05/03/2008
OUTRE-MER ET LAÏCITE. UN LIVRE ROMPT LE SILENCE
A propos de l’ouvrage qui vient d’être publié sous ma direction et celle de Jean-Marc Reynault RELATIONS EGLISES ET AUTORITES OUTRE-MER DE 1945 A NOS JOURS aux Indes savantes (22, rue de l’Arcade, 75008 Paris, mail : contact@lesindessavantes com ; site http:/.www.lesindessavantes.com).
Cet ouvrage est issu d’un colloque qui s’est tenu à Paris, en avril 2005, à l’occasion du centenaire de la loi de 1905. A ma connaissance, c’est le seul colloque qui s’est intéressé à la laïcité outre-mer. D’une manière générale, je trouve que l’hexagone néglige beaucoup trop l’outre-mer. Il faudra y revenir.
Je Vous donne d’abord le compte rendu qu’en a fait un des contributeurs Y. Fer sur son site (yannickfer.hautetfort.com). Comme il est spécialiste de la Polynésie française, c’est surtout cet aspect là qu’il développe. Il est d’autant plus intéressant qu’il se trouve lié présentement à une actualité politique (retour de Gaston Flosse au pouvoir, dans une alliance paradoxale avec le parti indépendantiste qui le combattait depuis fort longtemps). Mais j’ajoute ensuite un petit complément, ainsi qu’un exemple concret sur ce que peut nous apprendre la Martinique, quant à « l’intégration ».
Voila d’abord le texte de Y. FER :
C'est l'article 1er de la Constitution qui l'affirme: "La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale". La laïcité, principe fondateur de la république française, suppose à la fois la neutralité de l'État à l'égard des religions et le cantonnement - au moins relatif - de la religion dans la sphère privée.
Autrement dit, selon l'excellente formule de Khaled Benchir, "Il faut que la loi puisse préserver la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dire la loi" (1).
Alors que les relations entre églises et autorités politiques en France font à nouveau débat depuis les déclarations, disons déconcertantes, de N. Sarkozy, notamment lors des discours prononcés au Vatican le 20 décembre 2007 et devant le Conseil consultatif de Riyad (Arabie Saoudite) le 14 janvier 2008, le détour par l'Outre-mer français sème encore plus le trouble: saviez-vous que la loi de 1905 de séparation de l'église et de l'État n'a jamais été appliquée en Polynésie française? Qu'il existe à Mayotte un statut civil de droit musulman? Et jusqu'à quel point les relations entre coutume, État et Église catholique à Wallis et Futuna sont-elles compatibles avec l'article 1er de la Constitution? Autant d'excellentes questions explorées par le livre collectif édité par Jean Baubérot et Jean-Marc Regnault, qui vient de sortir aux éditions Les Indes Savantes.
Ces articles, rassemblés à la suite d'un colloque organisé en avril 2005 à l'IESR (Institut européen en sciences des religions), couvrent l'ensemble des départements, territoires, pays et autres collectivités de l'Outre-mer français à l'exception de Saint Pierre et Miquelon. Ils analysent, au-delà des relations entre institutions religieuses et politiques, les pratiques politiques et les perceptions de la laïcité des Français d'Outre-mer.
La Polynésie française a droit à un chapitre particulièrement étoffé, avec cinq articles. J.-M. Regnault revient d'abord en détail sur l'état quasiment inextricable de la législation en vigueur en Polynésie française, où le tribunal administratif a souvent été amené à trancher entre les interprétations divergentes du représentant de l'État (haut-commissaire de la république), du gouvernement local et des églises.
Une législation qui, telle qu'elle est appliquée, autorise par exemple le gouvernement local à subventionner les activités des églises ou encore oblige l'église protestante à soumettre la composition de son conseil d'administration à l'agrément du haut-commissaire...
Daniel Margueron, dans l'article suivant, apporte un éclairage intéressant sur la manière dont la notion de laïcité est comprise au sein du protestantisme en Polynésie française. Les responsables d'église interrogés soulignent que, même s'il est désormais admis qu'il y a des domaines de la vie sociale où la religion n'a pas sa place (l'école laïque, en particulier), il n'y a toujours pas de mot dans la langue tahitienne pour traduire "laïcité".
"En Polynésie", dit le président de l'église protestante ma'ohi (EPM), Taarii Maraea, "nous n'avons pas connu l'histoire, le contexte qui a créé cette notion de laïcité, apparue en Europe au cours du 19ème siècle.
Bien au contraire, c'est une notion étrangère au vécu polynésien, mais c'est quand même une notion importante pour la Polynésie, une notion sur laquelle le protestantisme doit amener sa réflexion car la Réforme a porté les germes de la laïcité. Nous devons donc être porteurs d'une laïcité à la polynésienne et la faire vivre car notre pays a besoin de tolérance, de cette conscience de liberté." (p. 131-132)
Ce point de vue a conduit T. Maraea, en 2004, à prendre position contre la présence d'un crucifix dans l'enceinte de l'assemblée de Polynésie française, un crucifix alors accroché (et finalement décroché devant les réactions qu'il a suscitées) par le nouveau président de l'assemblée Tony Geros (ci-contre), indépendantiste et catholique. Une position de l'EPM que Bruno Saura, dans son article sur les interactions des espaces politique et religieux en Polynésie française, analyse aussi comme une réaction face à la progression du catholicisme à Tahiti.
