03/11/2008
DIVERSITE, J’ECRIS TON NOM.
En espérant que d’ici 48 heures, la « diversité » sera, en Amérique, une réalité au plus haut niveau, je voudrais vous présenter le rapport effectué par Michel Wieviorka à la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sur la « diversité ».
Ce rapport vient de paraître en ouvrage aux éditions Robert Laffont. Comme il n’est pas outrancier, comme il ne cherche pas à faire peur (tel le pseudo rapport Obin, que j’avais longuement déconstruit), comme il présente des garanties de sérieux et de rigueur (contrairement au rapport Obin, toujours), les médias ne vous en ont pratiquement pas parlé.
C’est un constat auquel il faut toujours revenir, tel Sherlock Holmes qui accordait beaucoup d’attention au chien qui n’avait pas aboyait et découvrait, grâce à cela, la clef de l’énigme.
Si vous voulez connaître le fonctionnement des démocraties modernes, et notamment de la France, soyez attentifs à ce dont on parle et ce dont on ne parle pas. Vous en apprendrez beaucoup.
Car il existe deux manières de tuer la liberté d’expression : la première est brutale et réprime physiquement. C’est celle des totalitarismes, des extrémismes de droite ou de gauche, d’athéisme politique ou de religion(s) politique(s).
Elle est souvent dénoncée et dernièrement j’ai eu à commenter le film Le Destin de Youssef Chahine qui montre comment sectarisme et bêtise, quand ils arrivent à prendre le pouvoir, cherchent à faire taire l’intelligence, la recherche, l’analyse.
Mais il est une seconde manière, beaucoup plus subtile et, hélas, plus efficace qui consiste à mettre en avant la bêtise, à la hisser sur un magnifique piédestal, à la louer ou (de façon encore plus perverse) à la valoriser en la dénonçant d’une façon qui lui donne de l’importance, en fait un événement. Et, en même temps, on fait silence sur de l’important non spectaculaire, sur ce qui est tout en finesse et, donc, prétend-on, non médiatique.
Ca, c’est le totalitarisme d’extrême centre, le nouveau cléricalisme qui prospère dans nos sociétés démocratiques et qui s’alimente du conformisme social, de la mentalité « moutons de panurge ». Là est l’atteinte la plus grave, parce que la plus pernicieuse, et pratiquement dénoncée, à la liberté d’expression, à la laïcité.
Vous savez ce qu’elles se disent la liberté d’expression et la laïcité quand elles se rencontrent (et cela leur arrive souvent) ? J’ai laissé traîner mes oreilles et je les ai entendu déplorer : « Oui, c’est dur, c’est vraiment dur d’être aimées par des cons. »
Tout cela pour vous indiquer que le rapport de Wieviorka et de son équipe est trop subtil, nuancé, rigoureux pour intéresser vraiment les médias. Il est pourtant facile à lire, du moins pour tous ceux qui ne sont pas des « mal comprenants » (c’est le nouvel euphémisme pour désigner les défenseurs d’une liberté d’expression à géométrie très variable, après tout on dit bien les « mal entendants » pour les sourds).
Ce rapport possède plusieurs qualités.
Commandité par une ministre du gouvernement actuel, il n’est en rien complaisant. Ainsi, il indique très nettement que le projet de Sarko de mettre la « diversité » dans la Constitution n’est pas une bonne idée. Et il explique pourquoi. Autre exemple : il rend hommage à l’action qu’a menée Azouz Begag, ministre chargé de la Promotion à l’égalité des chances de 2005 à 2007 et très virulent adversaire de notre actuel président. Etc.
Très libre à l’égard du pouvoir actuel, il l’est également à l’égard de la gauche classique, dont le moins qu’on puisse dire est que son bilan en matière de « diversité » est… je vous laisse la liberté des adjectifs : nombreux ceux qui peuvent être convoqués !
Cela ne signifie nullement que le rapport se situerait dans une perspective moraliste où la diversité, serait le « bien » et l’opposition à la diversité, le mal. L’esprit critique qui anime le propos est tout azimut et, constamment, il est clair que l’invocation de la diversité ne doit pas empêcher de voir les choses de très près. Une politique de la diversité peut s’avérer contreproductive si… Le rapport débat même de la pertinence du terme de « diversité » et s’interroge sans tabou sur ses avantages et inconvénients.
