Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

24/02/2006

COMBES ET LA PRINCESSE CARMELITE (suite)

UN INEDIT :
COMMENT MAG RENCONTRE CLARA

Dans mon roman historique Emile Combes et la princesse carmélite, Improbable amour (éditions de l’Aube, collection « Regards Croisés »), l’histoire commence par un repas où Mag Durand, sociologue de la médecine, apprend que des archives inédites d’un célèbre médecin, Emile Combes, se trouvent aux archives de Bordeaux. Pendant qu’il se rend à l’université de Bordeaux IV où il donne ses cours, il croise une charmante jeune-femme, Clara. On apprend allusivement au cours du livre qu’il devient amoureux de la belle. Mais cela reste très à l’arrière fond et ce n’est qu’à la fin de l’ouvrage que les deux histoires -celle explicite de d’Emile Combes et de Jeanne, princesse carmélite et celle, implicite, de Mag Durand et de Clara Ponti- s’entrecroisent.

Quelques lecteurs-lectrices ont voulu en savoir plus. Voila donc, sans prétention autre que de se distraire, le premier des trois épisodes où sera racontée les manœuvres d’approche de Mag.

Pour les internautes parisiens : retenez la date du 22 mars à 19 heures: je présenterai le roman, en dialogue avec une journaliste.

(la scène ci après s'insère dans la page 59 du roman

 Bordeaux, 11-12 mars 2005.

Le ciel est clair, de façon exceptionnelle pour un mois de mars, mais avec un vent assez  glacial, ce qui est tout aussi anormal. Avant de donner son cours, Mag a fait la connaissance de la directrice du service des ressources humaines, personne avec laquelle il a correspondu pour mettre son dossier en règle. Il a reconnu la jeune femme en robe noire entrevue, dans la cour de l’université, quinze jours auparavant. Assurément une des plus jolies femmes que Mag ait jamais vues. Une femme au visage diaphane, d’un ovale parfait,  encadré par une masse brillante de  cheveux qui tombent en cascade sur son corps svelte aux tendres rondeurs. Elle procure un plaisir identique à l’admiration d’une  peinture de maître.

 Cette femme sourit, regarde Mag avec des yeux très intenses, dont les pupilles sont aussi mobiles que celles d’une danseuse balinaise. Ils échangent des propos administrativement convenus. Pourtant, à la façon dont elle lui parle, il lui semble qu’elle ne le considère pas forcément comme un professeur comme un autre. Aurait-elle lu un de ses ouvrages ? Mag aimerait discuter avec elle de sujets autres que les formulaires à lui remettre. Il peste en secret contre cette réification qui oblige à communiquer que sur du fonctionnel.

 Plus troublé qu’il ne le souhaiterait, Mag songe aux cheveux flamboyants, aux yeux lumineux, au nez finement découpé, à la bouche rouge cerise pendant qu’il explique aux étudiants comment la médicalisation de la naissance s’est traduite par une domination des médecins hommes dans un événement, auparavant, « affaire de femmes. » Progressivement, une idée fixe s’impose : il doit revoir la directrice des « RH ». Chaque minute rend cette idée plus obsessionnelle. Mag se dédouble car il possède un métier certain. Il répond avec brio aux questions ; en même temps, il se convainc de l’absolue nécessité de contempler à loisir le visage  rayonnant de cette femme, recevoir son sourire, lui parler.

A la fin du cours, il tente de se reprendre : comment peut-il se montrer aussi peu maître de ses émotions ? Mais lorsqu’un un satané collègue veut absolument le retenir, son envie impérieuse lui met les nerfs à fleurs de peau. Mag prétend devoir régler un problème technique, très urgent à résoudre ; manière de faire comprendre qu’il n’a guère le temps de s’attarder. L’autre ne veut pas en démordre ; ce qu’il baragouine  lui parait essentiel et, ajoute-t-il, vous devrez, de toute façon, régler votre problème par mel : à dix-huit heures dix, le bureau est probablement fermé. Ce propos rend Mag furieux. Un tantinet grossier, il coupe net son interlocuteur, affirme d’un ton sans réplique : « Excusez moi, il faut absolument que je lui parle. » Le gêneur, interloqué, est obligé de le laisser partir.

