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04/01/2006

QUELLE APPROCHE DE LA LAÏCITE ?

BILAN DU BLOG EN 2005, L’APPROCHE DE LA LAÏCITE QUI Y EST DEFENDUE, LA «MAUVAISE » ANNEE 2005, LES PROJETS DU BLOG POUR 2006.

1) Bilan du Blog en 2005 :

Ce Blog a été créé à la fin de 2004 dans l’optique de la célébration du centenaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. Il ne devait pas forcément continuer ensuite. Il s’agissait, pour moi, d’utiliser les nouveaux moyens de communication offerts par internet  pour pouvoir exposer de façon plus souple et plus directe que par les médias (et de façon complémentaire) quelques idées sur la laïcité. Cela de façon double : vulgariser un savoir et prendre part à un débat.

Il s’agissait aussi d’une aventure  et certains m’avaient mis en garde : les blogs étaient un moyen pour des ados d’exposer leurs état d’âme qui ne convenait guère à un professeur ni sur le plan de l’efficacité ni sur le plan de (disons) la dignité  de la fonction professorale(ce second point n’était pas forcément dit explicitement, mais transpirait des propos tenus).

Je n’ai jamais pensé que la fonction professorale nécessite une relation verticale ; par contre pour l’efficacité je me disais : on verra bien. J’ai eu la réponse. Après le démarrage de fin décembre (24 visites), le Blog a tout de suite rencontré un certain impact puis qu’en janvier 2005 il dépassait déjà les mille visites. Au total il y a eu 3675 visites pour le premier trimestre ; 7973 pour le second, 9661 (malgré les vacances) pour le troisième… et 17372 pour le dernier trimestre, chaque mois établissant un nouveau record de visites : 4974 en octobre, 5143 en novembre.
Décembre était le mois de vérité : la date anniversaire étant le 9 décembre,  une baisse pouvait intervenir ensuite. Il n’en a rien été et le record a été pulvérisé avec 7255 visites. Soit un total de 38681 visites pour l’année. Même si cela signifie que l’élan du centenaire continue (pour ma part, j’ai encore beaucoup d’interventions en janvier), c’est un signe très encourageant, une obligation à continuer ce Blog au-delà de l’année du centenaire, puisque visiblement il intéresse et qu’il touche un public d’internautes à la fois large et régulier : 2697 visiteurs pour les 5143 visites de novembre et 4354 visiteurs pour les 7255 visites de décembre. On peut donc tabler sur une moyenne d’environ 2 visites par mois pour chaque ami(e) du Blog. Ces visites sont  approfondies : les pages du Blog sont longues, or environ 12000 pages ont été lues chaque mois de septembre à novembre et 23783 pages en décembre.

Les statistiques ne sont pas tout ; d’autant plus que je m’attends quand même à une certaine retombée et à un rythme de croisière en 2006. Deux autres raisons me poussent à continuer ce Blog.

D’abord, il semble, avec les « Impensés du Centenaire », avoir trouvé un langage pas trop universitaire, un peu ludique et cependant sérieux au niveau de ce qui est transmis, un langage qui convient bien à l’instrument qu’est le Blog, mais aussi à ma manière d’être. Et je vous préviens : en 2006, j’ai envie de m’amuser tout en vous prenant très au sérieux.

Ensuite, et surtout, je trouve que 2005, de façon dominante, n’a pas été une bonne année pour la France et une année pas terrible non plus au niveau du monde. Je vais y revenir à la fin de cette Note. Or ce Blog constitue un engagement citoyen. Il veut, à son niveau, contribuer à un débat démocratique qui a un besoin urgent que mille fleurs s’épanouissent.

2) Quelle approche de la laïcité ?

Le Blog défend une certaine approche de la laïcité, celle qui veut commencer par une démarche (objectivante) de connaissance AVANT d’en arriver à l’engagement citoyen.

Dans une perspective de connaissance, on peut définir sommairement la laïcité comme un ensemble de pratiques sociales référées à certains principes.

