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13/10/2008

DES FILLES VOILEES PARLENT (SUITE)

J’ai eu des problèmes récurrents de wifi et d’accès à internet toute la semaine dernière et j’ai profité de l’amabilité d’une collègue d’hôtel pour envoyer la première partie de la Note sur l’ouvrage Les filles voilées parlent, publié par les éditions La Fabrique (64, rue Rébeval, 75019 Paris, Diffusion : Harmonia Mundi).

Je vous livre donc la suite de cette Note (cf. Note du 6/10/2008, que vous pouvez trouver ci après, si vous ne l’avez pas lue ou si vous voulez vous la remettre rapido en mémoire)

L'ouvrage comporte, pour l’essentiel, 44 témoignage recueillis par Malika Latrèche, Ismahane Chouder, qui est un(e) des piliers de l’association « Islam et laïcité », et Pierre Tevanian, déjà auteur d’un excellent petit livre : Le voile médiatique (éd : Raison d’Agir).  Leur entreprise a été soutenue par l’association Une école pour tous/toutes et par le Collectif des féministes pour l’égalité.

Témoignages, ai-je écrit, et donc ressenti de ces jeunes filles et jeunes femmes. Pour la plupart elles ont été soit démissionnaires ou expulsées de l’école publique pour cause de port de foulard, soit obligées d’enlever leur foulard contre leur gré pour pouvoir continuer leur scolarité (parfois à la demande pressante de leurs parents).

La diversité des situations rapportées est d’ailleurs une des richesses de ce livre, qui en compte plusieurs. Et l'amertume des jeunes filles qui ont enlevé leur foulard à l'école, celles que l'institution scolaire croit avoir gagné à sa "cause", apparait en fait la plus forte.

 

Témoignage ne signifie naturellement pas enquête sociologique, les auteurs le savent, mais leur but est de rompre l’omerta, la loi du silence qui fait croire que tout se trouve réglé. La télé qui est si friante de "témoignages" (au point, d'ailleurs, d'intituler souvent "témoignage" des propos qui sont des points de vue ou des analyses) ne leur a surtout pas demander de "témoigner". Pourtant le rapport de la Commission Stasi va bientôt avoir 5 ans. Ce serait l'occasion, non?

Par ailleurs, je peux personnellement ajouter que ce qu’elles décrivent correspond factuellement à des témoignages que j’ai eu d’autres acteurs, des enseignants, même si les points de vue peuvent être différents.

De plus j’ai retrouvé des éléments d’une expérience analogue (l’analogie étant la ressemblance et la différence) que j’ai moi-même vécu durant ma propre scolarité, dont je conserve une blessure jamais complètement refermée.

Enfin, ce qui s’est passé à la rentrée 2004 ne fut que le dernier acte d’une gestion calamiteuse par l’éducation nationale de la « question du foulard ». D’ailleurs, il existait un consensus, à la Commission Stasi, pour estimer que, dans cette affaire, l’éducation nationale, comme institution, comme administration, s’était montrée particulièrement incapable. Il y a même des membres de cette Commission qui ont voté la loi car, disaient-ils, l’éducation nationale est « incapable de se dépatouiller » du problème.

 

La proximité factuelle du témoignage des filles et de ceux de certains profs se manifeste notamment sur un sujet précis. A la suite de la réticence d’une des membres de la Commission Stasi à voter la proposition de loi contre les signes ostensibles, il a été rajouté au rapport de la Commission la nécessité, avant toute exclusion, d’une phase de dialogue entre le corps professoral et la direction des lycées/colèges concernés d’une part, et les jeunes filles de l’autre.

Selon ce que m’ont dit des profs concernés, et ce que montrent encore plus les témoignages recueillis, c’est que cette mesure, dictée par la bonne intention de ne pas exclure brutalement, du jour au lendemain, s'est avérée très largement contreproductive. Ce fut un peu l’enfer pavé de bonnes intentions.

Pourquoi? Parce que, pour que le dialogue s’établisse il faut qu’il y ait autorité, mais pas pouvoir, c'est-à-dire pas d’acte de répression comme objectif. La situation scolaire n'est guère, de toute façon, une situation de dialogue. Et le dit « dialogue », sauf exception, s’est résumé à la mise à l’écart des filles aux sein de l’établissement scolaire, parquées dans une salle spéciale, stigmatisées comme n’étant pas « normales », conformes à la norme scolaire et sociale.