A la porte du service, Mag, étonné, sent son cœur battre à en avoir mal. Miracle, elle est là, vêtue  de sa jupe-culotte en blujeans et de son pull-over bleu. Elle est affairée, ravissante, unique. Ses cheveux sont toujours aussi magnifiques. Son pull-over, en apparence strict, accentue les rondeurs un peu lourdes de sa poitrine, la finesse de sa taille, la plénitude de ses hanches. Elle arrête net son travail et, courtoise, demande en souriant : « Ah, Monsieur Durand, que puis je faire pour vous ? »

Obsédé par la crainte de ne pas la revoir, Mag n’a prévu aucun faux semblant. Il voudrait répondre : « Rien, faites comme si je n’étais pas là. Je vais m’assoire, vous admirer, vivre un  instant de pur bonheur ». Impossible ! Indispensable, pourtant, de prononcer des mots. La fortune souriant aux audacieux, Mag se jette à l’eau : « Me feriez vous l’honneur de dîner avec moi. » S’il avait bénéficié de deux secondes pour réfléchir, jamais il n’aurait osé. Tant pis, il ne reste plus qu’à attendre la réponse qui va, sans nul doute, le rendre un peu ridicule.

La jeune femme le regarde par en dessous, fronçant ses beaux sourcils aux courbes délicates, l’air un brin sévère. Il se sent déjà stupide, avant même toute réponse. Il hausse légèrement les épaules, écarte ses deux mains, murmure : « Juste pour discuter ensemble. » Conscient de l’incongruité de sa proposition, il prend un air plutôt piteux. Cela la fait sourire. Elle répond, avec naturel et aisance : « Après tout, pourquoi pas, si vous me laissez un peu de temps pour me changer. »

La belle est donc rentrée, provisoirement, chez elle. Mag, aux anges, prépare, « scientifiquement » son rendez-vous : il ne faut surtout pas qu’il frime, qu’il joue au grand sociologue, au brillant chercheur. Le seul fait qu’il soit directeur  de l’Institut Français des Sciences Médicales (l’IFSM) l’impressionne déjà, peut-être. Son ex, Florence, lui a souvent dit : Tu  enfonces les gens quand tu fais étalage de ton savoir, certains se mettent à penser : « Je suis de la merde ». Cela étonne toujours Mag ; il ne prend absolument personne pour de la « merde », à part lui même, car il a peur d’en être. C’est justement pour cette raison que, depuis son adolescence boutonneuse et tourmentée, il s’est juré de faire tous les efforts dont il est capable pour devenir le plus intelligent possible. Mais il reconnaît que, s’il se laisse aller, il peut  rectifier les dires de ses interlocuteurs, donner l’apport de ce qu’il sait… se retrouver au centre de la conversation.

 Attention : elle n’a pas été invitée à applaudir au festival Mag Durand. Surtout pas. La meilleure stratégie consiste à s’intéresser à elle. Doucement, progressivement ; pas de façon indiscrète. Elle doit se rendre compte, après coup, qu’elle a été la reine de la soirée et en avoir une sensation fort agréable.

La voilà, un rien sophistiquée. Mag grimace intérieurement, il la désirait « nature », telle qu’à l’université, avec des vêtements si simples qu’ils mettent sa silhouette en valeur. Il s’attendait à revoir la même chevelure un peu décoiffée, qui lui va si bien. Il la trouve presque trop élégante, même si son foulard soyeux est magnifique. Allons, pense-t-il, je ne vais pas lui reprocher d’avoir sa propre stratégie ! Sans doute est-ce bon signe. Mille yeux admiratifs et envieux provenant de différentes tables le rassurent ; ils lui indiquent qu’elle est vraiment belle.

Mag s’habitue vite. L’élégance, ce n’est pas mal non plus. Et le sourire est si délicieux…On en mangerait. Il est facile de la faire parler de sa vie quotidienne ; en tout cas du quotidien de sa vie professionnelle. Mag connaît par cœur ce que certains enseignants-chercheurs font subir aux administratifs. Il peut donc facilement participer. Parfois, il la laisse parler. A d’autres moments, il anticipe ses dires, montrant sa compréhension, son empathie. Et, en riant d’eux, ils se vengent ensemble de la morgue d’insupportables professeurs « autistes et hautains », ils les tournent en ridicule. Leurs propos se complètent, se répondent l’un l’autre.

