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07/02/2006

LA CRISE DE L'UNIVERSEL REPUBLICAIN

Demain 16 février: une nouvelle Note:

Aprés le centenaire : Les nouveaux Impensés

Sur l'application de la loi de séparation

Et la semaine prochaine: deux Notes dont: un complément INEDIT de mon roman historique

Emile Combes et la princesse carmélite

Improbable amour (éditions de l'Aube).

(Ayant ‘changé ma batterie’ la semaine dernière en vous parlant de la liberté d'expression à propos de la condamnation de la France par la cour européenne et de l'affaire des carricatures (cf. la Note suivant celle-ci), je passe directement au début du nouveau feuilleton  d'histoire-fiction « La douceur totalitaire », d’autant plus que je me suis aperçu que ses deux premiers chapitres de cet écrit historique (de 2106) traitent en gros du sujet que j’avais prévu d’aborder)
La douceur totalitaire

Chapitre I

Le national-universalisme de la « République »
(Nous avons vu, dans la préface de cet ouvrage comment la mission S.AR.K.O (Sciences Avenir Ripoux Kollossale Organisation) avait permis à des tempornautes -dont votre très humble et très dévoué serviteur- d’explorer le temps et d’aller assister, en 2106, à la campagne électorale d’un ministre de l’intérieur. Nous avons vu aussi que le manuscrit d’une historienne (spécialiste de la laïcité), des chapitres prêts à être publiés, ou, ailleurs,  une sorte de brouillon composé de notes, plus ou moins rédigées, écrites juste après le bicentenaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, fêté en 2105. Ce manuscrit, intitulé « la douceur totalitaire », a été honteusement volé par le serviteur en question et ramené dans sa valise trans-temporelle. Je livrerai donc, chaque mois, aux internautes qui n’ont pas été du voyage, cette passionnante histoire fiction. Son premier chapitre me semble avoir un  démarrage parfois  un peu laborieux, mais donnant sans doute des indications nécessaires. Puis, tout à coup, des que l’on aborde « l’affaire des foulards », bizarrement,  la prose devient mordante ; alors là, cela mord même  très fort et les esprits sensibles feront bien de s’abstenir. Naturellement, je n’y suis absolument pour rien et dégage toute responsabilité dans de tels propos qui, je l’ai expliqué, proviennent d’une historienne  du futur.  Le tempornaute Jean Baubérot).
En ce temps ancien de 2006 la France était encore un Etat-nation et non une « belle province » des 32 provinces de l’Union européenne. Et, fait absolument incompréhensible aujourd’hui pour le non historien, beaucoup de Français considéraient encore leur pays,  ou plus exactement ce qu’ils appelaient « la République » (on va revenir sur ce que masquait une telle expression), comme le médiateur de l’universel. Ils opposaient volontiers un « universalisme français » à un « particularisme anglo-saxon ».

Ajoutons cependant que l’année 2005, sans qu’ils en aient eu forcément tous conscience, fut cruciale dans la mise en cause de cette idée, aujourd’hui considérée comme fort étrange. En effet, aussi bien l’échec de la tentative parlementaire d’imposer un enseignement « positif » sur la colonisation (la France apportant des valeurs universelles aux peuples qu’elle avait colonisés, ce qui justifiait les violences de la colonisation, vieille idée qui avait été de gauche… au XIXe siècle), qu’à la fin de l’année, les émeutes de « jeunes des banlieues », mettant en lumière les discriminations à l’embauche et pour l’obtention de logements, avaient changé la donne dans la durée.  La plupart des historiens, en effet, voient dans ces événements les prémisses de la crise profonde qui, dans les années 2020-2040, allait décider les citoyens français, par référendum, à une mutation très profonde grâce à (là, deux phrases ont été électroniquement brouillées)

Pourtant, certains qui voulaient  monopoliser pour eux-mêmes le terme de « républicain », adoptaient, à la fin du XXe siècle et au début du XXIe, un comportement analogue à celui des émigrés de la Révolution française : ils ne voulaient « rien apprendre » et « rien oublier ». Pour eux, la pensée s’était arrêtée avec Condorcet, grand philosophe du XVIIIe siècle et, bien sûr, totalement homme de son temps dans sa croyance linéaire au progrès.