A travers les témoignages, on s’aperçoit que ces semaines ont été les plus dures, les plus éprouvantes de ce qu’on vécu les jeunes filles. Leurs souvenirs, à ce sujet, sont particulièrement amers. Il faut les lire.

 

Mais des témoignages de profs montrent qu’eux aussi ont mal vécu ces interminables semaines. Certains se trouvaient fort mal à l’aise. Ils n’étaient pas toujours convaincus du bon droit de ce qu’ils exigeaient. Ils se justifiaient, à leurs propres yeux, en se disant qu’ils faisaient cela dans « l’intérêt des jeunes filles », pour qu’elles puissent continuer leur scolarité.

Plus d’un s’est montré cassant, a tenté de contraindre (psychologiquement), faute de pouvoir convaincre, en se disant qu’il fallait « sauver ces élèves malgré elles ». Mais bien sûr, et de nombreux récits du livre le montrent, ils ont été ressentis, ils ne pouvaient être ressentis que comme hostiles, répressifs, porteurs d’une normalité qui exclue.

 

Certes, il existait des profs ou proviseurs militants antifoulards qui ont réprimé, voir provoqué ou même injurié sans état d’âme. Il s’est produit, comme l’indique une des élèves « une alliance un peu contre nature des « laïcards », des féministes et des fachos »

D’autres ont su faire passer quelque chose, pour montrer aux filles qu’ils n’étaient pas leurs ennemis (l’une d’entre elles rapporte qu’une proviseure qu’elle a pensé alors être « contre » elle; maintenant, ajoute-t-elle, « avec le recul, je la comprends et je la remercie »). Certains ont même fait ce qu’ils pouvaient pour soutenir les jeunes filles. La majorité ne savait pas trop comment appliquer la loi, ni gérer ces fameuses semaines de pseudo dialogue.

Un des aspects les plus calamiteux de ces semaines a été, cela est manifeste quand on lit les divers récits comme quand on écoute certains profs, une idéologisation du conflit. Au lieu de dire, il y a une loi, en tant que citoyennes ou bientôt citoyennes, vous avez le droit de la trouver injuste et de lutter pour son abolition, mais tant quelle existe, vous et moi devons l’appliquer, le dialogue a consisté, le plus souvent, dans un discours très idéologique. Ce discours figeait les positions, les oppositions.

Est revenu comme un mauvais refrain, le reproche (ressenti comme une injure par les jeunes filles) d’être des femmes soumises.

 

Deux paradoxes dans cette accusation.

Le premier paradoxe est qu’on leur demandait, précisément,… de se soumettre. Pour démontrer qu’elles n’étaient pas des femmes soumises, il fallait…qu’elles se soumettent à quelque chose qu’elles considéraient comme injuste.

Le second est que le vieux thème de la femme soumise à l’emprise cléricale n’a rien de féministe. C’est au contraire, depuis des lunes, un thème récurrent de l’antiféminisme laïque, ou plus exactement de l’antiféminisme qui se dit laïque pour masquer sa bêtise.

On le trouve déjà au XIXe siècle. Il a continué au cours du XXe.  Il a été le ‘meilleur’ ( !) prétexte pour ne pas donner le droit de vote aux femmes. C’est à cause de ce stéréotype que les femmes, en France, ont voté un siècle après les hommes.

Dans les autres pays démocratiques, la différence est d’un quart ou d’un tiers de siècle. Autrement dit, on trouve une marche en avant où l'on passe d’un vote censitaire à un vote masculin, puis au suffrage universel. En France, on a un blocage sur le vote masculin, qualifié (significativement) de ‘suffrage universel’, alors que les femmes ne votent pas de 1848 à 1944-45.

Cette exclusion des femmes est justifiée alors au nom du stéréotype (qui se veut laïque) de la femme soumise.

Que certaines femmes, encore aujourd'hui, aient fortement intériorisé le dit stéréotype ne change rien à l’affaire. Quand on fait l’histoire des stéréotypes, on est frappé de leur puissance, de leur permanence, de leur possibilité de resurgir.

