Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15/03/2008

PEUT ON ETRE AGNOSTIQUE ET CROYANT ?

I  QU’EST-CE QUE LE SYMBOLIQUE ?

Je reviens de Varsovie, où j’ai parlé de la laïcité devant un public qui allait de la présidente de l’Union Rationaliste à des catholiques traditionalistes. Et, à peine revenu, j’ai été interviewé hier soir, pendant deux heures, sur le « phénomène religieux », par une philosophe et un médecin, à Radio Libertaire (89.4), dans le cadre de l’émission « Raison présente » que l’Union Rationaliste a à cette radio, tous les second vendredi du mois.

Ces deux interventions m’ont amené à préciser certaines choses, dont je voudrais reparler ici.

 Je partirai de la réflexion critique que m’a faite un professeur polonais. En substance, il a déclaré ceci : « vous parlez beaucoup de liberté de conscience et de choix personnel. Fort bien. Mais ce n’est pas ainsi que les choses se passent : un bébé né à Dresde à 25% de chances d’être catholique et un autre né à Cracovie, 90% de chances d’être catholique. »

Fort intéressante objection. Elle n’existe pas dans le seul domaine de la religion d’ailleurs : un couple habitant le Limousin a 2 fois moins de chance de divorcer qu’un couple habitant l’Ile de France. Et on ne peut pas, pour autant conclure que les habitants du Limousin savent mieux aimer que les Franciliens !

Effectivement, un sociologue sait bien qu’au départ existent des déterminations sociales, socio-historiques : le pourcentage de chances d’être catholique n’était sans doute pas le même à Dresde il y a 50 ans. Mais s’il a fallu inventer la laïcité, c’est aussi parce que des individus n’ont pas été le reflet de leurs déterminations sociales.

Ils ont transgressé ces déterminations, se sont convertis d’une religion à une autre, ou sont devenus « mécréants »,… L’obtention de la liberté de conscience, n’a pas été une décision de philosophes enfermés dans une tour d’ivoire. Elle est de résultat de durs combats historiques, de réclamations (parfois au prix de sa vie) du droit à l’individualité, au choix personnel.

Quand on né, on trouve du déjà là. Nous allons en reparler.

Dans l’émission « Raison Présente », beaucoup de questions passionnantes m’ont été posées, dont celle-ci, au début de l’émission :

« Ce besoin de rites et de sacré décelé dés la préhistoire, peut-on dire qu’il persiste aujourd’hui parce qu’il appartient à la nature humaine, ou en d’autres termes, l’homme est-il en son essence un animal religieux ?

« Régis Debray, dans son rapport de 2002 sur L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque, a-t-il raison d’écrire : « Tournent les idoles, mais l’axe du manège, l’incurable croyant, reste toujours disponible pour un nouveau tour de foi » ? Ou est-ce plus banalement qu’une question de crédulité, c'est-à-dire de manque d’esprit critique qui doit s’amender avec l’avance de la civilisation ? »

Et plus tard dans l’émission, de nombreuses autres questions, dont celles-ci :

« Partie de rites collectifs très stéréotypés et externalisés qui s’imposent aux individus, la religion s’intériorise et s’adresse à l’individu plus qu’au groupe. Vous dites vous-même dans (votrelivre) Les laïcités dans le monde que la religion tend moins à être un système de normes, qu’un systèmes de ressources. Qu’entendez-vous par là ?

« Vous ne faites pas mystère de votre appartenance à l’Eglise protestante, quelle assistance vous apporte la pratique religieuse dans votre vie d’homme moderne ? 

« Les religions ont-elles fait plus de bien ou plus de mal dans l’histoire des hommes ? »

Je voudrais relier ces questions à la réflexion critique du prof. de Varsovie.

Je partirai de la demande : l’homme est-il un animal religieux ? Je répondrais que, pour moi, l’être humain est fondamentalement un animal symbolique et qu’un des grands problèmes des sociétés modernes consiste à avoir oublié, rejeté dans l’impensé, cet élément essentiel de l’humain.

La religion est un concentré de symbolique, mais le symbolique ne se réduit pas au religieux.

L’importance des structures symboliques est le point aveugle de nos sociétés. Mais que faut-il entendre par « symbolique » ?

Dans sa signification originelle, le symbole était un bout de bois coupé en deux, dont ayant des aspérités (en Grèce, une pièce de monnaie coupée en 2 a ajouté la philosophe). Lorsque 2 tribus se croisaient, elles vérifiaient si le bout de bâton que possédait chacune d’entre elles pouvait se raccorder à l’autre.

Si les 2 bouts de bâtons s’emboîtaient, cela signifiait que les 2 tribus provenaient de la même origine. Cette origine commune en faisait des alliées, elles pouvaient collaborer pacifiquement, se partager le territoire.

Si ce n’était pas le cas, ces tribus se considéraient comme étrangères l’une à l’autre. Tout pouvait alors advenir, y compris la guerre.

