15/03/2007
CLERICALISME MEDICAL ET LAÏCITE
Dramatique, dramatique chers Zamis et Zamies du Blog. Le 26 février je vous avais laissé (une fois de plus) sur un suspens insoutenable : après vous avoir expliqué que, dés avant l’invention du terme de « laïcité » et de la famille sémantique l’accompagnant (l’Etat laïque, le laïque comme partisan de la laïcité, etc), il y avait déjà, au sein de toute société où la religion était une institution à caractère englobant (cad ayant la prétention de donner à la société entière une conception du monde, un sens à la vie collective, etc) un pôle clérical (qui voulait donner des normes à cette société selon la dite conception du monde) et un pôle laïque (qui, lui, voulait pouvoir bénéficier de ce qu’on appelait les « secours de la religion », se servir de la religion comme ressource à certains moments de la vie, mais voulait aussi avoir son quant à soi religieux).
Le processus de laïcisation est, disais-je génialement (vous me connaissez, la modestie est ma qualité principale), le passage, au niveau d’une société donnée, de la dominante cléricale à la dominante laïque. Mais il ne s’arrête pas là à cause d’un paradoxe de ce processus. Quel est ce paradoxe ? Et là, comme un bon auteur de romans policiers, j’indiquais : « à suivre ».
La suite devait arriver la semaine suivante. Mais la vie est pleine d’imprévus. Il y a eu ensuite la Charte de la Ligue de l’enseignement, des Francas et d’autres organisations laïques, que j’ai répercutée sur ce Blog. Mon « Que sais-je ? » m’absorbe, comme je vous l’ai raconté dans la dernière Note… et mon paradoxe. Eh bien, j’ai oublié tout simplement ce que je voulais dire.
Impossible de m’en souvenir.
Non, n’en profitez pas pour m’enfoncer, pour raconter partout que l’Alzheimer me guette, m’a déjà trouvé… Quand même. Un peu de pudeur. Mais voila, quiconque retrouve mon paradoxe (il doit être bien caché quelque part) est prié de me le rapporter et il aura 0,10 € de récompense. Sympa, non.
D’autant plus sympa que je n’ai quand même pas tout oublié. Je peux vous donner quelque chose qui doit ressembler au signalement du paradoxe. Ce paradoxe était une formule brillante (n’en doutez pas) pour typifier ce que je vais maintenant vous dire.
En gros le problème est le suivant : donc le processus de laïcisation est schématiquement le passage de la dominante de la polarité cléricale à la dominante de la polarité laïque. Mais c’est plus compliqué. Nous l’avions déjà vu le 26 février (relisez la Note : je mettrais votre tête à couper que si vous aviez une interrogation écrite sur son contenu vous sècheriez lamentablement) tout le problème est celui du « transfert » dans la sécularisation et de la limite de la laïcisation qu'opère ce transfert. Car il y a toujours, même dans les sociétés sécularisées, de l’encadrement par des système de sens, par des systèmes de socialisation qui proposent-imposent des systèmes de normes idéales sacralisées(cf la définition que l’OMS a donné de la santé et les normes d’apprentissage de l’"école-sanctuaire") à partir d’une confiance dans le progrès.
Le gouvernement démocratique a besoin de la socialisation effectuée par les institutions séculières, considérées comme porteuses de progrès, comme les royautés de droit divin avaient besoin de la socialisation faite par la religion. Mais la mutation laïque opérée est la suivante : ces institutions ne sont pas considérées comme donnant des normes transcendantes, venues du dehors, mais comme des œuvres, des constructions humaines et choisies par eux au présent : on pourrait appliquer analogiquement ce que Renan dit de la nation, il y a (de façon bien sûr complètement implicite, et aussi parce que le fait que la société fonctionne ainsi pousse à répondre « oui ») un « plébiscite de tous les jours » = la légitimation de cet « avant tout » institutionnel est la validité de l’objectif poursuivi et la capacité de l’institution à atteindre cet objectif (il y a cpdt un 3ème critère par lequel l’anticléricalisme au sens large et pas forcément conscient pour les acteurs s’engouffre : croire que les agents institutionnels sont humainement sans faille : « Les gynécologues n’ont pas de sexe », titre Elle, 16 décembre 06)
Donc il y a, à la fois un transfert de sacralisation (d’ailleurs le sens originel de sécularisation = transfert d’une propriété religieuse à une propriété séculière) et, dans ce transfert, une perte de sacralité qui s’effectue : on passe d’une sorte de sacralité par essence, substantive (elle vient du dehors) à une sacralité + fonctionnelle, même si elle cherche à s’essentialiser.