Pour mieux cerner les choses, il fait le point sur des expériences étrangères, surtout les Etats-Unis (beaucoup moins le Canada, ce qui est un peu dommage) où des initiatives dans le domaine de la diversité sont prises depuis 40 ans. Réussites et échecs sont analysés.
Il ne se cantonne pas enfin à a recherche et à l’enseignement supérieur, mais accorde une large place à l’économie, qui est, en France, largement en avance sur le secteur public dans ce domaine. Le rapport montre qu’il existe là, un « mouvement d’ensemble »’, du moins au niveau des grandes entreprises. Là encore, même si le recul est moindre, le rapport tente une évaluation qui évite et l’idéalisation et la critique systématique.
Pas d’indignation primaire ni de louanges hyperbolique donc dans ce texte. Et c’est pourquoi les médias n’y retrouvent pas leurs petits. Et pourtant, c’est exactement le genre de propos dont nous avons besoin pour avancer et comprendre les changements sociaux actuels, pour inventer des politiques (au sens large du terme) qui puissent nous sortir de nos impasses.
Indiquons quelques aspects (non exhaustifs, loin de là) du rapport. Il commence par clarifier le terme de « diversité » en montrant que son usage social actuel fédère « deux grandes préoccupations collectives » :
- La demande de reconnaissance dans l’espace public « des identités culturelles, religieuses, d’origine nationale, etc ». Des personnes « mettent en avant leur histoire, leurs traditions, leur langue, leur foi, leurs qualités morales, réelles ou supposées, pour trouver leur place dans la société ».
- L’existence de « discriminations qui atteignent les membres de certains groupes, et en particulier ceux qui relèvent de ‘minorités visibles’ » : des « individus, du fait de leur appartenance réelle ou supposée à un groupe particulier, sont victimes d’injustice, de racisme, de discrimination » et attendent beaucoup d’institutions et d’associations, d’ONG, d’Eglises, d’intellectuels, voire de partis politiques ou de syndicats pour les aider à se défendre. La question des discriminations indirectes (où la France est tellement en retard sur le Canada) est abordée de façon récurrente dans le rapport.
A partir de là, le rapport rappelle les grandes lignes de certains aspects de l’histoire récente de la France qui ont induit l’émergence rapide, depuis quelques années de l’emploi social de ce terme « diversité » pour rendre compte de ces deux problèmes.
Il montre que l’emploi du terme diversité doit souvent être accompagné d’un adjectif pour préciser ce dont on parle et à un moment hasardent l’expression de « diversité bioculturelle », par analogie (au niveau des sciences sociales) avec la notion de biodiversité.
Il est un peu dommage qu’il n’approfondit pas cette piste, même si il aborde largement (et courageusement) les ambivalences qui sont liées à « l’ethnicité » et au fameux débat sur les mal nommées « statistiques ethniques ».
Le passage consacré à cette question me semble typique de la perspective du rapport : envisager une politique de la diversité non dans une optique différentialiste ou communautarisante, mais comme un moyen d’avoir un horizon véritablement universaliste, d’échapper à un communautarisme majoritaire. « Faire de l’équité un moyen pour l’égalité » est-il explicitement déclaré.
A partir de là le débat est explicitement engagé avec le « républicanisme ». Le but de Wieviorka et de son équipe est de faire comprendre à une mentalité française dominante rétive qu’il faut savoir appliquer au domaine culturel le dépassement de l’égalitarisme abstrait effectué depuis longtemps sur le plan social.
Effectivement, l’établissement de la laïcité est allé de pair avec la critique de l’universalisme abstrait, de l’égalitarisme abstrait. Le rapport cite Anatole France parlant de « cette majestueuse égalité devant la loi qui permet aux riches comme aux pauvres de dormir la nuit sous les ponts. ».
La morale laïque de la Troisième République a mis au cœur de son enseignement, ce que l’on appelait alors « la doctrine de la solidarité », elle a insisté sur la mutualité ; la création de la Sécurité sociale juste après la guerre a été un effet de la laïcité à la française et de ses préoccupations sociales.
On pourrait trouver aujourd’hui des phrases équivalentes à celles d’Anatole France : « la majestueuse égalité devant la loi qui permet aux hommes et femmes de toutes couleurs d’élire des hommes blancs pour diriger le pays », par exemple. Ou encore : « la majestueuse égalité devant la loi qui permet aux personnes de toutes religions de célébrer le dimanche chrétien et la Toussaint catholique ».