On peut appréhender de façon globale l’évolution de la situation française par quelques rappels portant sur trois commémorations : le bicentenaire de la Révolution française en 1989, le centenaire de la séparation des Eglises et de l’Etat en 2005 et le tricentenaire de la Révolution française en 2089. Point n’est besoin de parler du bicentenaire de la séparation. Nous venons de le vivre et de l’analyser en même temps, selon le procédé I.O. « Imminent Objectivation » qui permet d’appréhender scientifiquement et en temps réel, grâce à la puce installée dans votre pouce gauche, ce que l’on peut  vivre avec passion par ailleurs. Dans ce chapitre premier, nous examinerons comment le tournant de 1989 fut une cause essentielle des impasses françaises des deux premières du XXIe siècle. Nous parlerons du tournant de 2005 et de la nouvelle situation de 2089 dans le chapitre 2.

Un sociologue de cette époque lointaine, Jean-Paul Willaime[1], avait analysé le bicentenaire de la Révolution française comme le temps du triomphe d’une « religion civile » catho-laïque. La « religion civile », cette notion provenant de Jean-Jacques Rousseau et revisitée par les sociologues surtout anglophones et germanophones, était un terme qui avait mauvaise presse en France. Très naïvement, les philosophes de cette contrée croyaient qu’il suffisait de ne pas l’utiliser ou d’écrire bien fort qu’ils étaient « contre toute religion civile » pour évacuer le problème.  

Pourtant l’analyse willaimienne s’est avérée juste et 1989  a symbolisé le début du rapprochement entre les dits républicains, qui se voulaient des laïques purs et durs et des catholiques, partisans de « l’héritage chrétien » de l’Europe dans la communion dans un France aux doubles racines républicaines et chrétiennes. On sait que les positions continuèrent de  se rapprocher : le 26 janvier 2006, lors d’une émission  sur France 2, le républicain, Max Gallo,  déclara au catholique vendéen Philippe de Villiers, qu’il poursuivait le « même objectif » que lui, avec des « moyens différents ».

De la Constitution de 1946, qui avait proclamé que la République française est laïque, à 1984, la laïcité s’était pratiquement réduite à la « querelle scolaire », à l’attribution de fonds publics aux écoles privées sous contrat. La loi Debré de 1959, qui donnait de très larges subventions à ces dernières était qualifiée de « pire que les lois de Vichy ». Mais en 1984 des manifestations monstres avaient eu lieu, quand le compromis élaboré pour remplacer le dualisme scolaire par un système pluraliste s’était trouvé gauchi par les amendements d’un certain André Laignel qui n’a pas laissé un souvenir impérissable d’intelligence et de subtilité. Ce fut un véritable séisme où l’idée même de laïcité risquait de sombrer. Des efforts menés par la Ligue de l’enseignement avaient cependant permis de remonter la pente. Jean-Paul Willaime analysait la relative mais réelle réconciliation entre laïcité et catholicisme comme « un œcuménisme des droits de l’homme » permettant une commémoration apaisée de 1789.

Mais, quelques mois plus tard, la situation changeait avec le début des affaires de foulards. Le refus de 3 collégiennes d’enlever leur voile en classe allait marquer le début d’un nouveau conflit, et une nouvelle fois la quasi-réduction de la laïcité à un seul problème, bien différent du précédent.

La réconciliation des « Français de souche » (encore une expression que l’on refusait d’utiliser et qui, pourtant, existait implicitement) induisait de nouvelles expressions comme « laïcité exception française » (jamais rencontrée avant 1990) ou « universalisme républicain ». Et quand il était question de « République », il ne s’agissait pas de la république italienne, encore moins de la république américaine. Non, il était sous entendu que l’on parlait de la seule, l’unique, la vraie République, avec trois R majuscules, les plus majuscules possible, la Française. La république américaine, plus ancienne et plus stable pourtant, était réduite au rang dédaigneux de « démocratie », avec 3 d minuscules, les plus minuscules qui soient.

« En République, chacun se définit comme citoyen (…) En démocratie, chacun se définit par sa communauté. (…) Une République n’a pas de maires noirs, de sénateurs jaunes, de ministres juifs ou de proviseurs athées. C’est une démocratie qui a des gouverneurs noirs, des maires blancs, des sénateurs mormons » écrivait fièrement Régis Debray[2] et, lors du centenaire de la loi de 1905, beaucoup faisaient du sous-Debray, éternisant, figeant de tels propos et faisant de l’opposition République/démocratie l’axe central de leur discours.