En tout cas, la laïcité a bien été invoquée au cours de ces controverses, parfois par des hommes politiques qui y ont vu une façon habile de s'opposer aux indépendantistes en se parant des habits de la "modernité" pour mieux les renvoyer à un supposé archaïsme, mais aussi par des responsables politiques sincèrement convaincus, comme Nicole Bouteau ou Heiura-les verts.
Gwendoline Malogne-Fer revient justement, dans un autre article de ce chapitre polynésien, sur les difficultés rencontrées par l'église protestante dans ses tentatives de redéfinition des relations entre église et politique, à travers la décision prise en 1996 (et appliquée pour la première fois lors des élections municipales de mai 2001) d'interdire aux diacres, évangélistes et pasteurs d'être candidats à un mandat politique.
Elle montre à quel point cette décision a été mal vécue et combattue par beaucoup de paroissiens, notamment dans les petites îles où la conception traditionnelle selon laquelle les diacres sont des autorités morales utiles à la gestion des affaires publiques est encore très forte.
Mais cette conception a aussi servi d'appui aux partis politiques, notamment le Tahoeraa Huiraatira de Gaston Flosse, pour enfermer les responsables d'église dans des rapports d'allégeance et de clientélisme dont l'église a souhaité s'extirper. Dans le même temps, elle apparaît toujours plus politique par ses prises de position sur l'indépendance, le nucléaire, etc.
Il faut donc se désengager d'un côté pour pouvoir espérer jouer de l'autre un rôle de "sentinelle vigilante" capable d'interpeller la société et les autorités politiques.
Enfin, j'ai (= Y. Fer) participé à ce livre en analysant les relations entre pentecôtisme et politique en Polynésie française, en montrant notamment comment les assemblées de Dieu, si elles ont été à leur début étroitement contrôlées, voire freinées par les dispositifs de régulation étatique du religieux (en particulier le refus de visas aux missionnaires étrangers), sont finalement apparues à un moment donné au gouvernement local comme un partenaire utile pour mettre en place des politiques explicitement chrétiennes à destination des jeunes.
Le ministre de la jeunesse et des sports du gouvernement Flosse, Reynald Temarii (élu en 2007 vice-président de la FIFA), déclarait ainsi en 2002, à propos de la subvention accordé par son ministère au concert de rock évangélique du chanteur canadien Luc Dumont:
"Contrairement à la métropole où la laïcité empêche ce genre d'initiative, nous pensons que la foi peut aider au développement de l'enfant et des jeunes".
(J.B. : laissons naturellement à L. Dumont la responsabilité de cette prise de position)
Fin du compte-rendu de Yannick Fer)
Mon petit complément
Donc, tous les TOM-DOM sont étudiés dans cet ouvrage, à part St-Pierre et Miquelon. Faute de pouvoir citer tous les articles j’en retiendrai 3
-Celui d’Emile Poulat qui donne une vue d’ensemble sur l’application et la non application de la loi de 1905 à ce qui était à l’époque l’Empire colonial français. Poulat nous donne donc de très précieuses informations, y compris sur les nombreux territoires qui ne se sont séparés de la France.
Poulat effectue ensuite un zoom sur le département la Guyane qui reste régie par une ordonnance de Charles X, de 1828 : le catholicisme y est (et lui seul) officiellement un « culte reconnu ».
-Celui de Prosper Eve sur la Réunion. Il porte sur la situation de 1945 à 1975 de ce département français) et montre qu’à cette époque (l’évêque actuel a un état d’esprit très différent ; il a notamment proposé une diversification des jours fériés religieux.) l’Eglise catholique renonçait difficilement à ne pas contrôler la société civile.
A noter que le département de la Réunion compte environ 600000 hindouistes, ce qui fait que cette communauté est, en France, aussi nombreuse que les bouddhistes et presque aussi nombreuse que les juifs.
Celui d’Hugues Béringer sur Mayotte : « un statut civil de droit musulman dans la République : legs colonial ou modernité du droit à la différence ? ». le titre est ,à lui seul éloquent. Je vous laisse donc le découvrir.
On fait silence sur Mayotte. Dernièrement, j’ai demandé au documentaliste d’une société de production qui avait fait un film assez ‘scénario catastrophe’ sur la « charia », pourquoi il n’avait pas été question de Mayotte : réponse : « j’y avais pensé, mais on m’avais demandé de faire du sensationnalisme, et il n’y avait pas là matière à sensationnalisme. » Donc Mayotte fait partie de cette réalité invisible ; sa faute : le calme !
Et, pour terminer, un exemple concret concernant le département français de La Martinique.
Dimanche prochain il y aura, là comme ailleurs, le élections municipales (et cantonales). A la télévision, il y a eu un débat rassemblant les candidats d’une commune nommée Les trois îlets. Et c’était très intéressant car les différentes têtes de listes parlaient des « métro » (c'est-à-dire des métropolitains qui sont installés de façon temporaire ou plus stable à La Martinique) un peu à la manière dont on parle des Maghrébins en France : c’est bien qu’ils soient là, cela fait partie de la « diversité », mais « ils forment des ghettos », ils « doivent s’intégrer »… et ne le font pas assez. Pour un peu il aurait été question de « communautarisme » !
La différence étant que les « métro » sont plus aisés (voire riches) que la moyenne des martiniquais et que leurs « ghettos » sont volontaires, ce sont des quartiers de belles villas qui surplombent la mer.
(1) Déclaration faite lors de son audition par la commission "Les socialistes et l'individu", 3ème forum de la rénovation du parti socialiste français (20 janvier 2008).).
16:55 Publié dans Ouvrages de Jean Baubérot | Lien permanent | Commentaires (3)