Je tiens à commencer par cette perspective de connaissance (les pères fondateurs de la laïcité ne se réclamaient-ils pas de la science et de la raison ?). Et c’est là que prend sens le sous titre du Blog. Je m’en suis déjà expliqué mais, périodiquement, un nouvel internaute me questionne à ce sujet, trouve ce sous-titre insupportable, prétentieux, tout ce que vous voulez. J’ai, bien sûr, un ego très surdimensionné. Au-delà de ce vilain défaut, le sous-titre du Blog veut tout de suite annoncer la couleur : une chaire (en Sorbonne) ; bigre de bigre : les internautes  sont prévenus ; ils vont trouver avant tout, dans ce Blog,  la vulgarisation d'une démarche de connaissance pour parler de la laïcité. Quant au fameux « la seule chaire » qui fait tiquer certains : c’est d’abord un constat : il n’existe qu’une chaire et qu’une maîtrise de conférences (à ma connaissance) spécialisée dans la laïcité en France, je ne demanderais pas mieux qu’il y en ai 10, 20, plus. C’est aussi, bien sûr, une pierre lancée dans le jardin de ceux qui parlent (notamment) de l’histoire de la laïcité sans avoir jamais passé une journée aux archives et lu des documents de première main.

Rassurez vous, cela ne prétend à aucun monopole interprétatif. J’aime trop le débat pour cela. Mais il se trouve que l’année 2005 a montré l’importance citoyenne de la revendication de cette démarche de connaissance avec la loi de février dictant aux historiens comment ils doivent enseigner la colonisation. Cette loi n’arrive pas ex-nihilo : elle est le summum d’un nouvel obscurantismeles jugements moraux (quels qu’ils soient, ils sont mauvais en plus dans ce cas précis, mais même quand ils sont bons, ce n’est pas mieux au niveau de la démarche elle-même) prétendent suppléer à la connaissance : or c’est précisément cela le moralisme. Nous y reviendrons bientôt.

Pour le moment, précisons un peu la définition donnée de la laïcité, elle comporte deux éléments en interaction étroite : des pratiques sociales et un référentiel symbolique. Nier l’importance du « référentiel symbolique » (= la référence à certains principes) serait faire du marxisme primaire (cela ne se pratique plus beaucoup explicitement mais il peut y avoir des restes…) mais nier ou minimiser les pratiques sociales, ce qui est dominant aujourd’hui, y compris chez d’anciens marxistes, signifie avoir une approche essentialiste, et souvent finalement parareligieuse.

Cette dernière approche se marque par le fait qu’à chaque examen critique de pratiques sociales laïques, on vous répond : « mais ce n’est pas cela la laïcité » ou « mais ce n’est pas la vraie laïcité ». Et, alors, on oppose une laïcité idéale, fonctionnant dans le pur ciel des idées, aux religions réelles, et/ou à d’autres réalités sociales. Cela s’est beaucoup pratiqué quand on opposait un communisme idéal au capitalisme réel ou une démocratie idéal au communisme réel. On truque le jeu de manière à être à tous les coups gagnant. On est dans le premier degré, tout comme les fondamentalismes que l’on prétend combattre.

Comment repérer les personnes qui, souvent à leur insu, se trouvent englués dans cette approche essentialiste ? A leur manière de parler de la laïcité et notamment, à la façon dont ils répètent, ce stéréotype qui traîne dans toutes les poubelles : on n’a pas le droit (sous peine d’être un traître à la laïcité) d’ajouter un adjectif au mot laïcité.

Mais non, espèces de gros bêtas, mettre tous les adjectifs que l’on veut n’est en rien attenter à l’honneur de la laïcité : la laïcité n’est pas un sacré  (elle "n'est pas un nouvel Evanglie", selon l'expression de de Jules Ferry) que l’on profanerait en lui ajoutant un adjectif. Et ce que l’on indique ainsi, ce sont des pratiques sociales de la laïcité. Ainsi, une pratique de la laïcité peut être plus ou moins « ouverte », pour prendre l’adjectif qui fait le plus débat, mais cela ne signifie pas non plus que plus elle est « ouverte » mieux elle serait. Car à force d’être trop ouverte, elle peut perdre toute consistance dans ses références propres. Et, surtout, ouverte à quoi ? L’adjectif est à préciser[1]. Bref, comme vous le constatez, on entre là dans une argumentation qui va tenter d’être rationnelle et l’on quitte le régime de l’excommunication pour cause de blasphème.

