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31/05/2008

AGNOSTIQUE ET CROYANT (le débat avec Hatzfeld))

Le 13 avril, dans ma Note sur « Agnostique et croyant » je parlais positivement d’abord et globalement, en effectuant une critique ensuite, de l’ouvrage d’Henri Hatzfeld, Naissance des Dieux, Devenir de l’homme. Une autre lecture de la religion, publié aux Presses Universitaires de Strasbourg (Palais Universitaires, BP 90 020, F-67084 STRASBOURG CEDEX).

Suite à cette Note (les internautes intéressés s’y reporteront) j’ai reçu la lette suivante (que je publie intégralement, avec l’autorisation de son auteur). Elle me semble continuer le débat ouvert par ma Note, j’y réponds donc

De Henri Hatzfeld à Jean Baubérot

« Mon cher Jean,

… …Tu me permettras, j’en suis sûr, de reprendre telle ou telle de tes affirmations à mon propos, affirmations dans lesquelles je ne me reconnais pas. Peut-être ce dialogue nous permettra-t-il d’éclaircir nos positions réciproques.

Tu écris « Là où j’estime qu’Hatzfeld a radicalement tort et quitte le terrain scientifique c’est quand il glisse …Il glisse des religions qui seraient œuvre humaine à religions qui ne seraient qu’œuvre humaine, qui seraient totalement œuvre humaine. Là il prend une position convictionnelle qui n’a plus rien de scientifique. »

A dire vrai, je ne me vois pas du tout en athée convictionnel si tant est qu’un tel bipède existe – peut-être Michel Onfray. Pour moi je n’ai pas du tout envie qu’on me définisse par un alpha privatif.

            Qu’en est-il en fait ? J’ai tenté de comprendre la religion telle qu’elle est en tenant compte de faits évidents : les rituels d’abord et leur symbolisme ; le travail non pas individuel mais collectif, traditionnel, de l’imagination ; l’imagination comme réponse à l’inconnu voire à l’inconnaissable ; l’imaginaire institué : dogmes et croyances, pratiques et sociabilité.

                      Si l’on me demandait « Et dieu dans tout ça ?» je répondrais comme Laplace au Premier Consul : « Citoyen, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse ». Entendons-nous : j’ai rencontré partout des idées de Dieu, des croyances en Dieu, mais Dieu lui-même, j’aurais été fort embarrassé de le rencontrer, moi apprenti sociologue : il m’aurait fallu redevenir théologien.

            Comprend moi bien. J’ai insisté dans mon livre sur l’inconnaissable. J’ai discrètement mais nettement dit le peu de bien que je pense de Changeux lorsqu’il dit « Pour moi, rien n’est inconnaissable. C’est un terme que j’ai depuis longtemps exclu de mon vocabulaire. » (p.61) Pour moi au contraire l’Ouverture du destin de l’Homme, la présence toujours actuelle de l’inconnaissable est un des éléments constitutifs de notre existence. C’est devant l’inconnaissable que l’homme, qui ne renonce pas, se bat avec les armes dont il dispose – et d’abord l’imagination.

Trois solutions ou positions sont possibles :

            Ou bien celle de Changeux : l’inconnaissable est une mauvaise question. Il n’y a pas d’inconnaissable.

            Ou bien celle du croyant : dans l’inconnaissable c’est Dieu qu’il pressent. De quelque manière qu’on exprime cela, l’inconnaissable pose une question à laquelle seule la foi peut vraiment répondre. Mais il me semble alors impossible que la religion ne se comprenne pas comme une conséquence d’une révélation et je ne vois pas bien comment cette explication – théologique – peut s’accorder avec l’explication sociologique ou anthropologique que j’ai tentée.

               Ou bien enfin – et c’est là ma position personnelle – on prend conscience que l’homme ne saurait, évidemment, ni tout comprendre ni tout maîtriser et que ce qui compte c’est l’attitude qu’il prend, la démarche qu’il adopte. Attitude et démarche qui ne sont nullement celle de l’individu angoissé, seul, entre les deux infinis. Mais celle d’un homme qui chemine parmi tant d’autres et après tant d’autres – et qui n’en finira jamais de s’instruire de leur sagesse et de leur folie. Leurs œuvres l’encouragent à continuer et à ne pas perdre courage – même après Auschwitz, même après le Rwanda. Certains jours – car les jours ne se ressemblent pas – il lui vient même à l’esprit ce mot plaisant de Montesquieu : « l’étude a été pour moi le souverain remède contre le dégoût de la vie, n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture ne m’ait ôté. »           

De toute façon nous devons vivre entre notre passé et notre avenir et nous avons à tirer de l’un de quoi faire face à l’autre. Et l’on ne saurait, du passé, éliminer totalement sans dommage, cette source de pensée, d’assurance et de poésie qu’est la religion. Encore faut-il face à l’avenir oser faire le tri. Car cette institution humaine qu’est la religion porte en elle le meilleur et le pire.

