09/04/2008
DE LA PROFANATION DE TOMBES MUSULMANES
Je suis débordé de travail, mais je ne veux pas abandonner celles et ceux qui me font l’amitié de venir régulièrement sur ce Blog. Et il y a toujours des choses que l’on « rumine », même si l’on pas le temps de les approfondir.
Un journaliste m’a demandé dernièrement quand j’allais continuer ma Note sur « agnostique et croyant » : j’y pense… et je lui ai répondu : « dés que j’aurai 2 heures de libre pour me concentrer un peu ». Mais cela m’a remis dans le coup et m’a fait « carburer » en moi-même à propos de ce que j’avais dit concernant le symbolique.
Or l’actualité vient de nous fournir 2 faits qui relèvent de ce « champ symbolique » (pour employer une expression de sociologue) : la profanation de tombes musulmanes, les contestations du passage de la flamme olympique à Paris.
Bien sûr ces 2 faits sont très divergents sur le plan éthique, mais au-delà des nécessaires jugements de valeurs, ils montrent, tous les deux, l’importance du symbolique. Et les gens, en génral, se sont montrés singulièrement démunis à ce niveau.
La profanation des tombes musulmanes donne, une fois de plus (malheureusement) tort à celles (n’est-ce pas Caroline F.) et ceux qui prétendent que l’islamophobie ne correspond pas à de la réalité sociale.
J’ai entendu sur je ne sais plus quelle radio, une journaliste prétendre que ce n’était pas si grave que cela, style : les gens qui sont morts, on ne peut plus les atteindre. Outre que ce sont des vivants qui sont visés à travers les morts, de tels propos traduisent une méconnaissance profonde du symbolique.
La profanation des tombes de combattants musulmans est l’expression la plus absolue possible du refus de la présence d’une communauté musulmane en France (pas de faux procès, j’entends ce terme de communauté nullement dans un sens d’englobement de l’individu, mais comme le regroupement libre, volontaire, en tension parfois, de gens autour d’un terme commun, que ce terme soit catholicisme, libre-pensée, judaïsme, maçonnerie, protestantisme, bouddhisme, islam,…)
Ces tombes constituent un triple symbole.
D’abord le symbole d’une légitimité acquise, il y a près d’un siècle maintenant, par le « sang » : des musulmans ont « sacrifié leur vie pour la France » comme on disait encore il y a peu. Ce vocabulaire peut paraître désuet. Mais il faut faire attention que ne plus employer, tout à coup, certaines expressions parce qu’elles apparaissent « ringardes » peut être une manière commode de rejeter dans l’impensé des réalités dérangeantes.
Ensuite, cela rappelle qu’un tel « sacrifice » a été vraiment très mal « récompensé » Si vous ne connaissez pas la question et que vous voulez bénéficier d’une synthèse courte mais bien faite, je vous recommande la contribution de Patrick Weill : Le statut des musulmans en Algérie coloniale : une nationalité française dénaturée, publié dans l’ouvrage dirigé par M. Arkoun : Histoire de l’islam et des musulmans en France, Albin Michel, 2006.
Pendant des décennies les « Français musulmans » auxquels beaucoup expliquent aujourd’hui que la laïcité signifierait un reflux de leur religion dans la sphère privée (c’est plus complexe : tout dépend si on appelle sphère publique ce qui est en fait la sphère institutionnelle, liée à l’Etat, aux collectivités publiques) on été publiquement et officiellement désignés par leur religion, et cela les privait de citoyenneté.
Autrement dit la France a exigé des « Français musulmans » les même devoirs qu’elle a demandé aux autres Français, y compris le « devoir suprême », sans donner les mêmes droits. Certes, il n’y a pas que des musulmans qui ont été victimes de ce déni de droits, d’autres colonisés l’on été également. Mais les dits « Français musulmans » ont été au premier rang de cette discrimination.
Enfin, j’ai une doctorante qui travaille sur les sépultures musulmanes. Elle insiste, avec justesse, sur le fait que « la relation à la terre, notamment face à la mort, est un révélateur de l’appartenance à cette même terre. » L’inhumation de ces soldats dans la France hexagonale en fait symboliquement des Français pour toujours.
Et actuellement, le choix d’être enterrés en France par de nombreux musulmans venus d’autres pays montre une identité française assumée.
La profanation des tombes s’est accompagnée de graffitis injurieux envers Rachida Dati. On peut penser ce que l’on veut de la politique de cette dame, ces graffitis n’ont rien à voir avec une critique. C’est le fait même que l’on puisse être musulmane et ministre qui est insupportable aux auteurs de cette profanation.
Ce qui montre, en creux, l’importance du symbole qu’incarne Rachida Dati. Encore une fois, quelque soit la politique qu’elle met en œuvre. Elle oblige beaucoup de nos concitoyens à changer leurs regards.
On s’est indigné de ces profanations. Vraiment pas longtemps, car on est passé tout de suite après à l’affaire de la flamme olympique, et la profanation des tombes semble déjà oubliée. Elle devrait pourtant donner lieu à une explication historique, à réintégrer ces « Français musulmans » dans notre histoire commune. Espérons que le prochain 11 novembre en sera l’occasion, sans qu’il ait besoin que de sinistres individus nous obligent, à leur insu, à un tel rappel.
(la suite demain, si j’ai le temps ; sinon dans 2, 3 jours)
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