Pour ma part, je préfère examiner les pratiques sociales de la laïcité par les termes de « laïcité inclusive » ou de « laïcité exclusive ». Il s’agit de ce que les sociologues appellent des « idéaux types » (= des sortes de portraits robots) et les pratiques sociales sont plus ou moins inclusives ou exclusives. Car toujours, dans une situation donnée, différentes conceptions de la laïcité s’affrontent ; telle ou telle référence est privilégiée.

La laïcité est toujours l’enjeu d’un débat social. C’est dans le cadre de ce débat, et pour délégitimer ceux qui ne pensent pas exactement comme eux, que certains refusent tout adjectif accolé à "laïcité" tout en ne se privant pas, eux (les petits coquins !), d’en utiliser allègrement un, puisqu’ils parlent tout le temps de « laïcité républicaine » (ce qu’Hervé Hasquin et de nombreux laïques belge dénoncent comme une captation française de la laïcité). D’autres répliquent alors, par un autre stéréotype, ramassé dans une autre poubelle, la laïcité disent-t-ils « a aussi ses intégristes ». Et quand vous êtes traité d’ « intégriste de la laïcité », votre parole est également délégitimée, sans que l’on examine vraiment votre argumentation

Ne soyons donc pas dans le premier degré, et commençons par une analyse froide (même si, le Blog n’étant pas un cour en Sorbonne, je la colorie un peu).

Donc diverses pratiques sociales laïques. En quoi sont-elles laïques ? On pourrait dire (en première réponse) : parce qu’elles se réclament de la laïcité. Et ce n’est pas faux. Mais il faut aller plus loin et déconstruire cette référence laïque. Car nous trouvons de la permanence et de la variation. Il me semble (mais c’est une hypothèse de travail) que l’on trouve trois éléments relativement permanents, ou plutôt (car on ne s’y réfère pas de la même façon suivant les période, les pays, les situations,…) relativement récurrents et déjà présents dans le premier exposé systématique sur la laïcité, celui de Ferdinand Buisson[2] :

-         la non domination de la religion sur l’Etat, les institutions et la société civile
-         la liberté de conscience, de culte, de religion et de conviction non religieuse

-         l’égalité entre les différentes religions et les religions et les convictions.

Mais on peut ne pas se référer à la totalité de ces 3 paramètres (ainsi Maurice Allard était, affirmait-il en 1905, beaucoup favorable à la liberté de conscience qu’à la liberté de religion et c’est encore le cas aujourd’hui de certains ; d’autres sont fort peu sensible, au contraire, à l’égalité des convictions non-religieuses et des religions) ; d’autre part il existe  d’autres paramètres qui sont invoqués, mais de façon moins générale, moins récurrente (ainsi on parlera moins, aujourd’hui, de la science qu’il y a un siècle. Par contre on invoquera beaucoup plus l’égalité homme-femme et l’élargissement du troisième paramètre à la lutte contre toutes les discriminations).

Cette déconstruction de la référence à la laïcité en trois éléments, permet de ne pas se borner à reproduire le discours des acteurs sociaux. Des pratiques sociales peuvent relever de la laïcité sans utiliser le terme ; des pratiques sociales peuvent se réclamer de la laïcité et relever, pour l’historien et le sociologue, aussi d’autres notions : la sécularisation, le régalisme, la religion civile, etc[3]

Vola pour la démarche de connaissance. On pourrait en rester là, étudier la laïcité uniquement dans le cadre d’une démarche de connaissance. C’est ce qu’on appelle la « recherche fondamentale ». Mais dans les sciences dures comme dans les sciences biologiques ou environnementales, il y a aussi la « recherche appliquée », la transformation du savoir en un objet social. Et là, le chercheur devient lui-même un praticien social.

Dès que l’on accepte d’être interviewé par les médias et de répondre à leurs questions, le plus souvent "engagées", de jouer un rôle d’expert, etc on est, plus ou moins, dans un court-circuit entre sa compétence propre et sa pratique sociale, ses choix d’individus et de citoyen.