J’ai été assez longtemps et assez sincèrement chrétien pour savoir qu’il y a un courage de la foi. Mais je sais tout autant qu’il y a un courage de ce qu’on peut appeler si l’on veut humanisme ou philosophie – mais s’il te plait : pas athéïsme, terme qui ne définit une pensée que par une amputation !

            Je te laisse le soin de voir comment tu concilies l’explication théologique et l’explication anthropologique de la religion. Cela me paraît difficile.

            Cordialement.  Henri Hatzfeld »

Voila la lettre. J’y ai répondu bien sûr. Malheureusement, bousculé par le temps, j’ai écris ma réponse dans le RER qui me conduisait à Roissy, si bien que je n’en ai pas de double. Mais comme je pense que mes idées n’ont pas beaucoup changé depuis 15 jours ( !) je vais reconstituer, en gros, ma réponse.

D’abord Hatzfeld ne souhaite pas que sa position soit qualifiée d’athée. Dont acte. Je préciserai seulement que ce terme n’a pour moi rien de péjoratif : l’athéisme est une option philosophique tout à fait respectable 2) relisez ma Note du 13 avril et si, effectivement, à un moment je qualifie la position d’Hatzfeld « d’athéisme convictionnel », ce n’est pas (et je vais y revenir) la pointe de mon propos.

Alors OK, j’enlève athéisme, je mets à la place « humanisme convictionnel » et il me semble que tout reste debout. En effet, la divergence amicale, mais divergence de fond entre Henri et moi se situe très exactement dans les 2 phrase de sa lettre : « je ne vois pas comment cette explication -théologique- peut s’accorder avec l’explication sociologique ou anthropologique que j’ai tentée.», telle est la première. « Je te laisse le soin de voir comment tu concilie l’explication théologique et l’explication anthropologique de la religion. Cela me paraît difficile», voilà la seconde.

Mais qui parle « d’accorder » ou de « concilier » ? Pas moi en tout cas (relisez la Note) : au contraire, ma démarche : agnostique et croyant signifie « agnostique » pour tout ce qui relève du connaissable, d’une démarche de savoir et « croyant » pour l’inconnaissable, ce qui est extrascientifique.

Et il ne s’agit nullement d’un partage de territoires (avec un mirador au milieu !). Si c’était cela, alors bien sûr, je ne pourrais pas être d’accord avec la démarche sociologique et anthropologique (au sens de l’anthropologie comme discipline des sciences humaines) qui consiste justement à étudier la religion à partir d’une démarche de connaissance.

Mais cette démarche de connaissance je la pratique moi-même depuis pas mal d’années, comme sociologue et historien. Donc je n’ai aucun problème avec tout ce qu’écrit Hatzfeld à ce niveau.

Moi aussi quand je fonctionne en historien ou sociologue , je n'ai nul besoin de "l'hypothèse Dieu", elle m'embarasserait. Je rencontre effectivement des idées de Dieu et pas Dieu lui même. Je peux mettre ces idées de Dieu en perspective historique et/ou sociologique et je ne m'en prive pas. C'est (par exemple) ce qui me passionne quand je vais au Japon, pays de culture non monothéiste.

 

Mais, quand Hatzfeld raconte, de façon tout à fait intéressante d’ailleurs, sa posture d’humaniste, ce qu’il appelle « humanisme ou philosophie », il n’est plus dans une démarche de connaissance. Ce n’est pas une démarche de connaissance qui lui permet de garder courage « même après Auschwitz, même après le Rwanda.»

Car, et il est fort intéressant qu’il donne une telle précision, Auschwitz, le Rwanda mais aussi Hiroshima et d’autres abominations constituent un démenti empirique à son humanisme et à tous ceux qui affirment « croire en l’homme » (et c’est cette posture générale qui m’intéresse, je ne sais si H. H. reprendrait à son compte cette expression, mais elle est assez typique d’un discours humaniste areligieux).

J’irai même plus loin et, au-delà des grandes atrocités, la bêtise ordinaire, l’arrogance des puissants, etc constituent également des démentis empiriques constants. Nous sommes bien dans de l’extra scientifique. Et si on veut poser la question de l’accord, de la conciliation, il serait possible de retourner la question : comment l’humanisme peut-il s’accorder, se concilier avec une démarche de sciences humaines, qu’il s’agisse de l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, etc.