Et l’on constate qu’une nouvelle fois cela fonctionne à merveille, justifiant de nouveau l’exclusion.

 

Les auteurs montrent, à partir d'exemples précis que "pour une fille exclue ou démissionnaire, il faut ajouter au moins deux "exclusions invisibles" par abandon avant la rentrée" (p. 109). Les témoignages des jeunes filles qui ont été désocialisées et déscolarisées et ont tenté de continuer par l'enseignement à distance (comme si elle étaient obligé"es par une maladie de rester chez elles), ou même ont renoncé, sont particulièrement significatifs.

 

Un autre enseignement important ressort des témoignages : c’est l’interdiction du bandana qui a été surtout ressenti comme une injustice profonde. Surtout que des filles portaient le bandana sans s’appeler Leila, Sabrina, Habiba ou Khadija. L’interdiction du bandana pour les jeunes filles musulmanes a été ressentie comme une discrimination ethnico-religieuse.

Cela donne parfois lieu à des scènes cocasses, et révélatrices : une prof qui demande à une jeune fille de mettre son floulard façon bandana, en précisant qu'il ne doit être ni blanc, ni noir, ne pas faire "oriental" (sic), mais être bleu, latino-américain.

J’avais prévu cela et, à la Commission Stasi, j’avais fait deux propositions. La première consistait à mettre en loi, à solenniser l’avis du Conseil d’Etat, faisant la distinction entre foulard discret et foulard ostentatoire.

La seconde proposition était un compromis, interdisant les « tenues religieuses » mais pas les signes ; le bandana ne pouvait être considéré comme une tenue religieuse.

A mon sens, cette seconde proposition avait ses chances. En tout cas le résultat aurait été serré. Le staff refusa de la mettre aux voix et, comme des petits garçons soumis et des petites filles soumises, les membres de la Commission ne réclamèrent pas qu’elle fut mise au vote. Mais le film de la séance a du en garder la mémoire.

Stricto sensu, la loi et la circulaire auraient pu amener tolérer le bandana. Mais à partir du moment où la distinction n’avait pas été explicitement faite, les consignes étaient de ne pas l’admettre.

Il semble que maintenant il soit toléré dans plusieurs écoles, pas dans toutes. Le fameux « cas par cas » que les partisans de la loi récusaient fonctionne donc. Mais de manière arbitraire. De toute façon, on ne peut empêcher du cas par cas. Ne serait-ce que parce qu’il des personnes qui savent faire preuve d’intelligence, de finesse, et d’autres, aller redisons l’expression, chère Anne, « bêtes et méchantes ».

Cela se manifeste aussi sur d’autres sujets, et nous en reparlerons.

 

PS : Je m’aperçois que je n’ai pas parlé de mon expérience perso (de rebelle !) avec l’école, comme je l’avais annonçé. Dans la mesure où elle montre, hélas, une continuité de l’institution scolaire, de la prétendue « école républicaine » (en fait très bonapartiste), à imposer des normes qui ne se justifient pas, je vous en reparlerai ; qui sait peut-être dans une semaine.

2ème PS : ce blog n’a pas l’objectif de faire de la critique de films, mais comme Libé (8/10/2008) s’est fendue d’une critique particulièrement coincée et mauvaise du dernier Woody Allen : Vicky, Christina, Barcelona, je vous recommande chaleureusement ce film.

Comme le dis un copain-collègue, ce film « a l’art de parler légèrement de choses graves ». L’art de filmer et de faire parler et vivre les personnages. Je pense que pour les dames (et les messieurs qui aiment ça), Javier Bardem est pas mal, et (moi-même, personnellement) je trouve Rebecca Hall absolument craquante.

Oui, elle est sublime Vicky-Rebecca. Mais comme no body is perfect, elle a un vilain défaut (un seul) : elle fait une thèse sur « l’identité catalane », alors qu’elle devrait travailler, toutes affaires cessantes, sur la laïcité.

Je suis absolument, totalement débordé, mais je crois, oh miracle laïque, pouvoir trouver du temps à lui consacrer, only sur le plan scientifique, of course. Woody, soit sympa, transmets le message de toute urgence…

 

 

 

16:10 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (2)