Le symbole montre donc que nous ne vivons pas dans un monde ex nihilo, dans un univers historiquement et socialement vide que nous inventerions chaque jour. Il existe de l’antériorité, du déjà là qu’il faut décrypter.

Le symbole en effet possède une certaine matérialité : dans le cas présent : être un bout de bois, avec des aspérités. Mais un ignare ne trouvera aucune valeur à ce bout de bois. Il en existe des milliers d’autres dans la forêt. Il le jettera donc sans se rendre compte de la portée de son acte. Car l’important dans le symbole, ce n’est pas sa matérialité, mais sa signification.

C’est pourquoi, quand on jette le bout de bois – symbole, il vous revient en pleine figure, tel un boomerang !

Mais aucun membre de la tribu ne jettera un tel bout de bois, car chacun d’entre eux sait que s’il ressemble à mille autres, en fait il est unique et essentiel au devenir du groupe.

Le symbole connote donc l’antériorité, d’historicité de notre présent : J’ai déjà recommandé, aux Internautes de ce blog, l’ouvrage de l’excellent sociologue Henri Hatzfeld : Naissance des dieux, devenir de l’homme[1].

Hatzfeld indique l’enfant voit, entend des « objets symboliques », des gestes, des chants, des paroles qui composent tout un univers, avant de commencer à les comprendre : « Les symboles forment une demeure ou un milieu au sein duquel l’enfant se développe, et sa formation progressive, celle de sa  pensée et de sa sensibilité, s’effectue à l’intérieur de ce cocon nourricier. (….) Ces objets pleins de sens sont du reste mélangés aux objets naturels et, également, à ces objets techniques que l’homme se forme lui-même, comme des objets symboliques, pour son usage. »

 

 

Et Hatzfeld poursuit : « Ainsi la pensée n’est-elle nullement une affaire individuelle. Elle ne l’est pas, parce qu’elle ne pourrait pas se produire sans ces objets symboliques dont nous sommes dotés par la tradition et grâce auxquels nous pouvons penser. Le langage est assurément le plus remarquable de ces objets et systèmes d’objets » (pages 16-17).

 

Il me semble que nous avons, là, avancé dans la réflexion sur l’enfant qui naît à Dresde et celui qui naît à Cracovie. Par ailleurs, nous avons des éléments de réponse à la 1ère question de l’émission de «Radio Libertaire.

Loin d’avoir « avancé » dans une connaissance rationnelle de la croyance, la « civilisation moderne », de manière dominante, a développé l’analphabétisme social concernant le symbolique.

 

 Nous avons confondu rationnel et fonctionnel.

Poursuivons notre métaphore : nous avons pensé que les aspérités de chaque bâton n’avaient rien de fonctionnel. Nous avons donc effectué une production industrielle massive, rentable, à faible coût, de beaux bâtons bien lisses. Cela s’est avéré efficace et, sur beaucoup de plans (ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain !) cela a permis d’indéniables progrès.

Mais (et il en a déjà été question dans ce blog) la conjonction des progrès (des progrès scientifique, technique, social, moral), du bien être et du bien vivre ne s’est pas produite. Et actuellement, on nous bassine du « devoir de mémoire », d’ « héritage », de « racines », comme s’il fallait retrouver quelque chose d’irrémédiablement perdu.

 

Avec nos innombrables bâtons bien lisses, nous vivons une crise de la réussite. Sans le savoir (en refusant même de le comprendre), nous avons socialement perdu le sens du symbolique, la compréhension du lien qui existe entre la réalité que nous pouvons voir et entendre (où dont les médias nous parlent à tout bout de champs) et celle qui nous échappe.

 

Nous avons délibérément voulu ignorer que nos bouts de bois bien lisses perdaient la signification essentielle que donnaient les aspérités. Qu’un bout de bois – symbole n’était pas un bout de bois ordinaire et dont l’usage se réduisait au prosaïque.

Ce symbole possède un sens qui déborde la réalité actuelle, empirique, renvoie à une autre réalité, à une autre signification que sa matérialité immédiatement constatable par tout un chacun.

Nous avons perdu notre capacité herméneutique, notre capacité d’interpréter et de comprendre. Nous avons construit un vaste univers social fruste, primaire ou les actions et réactions se situent au premier degré.

 

Avec nos bâtons rabotés, tous formatés à l’identique, et dont nous ne savons plus que faire tant ils transforment notre planète en vaste poubelle, nous somme un peu comme quelqu’un frappé par une idiotie profonde, incapable d’utiliser les objets qu’il a autour de lui. Un amnésique qui n’a plus prise sur la réalité qui l’entoure.

La réussite matérielle des sociétés modernes se double d’une faillite symbolique.

Cette faillite…..

(à suivre)



[1] Presses Universitaires de Strasbourg,  2007.

Les commentaires sont fermés.