Et donc, de nouveau nous trouvons une double polarité : la polarité laïque tend à utiliser de façon fonctionnelle la médecine, l’école, etc (On parle de « consumérisme médical », de consumérisme scolaire »), alors que la polarité cléricale (le médecin, le prof, etc) est elle substantiviste c'est-à-dire croit que les normes médicales et les normes scolaire doivent s’imposer tout le temps à tous, qu’elles font partie de l’ordre naturel des choses.
Mais en fait, si la polarité du clerc est substantiviste, c’est parce qu’il fonctionne plus facilement si ses normes s’imposent tout le temps à tous. Plus facile de travailler à l’hôpital pour un médecin si lui-même et les patients sont persuadés qu’il « n’a pas de sexe » pour reprendre le propos de l’hebdo Elle. De même c’est plus facile de travailler si lui-même et ses patients pensent qu’il est omniscient et qu’il ne peut pas se tromper dans son diagnostic. Le médecin sait bien qu’il est un individu sexué (avec un inconscient en plus), il sait bien qu’il n’est pas infaillible, etc. Mais, pour que l’institution fonctionne sans problème, soit la plus opérationnelle possible, il faut faire « comme si ».
Valabréga, médecin anthropologue, a décrypté cette relation médecin-malade en indiquant que le médecin se considérait et voulait qu’on le considère comme « un homme qui n’est pas un homme tout en étant un homme » (La relation thérapeutique, Flammarion, 1962). Cette représentation vient de loin, parce qu’elle est celle du chaman.
Nous ne nous sommes pas éloignés du rapport de la Charte de la laïcité, puisque le problème sous jacent à ce rapport et à la Charte, qui veut réaffirmer la laïcité à l’hôpital est précisément le problème des femmes (musulmanes dit-on) qui ne veulent pas se déshabiller devant un homme médecin pour avoir un examen médical.
Bien sûr, quand un médecin examine un patient, normalement il est dans une logique professionnelle et ne pense pas à la bagatelle. Il ne s’agit pas de faire du moralisme ou de faux procès. Pourtant, on peut penser qu’il est exactement de même des personnes chargées de palper les voyageurs dans un aéroport. Pourtant là, significativement, on mettra des hommes pour palper les hommes et des femmes pour palper les femmes (supposant d’ailleurs que tout le monde est hétéro ; comme quoi, il y a toujours de la croyance dans un fonctionnement social). Or là encore, il n’y a aucune raison de soupçonner à priori que ces personnes ne sont pas dans une logique professionnelle. Et pourtant, il y a un petit soupçon social et l’idée que ce sera moins désagréable pour l’usager s’il est palpé par une personne de son sexe.
Pourquoi raisonner de façon différente (et aussi péremptoire) dans le cas des agents d’aéroport et dans le cas des médecins ? Tout simplement parce que les premiers ne sont pas des clercs tandis que les second le sont. Autrement dit, un médecin n’est pas simplement perçu comme un professionnel, mais il est investi d’une aura sacrée qui le désexualise davantage qu’un membre d’une autre profession. La médecine est un sacerdoce !!!
Par ailleurs, on estime que les patients ont été socialisés à cette perception sacrale de la médecine et qu’ils ne sont pas perturbés par le fait d’être examinés, même intimement, par une personne d’un autre sexe que le leur.
La médecine n’a pas toujours été aussi asexuée, même si elle a toujours eu plus ou plus un aspect parareligieux (« santé » et « salut » sont des mots qui ont la même origine). Laennec a inventé le stéthoscope par ce qu’il s’est rendu compte qu’un contact direct avec la poitrine de ses patientes les gênait. C’était une époque où on était moins dans le moule d’une socialisation à l’autorité médicale et où les femmes ne se déshabillaient pas facilement devant un médecin. Et quand on fait de l’histoire de la médecine, on s’aperçoit qu’il y a eu toute une stratégie liée à la montée en puissance de l’institution médicale, et à la sécularisation-transfert dont je parlais tout à l’heure pour changer les choses.