Ou enfin, dans un autre genre : « la merveilleuse indignation face au thème lepéniste et xénophobe de la « préférence nationale » alors que plus de 6 millions d’emplois publics sont, en France, ‘ conditionnés par des critères de nationalité’» comme le rapport l’indique.
Etc, etc : les internautes qui en ont envie peuvent inventer des phrases de ce type et les mettre en commentaire.
Chacun voit midi à sa porte. Je vais faire violence à mon immense modestie connue de tout le système solaire (et seule cette modestie obsessionnelle m’empêche de vous parler d’autres galaxies) pour indiquer que j’avais abordé, il y a deux ans, dans un chapitre de mon livre L’intégrisme républicain contre la laïcité (le chapitre 5 exactement) des thèmes que je retrouve dans l’ouvrage. En revanche, j’ai appris beaucoup des pages consacrées à la recherche pharmaceutique et médicale.
Je savais vaguement qu’elle devait tenir compte de différences génétiques particulières, mais je ne m’étais pas intéressé plus que cela à la question et le rapport m’a convaincu de son importance. Avec des exemples précis et convaincants, le rapport montre que « certaines populations développent des maladies qui leur sont relativement spécifiques, ou réagissent de façon différentes à des médicaments ».
De même, d’autres exemples montrent que « des différences culturelles considérables existent face au dépistage et au traitement des maladies » et le médecin qui n’en tient pas compte et a une pratique standardisée des soins peut « passer à côté d’éléments qui feront échouer son intervention « (on pourrait généraliser et dire que la non prise en compte de la subjectivité de tout patient est médicalement contreproductive).
Mais, et cela montre bien son orientation dialectique, le rapport ajoute tout de suite après que la prise en compte de la culture du patient par le médecin ne doit pas conduire le praticien à « étiqueter le patient et (à) l’enfermer dans une identité » ; de même que la prise en compte des particularismes génétiques a aboutit parfois à la dérive d’une « disqualification biologisante. »
Je l’ai déjà indiqué : le rapport insiste sur la très rapide prise en compte de la diversité, en quelques années, par certaines entreprises françaises, implantée dans différents pays et/ou ayant une clientèle très diversifiée. Le rapport n’ignore pas que cela est du à des impératifs commerciaux. Mais, à juste titre, s’il examine les limites (voire les risques de dérive) que cela engendre, il n’en fait pas un facteur disqualifiant.
Là encore, on peut relier ce facteur économique à l’histoire de la laïcité : la commerçante Hollande a été, de façon précoce, un pays relativement tolérant. C’est là que John Locke a écrit sa Lettre sur la tolérance, qui est un texte majeur en faveur de la séparation de la religion et de l’Etat ; c’est là que Pierre Bayle a soutenu la thèse, révolutionnaire à l’époque, que l’athée n’était pas un être asocial.
Il faut donc lire avec toute l’attention qu’il mérite le chapitre « l’économie saisie par la diversité ». Dans une certaine mesure, il contraste avec le chapitre suivant sur l’enseignement supérieur, souvent en retard malgré quelques initiatives récentes (celle de Sciences-po, notamment), et qui « valorise moins que d’autres la diversité culturelle. »
Le rapport se conclut sur 47 propositions bienvenues dans l’ensemble. Lisez les et faites les connaître. J’ai été un peu frustré pour ma part par l’absence d’une conclusion ouvrant quelques pistes plus théoriques, à partir des nombreux éléments donnés tout au long de l’ouvrage.
Je reviendrai donc sur ce point pour tenter de prolonger cet ouvrage et réfléchir au lien entre diversité et universalisme, ce qui me semble une conception capitale (et concrètement : comment allier ce qui doit être sauvegardé dans la vision du « citoyen abstrait », et articuler à une politique de la diversité).
Mais en attendant, achetez et lisez ce rapport ; offrez le pour les fêtes,…
PS: Pour M. Ranjit Singh: Ok, je vais prendre contact avec vous, mais laissez moi un peu de temps: je fais pas mal d'aller et retour entre Paris et des pays étrangers actuellement et chaque fois que je suis à Paris, j'ai 36000 choses à faire!!
13:52 Publié dans Laïcité et diversité culturelle | Lien permanent | Commentaires (0)
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