation sociale, non de l’intégration.
Là, je vais vous faire briller dans les dîners en ville. Quand un quidam se mettra à parler doctement d’intégration, non seulement vous lui assènerez tout ce que je vous ai dit sur l’intégration, mais vous lui direz, encore plus doctement qu’il a causé : « encore faut-il bien distinguer intégration et régulation. »
Effet immédiat assuré. J’ai moi-même expérimenté la chose à moult reprises, et j’ai vu, dans les yeux des gentes dames, se lire une admiration sans borne qui a aussitôt fait toc toc, toc dans mon petit cœur.
Et elles avaient bien raison d’être admiratives, ces belles car, « une importante tradition sociologique recoupe sous un même terme (intégration) les deux processus distingués par Durkheim (intégration et régulation) ».
C’est ce qu’écrit Philippe Steiner, Sociologie de Durkheim, La Découverte, 4ème édit 2005, page 44. Vous voyez, je ne suis pas le seul à avoir comme objectif suprême dans la vie de briller devant les belles !
Et rassurez-vous cela marche dans toutes les combinaisons possibles : une femme qui distinguera intégration et régulation fera sortir des étoiles des yeux des messieurs. Un monsieur aussi, si tels sont ses penchants, une dame à l'égard d'autres dames...
Bon, comme j’en connais qui trouvent que ce Blog (comme mon livre sur Sarko d’ailleurs) contient beaucoup trop de vannes pour un Blog d’un grand professeur et que, du coup, l’Académie des Sciences Morales et Politiques, c’est râpé (sic), je redeviens sérieux aussi sec.
Que dit Durkheim de la régulation ?
Cette fois, il part de l’individu (et c’est vachement significatif) : « comment fixer la quantité de bien être, de confortable, de luxe que peut légitimement rechercher un être humain ? »
L’individu a des « désirs illimités » donc, « par définition insatiables ». Et «puisque rien ne les borne, ils dépassent toujours et infiniment les moyens dont il dispose ; rien ne saurait donc les calmer. »
De même ajoute Emile Durkheim la « sensibilité » est un « abîme sans fond que rien ne peut combler »
Et il continue en expliquant que « le propre de l’activité humaine (est) de se déployer sans terme assignable et de se proposer des fins qu’elles ne peut accomplir . » . Marx, au contraire, pensait que l’humanité ne se posait que des questions qu’elle pouvait résoudre.
Mais les deux positions ne sont pas incompatibles : il s’opère (peut-être) un tri social des fins « sans terme assignable » aux questions solubles.
Prenons la liberté des femmes et l’égalité des sexes : de tout temps, des femmes ont combattu pour leur liberté, pour l’égalité des sexes. Mais parmi les obstacles qu’elles rencontraient, il y en avait un de pratiquement insurmontable : le fait qu’elles pouvaient « tomber enceintes ».
Et la société, dans son ensemble, ne prenait guère en compte leur demande d’égalité (sans doute pour plusieurs raisons, mais si on suit Marx, celle-là est parmi les raisons importantes).
L’arrivée d’une contraception efficace et sa démocratisation a considérablement changé « l’ordre des choses »
Cela a fait énormément, à mon sens, pour que le combat des femmes soit reconnu comme légitime par la société globale. Cela a changé le rapport de force entre les sexes.
Donc l’individu poursuit des fins inatteignables, au moins au moment où il les poursuit. Or « quelque plaisir que l’homme (= l’être humain) éprouve à agir (…) encore faut-il qu’il sente que ses efforts ne sont pas vains et qu’en marchant il avance. »
Or, poursuit le vieil Emile, on n’avance pas « quand le but vers lequel on marche est à l’infini. La distance à laquelle on en reste éloigné étant toujours la même quelque chemin qu’on ait fait, tout se passe comme si on était stérilement agité sur place . »
Et il conclut : « Poursuivre une fin inaccessible par hypothèse, c’est donc se condamner à un perpétuel état de mécontentement », même si, « même déraisonnable, l’espérance à ses joies. »
C’est là, chers et chères z’internautes, qu’intervient la régulation sociale.
Et là je vous renvoie aux travaux de Micheline Milot, qui bien qu’infiniment plus jeune que Durkheim n’en est pas moins excellente sociologue. Elle définit la laïcité en terme de « régulation » (cf. La Laïcité dans le nouveau monde, Brepols, 2002, p. 33 ; La laïcité, Novalis, 2008, 31). Nous allons la suivre dans cette voie. Mais mémorisez bien et les citations de Durkheim faites, et mon commentaire sur la lutte des femmes. Vous verrez que c’est utile.
Rendez-vous dans une semaine.
« Germaine, retardez mon dîner en ville d’une semaine S’youplait » :
Tout en fumant son cigare, Monsieur XYZ, Pdg d’une multinationale, aboie cet ordre : il a envie de voir des étoiles dans les regard féminins, n’a jamais pu y parvenir, espère que quand il aura tout lu sur la différence essentielle entre une laïcité comprise comme intégration et la laïcité comprise comme une régulation, les belles lui diront qu’elle le trouve très beau (comme Michel Blanc in the film).
Durkheim avait raison : il existe des espérances absolument déraisonnables !
Chao.
12:33 Publié dans Laïcité et diversité culturelle | Lien permanent | Commentaires (0)