Les administratifs –les Iatos  en jargon…administratif- se plaignent souvent : « On nous prend pour des meubles ». Ils exagèrent bien sûr : a-t-on jamais demandé à un meuble d’essuyer 12 tableaux en même temps, parce que les intercours arrivent tous à la même heure ? A-t-on déjà remis à des meubles, à la dernière minute ou hors délais, des bouts de papiers informes (certes pas les formulaires fournis), avec des bribes de renseignements approximatifs, nécessitant de donner mille coups de téléphone pour obtenir les informations complémentaires indispensables ? Qu’un dossier correct arrive au Ministère à peu près dans les délais serait  davantage l’intérêt des professeurs que celui des administratifs. Mais voila, le professeur connaît la conscience professionnelle à toute épreuve de son interlocuteur qui n’enverra jamais un dossier incomplet. Il compte là-dessus…

… Et arrive, super pressé, à la dernière minute : cent vingt photocopies à faire pour son cours. Bourrage de papier. Machine en panne. Le jeune appariteur est désemparé. Alors, sans frapper, le prof se précipite, comme un ouragan, dans le bureau du premier administratif chevronné venu : « La photocopieuse ne marche pas. Pouvez-vous la remettre en marche ? » Le dit administratif, sommé d’intervenir dans la seconde qui suit, brûle d’envie de répondre : « Attendez, Monsieur-Madame l’enseignant, d’abord « bonjour ». Ensuite, comme vous le voyez, je suis en plein travail (variante : en train de téléphoner). Vos photocopies, je vous les apporterai cinq minutes après le début de votre cours. Trois cent secondes. Evidemment, c’est absolument dramatique. Cependant, on a peut-être connu pire comme catastrophe planétaire. »

La sublime jeune femme s’appelle Carla, est à moitié d’origine italienne. Alors je vous aurai ‘à ma botte’ prétend Mag, dans un mauvais jeu de mot qui la fait rire. Elle compte trente six printemps. Exactement le même âge que lui, à un quart de siècle prés. Et chaque éclat de rire diminue la différence. Enfin, Mag veut en avoir l’illusion ; il se montre très attentionné sans apparaître entreprenant. Nuance. Carla semble à l’aise. La bouteille de Bordeaux 1990, les bons petits plats l’étourdissent un peu. A la fin de la soirée, ses yeux brillent d’une petite lueur mystérieuse.

Venue avec sa voiture, elle raccompagne Mag à son hôtel. Au moment de la séparation, il questionne : « Vous ne vous êtes pas trop ennuyée ? » Elle répond, avec une certaine fougue : « Ce fut une soirée magnifique. Je ne vous aurais jamais imaginé ainsi. » « Vous m’imaginiez comment ? » Réponse spontanée : « Très savant -vous l’êtes-, très sérieux, plutôt imbu de vous-même. Or avec vous, on a l’impression de tout comprendre, on se sent intelligente. » Mag, ravi, propose un nouveau repas au restaurant lors de sa prochaine venu, deux semaines plus tard, obtient un « volontiers » qui l’enchante après toujours ce froncement de sourcil et un huitième de seconde d’hésitation.

A son hôtel, Mag si blasé, si maître de lui normalement, se sent entouré d’un nuage d’extase. Il  retombe en adolescence, songe à ses premiers amours. Bizarrement, une émotion presque analogue… La soirée a été « magnifique » pour lui aussi, il s’est bien gardé d’en faire état. Il faudra progresser avec prudence, pas trop vite. Avancer tout de même : la répétition est toujours décadence ; une affaire de dosage, il en fait son affaire. Il se sent le meilleur des stratèges, même si leur rencontre restera à un flirt intellectuel. Quand il ne devait pas rêver, Mag ne rêvait pas. La séduction intellectuelle est son donjuanisme à lui. Plaire à des gens intelligents, de tous âges, des deux sexes, sans discrimination. Enfin presque. Mag s’avère quand même adepte d’une discrimination positive envers les femmes jeunes et belles ; tellement de gens leur signifient : « sois belle et tais-toi » qu’il vaut la peine de leur faire prendre conscience qu’elle sont également fort intelligentes. D’autres raisons ? Non, aucune. Qu’alliez-vous imaginer ?

***

Le lendemain après-midi, Mag  retourne avec plaisir aux Archives.  (Là reprendre la page 59 du livre)

Les commentaires sont fermés.