Pourtant, dès 1989, certains avaient signalé que le problème était peut-être plus complexe. Car, effectivement, Debray croyait dire qu’en France tous les citoyens étaient égaux qu’ils soient blancs ou noirs. Mais, maintenant, tous les historiens sont d’accord pour penser qu’à son insu, il avait décrit la situation réelle (et discriminatoire) de la république française de la fin du XXe siècle : celle-ci n’avait pas, dans sa métropole (sauf rares exceptions), sur ces 36000 maires, de maire noir, ou ‘ basané’, non plus que de sénateurs jaunes d’ailleurs.
En revanche, comme personne n’est incolore, la république française surabondait  de sénateurs, de députés et de maires « blancs », au moment même où la couleur de la peau de ses habitants apparaissait de plus en plus diversifiée.

Le refus de prendre en compte les caractéristiques concrètes des Français aboutissait donc allégrement à privilégier certains Français au détriment d’autres. Très beaux sur un plan théorique, les propos tenus  cautionnaient implicitement une discrimination pratique Mieux ils la rendaient invisible en lui donnant la justification de son contraire, l’égalité. Les victimes étaient réduites au silence, silence qui n’avait pas le droit de s’expliciter, sous peine de faire de l’horrible « communautarisme anglo-saxon », ce qui disqualifiait immédiatement son auteur.

 Pascal avait pourtant déjà écrit en son temps : « qui veut faire l’ange fait la bête ». Mais certains Français se prenaient pour les ‘archanges’ de la laïcité.

Donc, au nom de la République, non seulement on discriminait, mais on interdisait aux discriminés de se considérer comme des victimes et de se révolter : en effet, ils se révolteraient alors comme « noirs », comme « beurs », etc, subissant les discriminations des « blancs ». Or ils n’en avaient nullement le droit puisqu’en « République » il ne doit y avoir ni noirs, ni beurs, ni blanc. « La République, ce n’est pas la démocratie » claironnait-on fièrement. Effectivement, cette vision de la République n’était en rien démocratique.

Par un grossier tour de passe-passe qui, fait étrange pour nous maintenant, n’était pas perçu, on ne parlait pas, en France, jusqu’au début du XXIe siècle, des discriminations réelles sans être considéré comme un complice du « communautarisme » ; de façon dominante on n’employait le terme de discrimination que dans l’expression de « discrimination positive ».

Ainsi on avait traduit, en en faussant le sens, le terme d’ « affirmative action ». L’affirmative action en Amérique signifiait la réponse politique donnée à des discriminations  institutionnalisées contre lesquelles s’étaient élevées un Martin Luther King. En France on croyait qu’il n’existait pas de discriminations institutionnalisées, et on en déduisait qu’il n’existait pas de discrimination. Et donc dès qu’arrivait une personne non totalement blanche à un poste de direction, et surtout à un poste de responsabilité politique, le soupson existait que l’on faisait alors de la discrimination, de la « discrimination positive ».

Souvent, l’idée même qu’il pourrait y avoir quelqu’un de non totalement blanc, ou d’une origine autre que judéo-chrétienne à un tel poste suffisait à agiter l’épouvantail de la discrimination positive.
Pourquoi écrire qu’en France on « croyait » qu’il n’existait pas de discrimination institutionnalisée ? Certes la France, laïcité merci (Dieu merci avait d’abord été écrit puis supprimé), n’a jamais instauré une discrimination de l’espace comme le Sud est Etats-Unis avec les places réservées aux « blancs » et les places réservées aux « noirs » dans les autobus. Mais  la fameuse « République », des décennies durant, avait allègrement qualifiée (en toute laïcité !) certains de ses membres de « Français musulmans ». Les « Français musulmans » étaient des « sujets », les Français tout court étaient, eux, « citoyens ». Un historien de l’époque (Jacques Le Goff) l’avait noté, une « ignorance volontaire de l’histoire » chez les dits « républicains ».  « L’histoire n’est pas notre guide » affirmaient-ils en bombant le torse, cela permettait de n’en tenir aucun compte et d’opposer une République française idéale à des démocraties anglo-saxonnes réelles.