Pourtant, Hatzfeld (et beaucoup d’autres) ne peuvent se passer d’une telle « position » : « l’homme ne saurait ni tout comprendre ni tout maîtriser », « ce qui compte c’est l’attitude qu’il prend » écrit-il significativement. On est là dans l’ordre symbolique et non dans l’ordre de la connaissance. Et les structures symboliques existent dans toutes les sociétés : il suffit d’ailleurs de lire Hatzfeld pour le comprendre.

Mon dissensus avec lui (et je le signalais dés ma Note du 13 avril), c’est que ce qu’il écrit de la religion n’est pas valable que pour la religion. C’est également valable pour tous les rituels, les croyances, les récits fondateurs, etc. Et cela qu’ils se donnent comme religieux ou comme irreligieux. Il manque à Hatzfeld, selon moi, la notion de symbolique. En effet, toutes les analyses qu’il effectue du religieux peuvent être élargies à l’ensemble de ce qui constitue le symbolique

Hatzfeld parle (à raison à mon sens) de « philosophie » pour qualifier sa position quant au sens de la vie. Il est là dans le croire et non dans le savoir. Face à l’option croyante philosophique qu’il adopte (et qui est tout à fait respectable), une option croyante théologique est tout autant légitime.

Elle se fonde, elle aussi, sur la finitude humaine. Elle est démarche de foi, qui ne se prétend pas scientifique mais refuse seulement le scientisme, c'est-à-dire que la démarche scientifique puisse croire tout comprendre et tout maîtriser. Elle ne cherche nullement à s’accorder et à ce concilier avec la science.

Il y a des moments où cela se concilie, d’autres pas. Dans les deux cas, la foi n’est ni confortée ni abolie car, comme la science d’ailleurs à un autre niveau, elle repose sur elle-même et uniquement sur elle-même.

C’est cela qu’à mon sens, du moins, on appelle, la « profession personnelle de la foi ».

Quand j’ai écris ma Petite histoire du christianisme (Librio), je n’ai pas commencé, comme la plupart des Histoires du christianisme par une vie de Jésus. Même l’ouvrage (intéressant par ailleurs) dirigé par Alain Corbin présente à mon avis ce défaut (positiviste) : Son premier propos titre : « Jésus de nazareth. Prophète juif ou Fils de Dieu ? »

Je récuse une telle question qui ne me semble pas pertinente dans une démarche historienne. J’explique dans mon introduction que l’historien, dans l’exercice de son métier, ne peut être qu’agnostique. Je commence donc par l’existence, dans l’empire romain de la seconde moitié du 1er siècle de notre ère d’individus qui se nomment chrétiens, qui se disent porteur d’un « évangile » et qui constituent peu à peu un canon d’ « écritures saintes » à partir de leur foi.

C’est cela qui est connaissable par l’historien. Et tout ce qui leur est arrivé (et ce qu’ils ont fait aux autres,…) ensuite pendant vingt siècles. Et on n’a pas fini d’investiguer pour connaître le plus précisément et le plus scientifiquement et rationnellement possible cette histoire.

 

Sur ce sujet comme sur 1000 autres, la démarche de connaissance rationnelle me semble indispensable et doit être défendue. C’est pourquoi je suis membre (depuis plusieurs années) de l’Union Rationaliste tout en m’affirmant « croyant ». Les statuts de l’Union me le permettent et je m’en explique dans le dernier n° des Cahiers Rationalistes (cf. mai-juin 2008, p. 41)

Donc il s’agit de 2 sphères différentes et qui n’ont pas à se concilier. J’ai écrit : que cela peut ne pas se concilier ou se concilier, qu’importe. Il se trouve que sur un point fondamental, en tout cas, cela s’articule bien. C’est ce que je vais expliquer dans ma prochaine Note.

(à suivre donc)

Commentaires

Votre débat avec Henry Hartzfeld me passionne.
Vous dites qu’il manquerait à HH la notion de symbolique.
Si je comprends bien vous affirmer que son « humanisme » est une forme de symbolisme au même titre que le symbolisme véhiculé par les croyances théologiques.
Peut-être mais ce symbolisme humaniste a le grand avantage de ne pas avoir le caractère « régionaliste » et « historique » des œuvres humaines que sont les religions.
Cet humanisme même s’il est lui aussi œuvre de la pensée humaine, même s’il est en butte aux aberrations des comportements humains que vous évoquez, me semble plus crédible que le symbolisme des croyances théologiques confrontées aux études anthropologiques.
Ceci me fais penser au débat sur l’évolution et aux créationnistes qui remettent en cause la totalité de la théorie darwinienne parce qu’il y aurait des zones d’ombres dans la chaine de l’évolution.
Mais peut-être ai-je mal compris votre pensée et la suite de votre commentaire m’éclairera.
En tout cas merci pour ce blog.

Écrit par : roger | 05/06/2008

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