Au XIXe, quand l’être humain « normal » était un homme, les médecins ont été parmi les professions qui ont le plus résisté à l’ouverture de leur métier aux femmes. Et là, les médecins ne se privaient pas de mettre en avant l’argument de « pudeur » qu’ils récusent aujourd’hui : une femme ne pouvait être médecin car cela l’obligeait à voir des choses (ce que les Romains appelaient les « parties honteuses ») qui offenseraient sa « pudeur ». Plus généralement la médecine, dans sa période ascendante, s’est traduite par une dépossession des femmes sur leur propre corps et sur des actes importants de leur existence. Cela a été particulièrement vrai pour l’accouchement : le fait que la médecine permette qu’il se produise dans de bien meilleures conditions ne supposait pas le passage des matrones aux médecins accoucheurs hommes (avec les sages-femmes comme subalternes). Mais la médecine a longtemps fait croire que les femmes seraient moins capables de s’approprier le savoir que les hommes.
A l’époque, on était plus prés du sacré en étant un homme qu’en étant une femme (c’est toujours vrai dans le catholicisme et certaines autres religions). A propos, aujourd’hui, combien de « Grands patrons » en médecine sont les femmes ?
La socialisation à la médecine n’a pas comporté seulement le fait pour les femmes de s’habituer à se déshabiller pour être examinées par des hommes, elle a été beaucoup plus globale, notamment elle a conduit à ne pas discuter la compétence du médecin, ses instructions, les normes qu’il donne. Cela a été particulièrement valable (encore une fois) pour les femmes, les futures mères et les mères. La justification de ce contrôle du corps des femmes a été d’indéniables succès (la forte diminution de la mortalité en couches par exemple) mais cela est allé bien au-delà : par exemple des consignes péremptoires et contradictoires suivant les époques et les médecins sur l’allaitement. les exemples sont multiples et je vous fais confiance pour en trouver vous-même. Il y a dans le médical de la compétence et du sacré, du savoir et du symbolique.
Nous sommes dans une situation nouvelle où la croyance dans les "bienfaits" du progrès se trouve en déclin.
Dans l’ambiguïté naturellement, le « consumérisme médical » cherche à trier, à mettre en concurrence compétences et savoir ; mais aussi à considérer le médecin comme un être humain et à pouvoir aussi le choisir en fonction de cela. Cela s’appelle de la désacralisation. Ce qui ne signifie pas, bien sûr, que le patient-laïc ait toujours raison face au médecin-clerc, qu’il faille le sacraliser à son tour. Mais voila, c'est une continuation du processus de laïcisation , avec ses 'bons' et ses 'mauvais' côtés.
Bref, le Haut Conseil à l’Intégration n’a visiblement effectué aucune analyse de l’institution médicale et de son rapport au sacré. Il y en a marre d’ailleurs de tous ces Docteurs es ignorantus qui parlent à tort et à travers de la laïcité sans avoir effectuer les analyses nécessaires pour pouvoir en parler avec compétence. Ca c’est du cléricalisme : se croire autoriser par essence à avoir une parole docte et qui fait autorité sans effectuer le travail intellectuel nécessaire.
Et si les femmes (dites musulmanes, mais sont-elles seules en cause ?) par leur demande de disposer (autant que faire se peut) de médecins femmes, désacralisaient l’institution médicale, si elles étaient des représentantes du pôle laïque face au pôle clérical ?Cela y est : j’ai peut-être retrouvé mon paradoxe (ou alors j’en ai trouvé un autre!)
Chao, à la semaine prochaine.
12:35 Publié dans LAÏCITE, MEDECINE, ECOLE | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Merci, très intéressant... et quel suspens pour retrouver ce paradoxe ! c'eut été bien dommage de ne pas le retrouver
Écrit par : Achtung_seb | 15/03/2007
j'ai trouvé votre article très intéressant .. je suis une femme, non-musulmane, mais je me sens quand même très mal à l'aise quand je dois me déshabiller devant un médecin homme, même lorsqu'il ne s'agit que du haut, comme par exemple pour faire un électrocardiogramme .....
on peut être pudique sans qu'il y ait de référence religieuse ...