Certes, il y a un lien entre les deux dans la mesure où l’on tente d’utiliser sa compétence pour effectuer les meilleurs choix possibles, mais il y a toujours des critères autres que la connaissance qui entrent en jeu. Et, comme citoyen, on n’examine pas seulement les différentes représentations possibles de la laïcité, on privilégie l’une d’entre elles, que l’on pense être la meilleure. Mais si on n’oublie pas ce que l’on a appris par la démarche de connaissance, on saura :

1)      que l’on est là dans la pratique sociale engagée, acteur au milieu d’autres acteurs,

2)      que sa vision est une vision en situation, opérée dans un certain contexte

3)      qu’il faut donc, périodiquement, passer sa conception des choses au crible de la démarche de connaissance

Et, comme l’indiquait Max Weber, la démarche de connaissance implique d’affronter les « faits désagréables », de ne pas sélectionner ou privilégier uniquement ceux que l’on peut interpréter dans un sens qui conforte sa propre opinion.

Le débat, les objections, les critiques, les points de vue autres sont très féconds pour ne pas s’enfermer dans le dogmatisme de ses idées propres.

4)      que ses choix relèvent aussi d’une stratégie : ainsi je suis partisans d’une « laïcité inclusive » parce que je pense, non seulement qu’ainsi elle est plus tolérante, mais aussi (et peut-être surtout) qu’ainsi elle est plus intelligente, elle a de meilleures chances d’être hégémonique et dynamique, créative. C’est ce que racontait déjà La Fontaine dans le chêne et le roseau. Celles et ceux qui défendent une laïcité – chêne multiplieront les imprécations contre les « adversaires » de la laïcité, en élargissant le cercle des adversaires à tous celles et ceux qui ne comprennent pas la laïcité comme eux, et qui, ainsi, la mettraient en danger. Je pense qu’ils contribuent à mettre la laïcité en danger avec leur laïcité bloc, peu résistante aux intempéries, leur laïcité pas assez subtile, pas assez intelligente.

Je sais bien, on  va (encore) me trouver très présomptueux de critiquer l’inintelligence, car ce serait se mettre du côté des intelligents. Je répondrais

1)      que le combat pour tenter d’être intelligent est un combat de tout instant, jamais gagné et dont la condition sine quoi non est justement de ne pas se croire intelligent une fois pour toutes.

2)      Que ce combat est nécessaire et que c’est un piège de la société marchande de le disqualifier :  la consommation de masse, l’extension à la culture et à l’éducation de la marchandisation et de sa logique massificatrice implique d’avoir une société d’individus d’intelligence très moyenne (et qui ont renoncé aux efforts à faire pour devenir plus intelligents).

3)      Que le summum de la duperie est ce que j’appelle le moralisme : des jugements moraux sommaires, péremptoires et qui ne seront pas passés par la prise de distance avec le premier degré, les « témoignages » pris pour argent comptant et non mis en perspective, les soi-disant « bonnes » émissions de télévision gobées tout crues, etc, etc. De plus en plus ce moralisme tente de disqualifier celles et ceux qui cherchent à ne pas être dans le premier degré.

Bon ce n’est pas tout cela : vous êtes bien sympas mais j’ai des chapitres de thèse à lire et à critiquer, des cours à préparer, des tonnes de lettres et de mels en retard, des recherches sur le feu. Bref, j’ai « fait plus long » que je ne pensais au départ. Donc, la suite la semaine prochaine…


[1] Ceci dit, le terme de « laïcité ouverte » est socialement bien accueilli quand les gens ont l’impression que les militants laïques ont une pratique sociale plus ou moins « fermée », « sectaire », etc. Bref certains prétendent que la laïcité est ignoblement attaquée, tout simplement parce que EUX sont mis en question, leur virulence s’explique en bonne part ainsi.
[2] Je renvoie là à mon sublimissime ouvrage Laïcité 1905-2005, entre passion et raison (Le Seuil 2004) qui vous en dira beaucoup plus : non mais, vous n’allez pas tout savoir sans rien payer, quand même !

[3] Là encore, c’est expliqué en long, en large, en travers, dans le sublimissime ouvrage cité note 2 : décidément, qu’attendez-vous pour le (re)lire…quitte après, pour vous détendre, de (re)lire, mon roman  Emile Combes et la princesse carmélite, improbable amour, la plus belle des histoires de princesse aux éditions de l’Aube.

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