Encore qu’il s’agissait plus, dans ce dernier cas, de diabolisation que de réalité, car l’impudeur historique dont témoignaient nos réééépublicains  autorisait toute les amnésies possibles, notamment l’oubli que la notion d’individu était née dans un terreau anglo-saxon et que ces derniers pays possédaient une solide culture politique de l’individu, nettement plus forte qu’en France où l’Etat avait précédé la nation et où cette dernière était souvent conçue de façon organique. Cette culture de l’individu équilibrait, beaucoup plus qu’on ne se l’imaginait très naïvement dans la France du tournant du XXe et du XXIe siècle, le poids attribué aux communautés.

En fait il n’y avait théoriquement en République ni blancs, ni noirs, ni jaunes, comme, selon l’apôtre Paul (Epître aux Galates 3/27-28), « en Christ, il n’y a plus ni Juif, ni Grec, il n’y a plus ni esclave, ni homme libre, il n’y plus ni homme, ni femme ». Comme l’Eglise, la République s’est voulu  être les prémices du Royaume de Dieu. Mais, dans les deux cas, cela n’a pas marché et, à la fin du XXe siècle, la république française a reconnu qu’elle n’avait pas réussi à faire qu’il n’y ait « ni homme, ni femme », ou plutôt que le fait qu’on prétendait qu’il n’y ait ni homme ni femme aboutissait à une domination des hommes sur les femmes sans équivalent dans les autres démocraties (car, n’en déplaise à nos républicains, depuis la constitution de 1946 la France était officiellement une république… démocratique).

Ainsi au Sénat, il y avait en 1999, 6% de femmes, à l’Assemblée Nationale 10%. Les maires des 36000 communes françaises étaient des hommes à 92%. L’échec des propos faisant de la République un modèle face à la démocratie était patent. La France étant alors un pays excessif, le pays du tout ou rien, on vota cette année là dans la Constitution l’obligation du principe de parité et l’année suivante on le fixa par la loi.

Des Américains rirent beaucoup et dirent à qui voulurent les entendre (mais bien peu le voulurent en France !) que jamais ils auraient eu l’idée d’aller aussi loin dans une politique de quota.  Mais la France prétendait ne pas faire de politique de quota et, dans ce pays bizarre, on croyait qu’il suffisait de prétendre quelque chose pour que ce soit vrai. Une loi temporaire était peut-être nécessaire, argumentaient ces Américains, mais figer cela dans la Constitution, voila qui éternise un problème peut-être conjoncturel.

En fait, cela ne résolvait même pas le problème, les principaux partis préférant payer une amende que d’appliquer les dispositions de la loi.

Et les noirs, blancs, jaunes, rouges, verts ? Là rien. Pourquoi ? Parce que les statistiques pouvaient être faites quant aux pourcentages d’hommes et de femmes mais, au nom de l’antiracisme, il était strictement interdit de prendre en compte les « origines ethniques ». Par ce merveilleux procédé, la discrimination resta longtemps invisible.

La terminologie ancienne d’ « intégration » était employée, alors que la plupart des personnes subissant les discriminations étaient nées en France. Et parler d’intégration connotait davantage les devoirs que les droits. On refusait le terme de « minorité » comme connotant le « communautarisme ». « Il n’existe pas de minorité en France » prétendait-on avec superbe. Mais les dits minoritaires savaient bien que ce n’était pas vrai. Et, une nouvelle fois, on les privait du droit de pouvoir le dire.

Enfin, 1989 fut aussi l’année de la chute du mur de Berlin. Les espoirs mis dans le Communisme avaient été particulièrement forts en France. A la différence des pays anglo-saxons, il y avait eu un transfert de religieux dans un communisme longtemps stalinien et qui avait du se désenchanter rapidement. En 1989, des ex-communistes se trouvaient en mal de religiosité séculière. Privés de leurs rêves de lendemains qui chantent, ces dévots réinvestirent leur goût de l’absolu, leur religiosité dogmatique, leurs désirs communionnels dans une république idéalisée et une laïcité identitaire qui s’imprégnait de religion civile.

La semaine prochaine : le début d’un nouveau feuilleton : L’application de la séparation de 1905.



[1] J.-P. Willaime, « La religion civile à la française et ses métamorphoses », Social Compass,  40/4, dec. 19993, 571-580.
[2] Le Nouvel Observateur, 30/11/1989.

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