Écrit par : Françoise | 16/03/2007
ah vous aimez vous écouter parler dis donc
Écrit par : Rachida | 16/03/2007
Choses vues ou vécues :
1/ Dépistage ( cancer du sein): je vais à centre agréé , qui assure toutes les sortes de "radios" et me demande si j'ai perdu la boule: je ne retrouve pas , dans un vrai dédale ( immeuble superbe du second empire !) ,l'endroit où se font les "mammographies"...Je chausse mes lunettes de presbyte, lis x belles plaques dorées, monte et redescends étages et finis par me réadresser à "l'accueil". Une dame-secrétaire me dit: "mais , madame, c'est en face, telle porte" .
"Telle porte mais il y a écrit ...".
Eclair dans ma petite tête: " bien entendu: "senologie"!!!
Et je dis à la dame: "pourquoi on appelle maintenant "seno..." ce qu'on appelait "mammo..."?"
La dame me regarde ahurie, se demandant sans doute si
je n'avais pas plutôt besoin de je ne sauais quel examen de mon cerveau!"
Et comme il faut bien rire je lui dis:"excusez-moi, j'adore les histoires des mots. Je suppose que mammo, ça rappelait trop "mamelle" , que dans de nouvelles nomenclatures d'actes médicaux on a dû préférer "sein".
Pour revaloriser les femmes et les tarifs des actes.
J'ai demandé à des personnes , des femmes, de tous les milieux et niveaux dits socioculturels ( et à monsieur radiologue très "techniciste" ) le sens de "sénologie"...Et j'attendais donc avec impatience les notes de J.B. sur la "médecine". Des dames "musulmanes", qui s'y connaissent en "histoires médicales de femmes" et voient indifféremment des toubibs des deux sexes ont bien rigolé!
Et pourquoi on écrit "mamelle, mamelon" ( une seule lettre "l") et "mamm..." quand c'est un mot "savant"??!!
Aéroports: ça c'est très désagréable avec toutes ces mesures dites "antiterroristes". Très bien pointé, J.B.!!! Qui a un faciès à être "palpé(e)"? Retour de pays connus (pourtant "arabes") pour des tourismes "libérés"...Va savoir pourquoi de façon très choquante ( en tout cas à mes yeux ) étaient palpées ainsi des personnes par des "agent(e)s de "sécurité" : un "couple", par ex. , d'hommes qui était ou non mais "paraissait "homosexuel" (BCBG, "images" de x magazines...) par des agents très "virils" ( de faciès!).
Mais sourions: ça se révolte les "personnels" de nos ^hopitaux publics! Bref on les interviewe et moi j'étais "ravie" ( comme le santon de la crèche au féminin!):il y a des hommes qui sont des "sages-femmes"( dans notre ville pleine de femmes "musulmanes" tout à fait indépendantes de leurs pères, maris, frères et fils ) Comment fallait-il les appeler? Ils ont trouvé ridicule la proposition de "maîeuticiens", de "sages-hommes" et donc se disent "sages-femmes"!
enfin: moi je me rappelle des copines qui en pleines batailles sur le droit à la contraception , puis l'avortement menaient de drôles d'actions symboliques, exigeant de gynécologues des moins respectueux...un peu de respect de la pudeur...ou , simplement des droits de toute personne...Et comment Madame S.Veil fut traitée de "pisseuse" par bien de nos élus ...dans des assemblées pleines de médecins...Et comment on traitait les femmes ( patientes , personnels ou rares toubibes "internes" )dans certains services hospitaliers où des "patrons" imposaient leurs normes de pouvoir médical .
Bref...Ca a ou non quelque chose à voir...mais ça commence à me chauffer les oreilles toute cette invasion des "neurosciences", du "cognitif"..."médicalisant", "prouvant scientifiquement" tout comportement, même de tout petits enfants, jugé non "conforme", prédélinquant, incapable d'apprendre à lire, écrire, compter...Avec des recettes qui me font frémir...et l'appel à des chamans (para)médecins, plein de, parait-il, tests, fichages, électrodes et pilules...
Version 2000 de "Surveiller et punir"...ou de toutes les versions du Docteur Mabuse...
Merci à J.B. contente aussi de lire cette pétition dont vous êtes un des signataires sur un certain ministère totalement digne du monde d'Orwell, de 1984-1948
Écrit par : anne-marie lepagnol | 17/03/2007
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