01/02/2007
LES CHEVALIERS DU BIEN.... ETEIGNENT LES LUMIERES
D’abord voici la rencontre à laquelle vous êtes cordialement convié(e), si votre lieu d’habitation et votre emploi du temps vous permet de venir :
entre universalité et lutte
contre les discriminations.
Colloque organisé par Passages à
L’Institut Hongrois (92 rue Bonaparte, 75006 Paris)
Le Lundi 5 février 2007
De 14h30 à 18h00.
Depuis la chute du mur de Berlin, on assiste à un renouveau de la référence à un universel républicain en même temps qu’à la laïcité prise comme une exception française. L’ouvrage de Jean Baubérot, « L’intégrisme républicain contre la laïcité » (éditions de l’Aube) relance le débat historique et contemporain en mettant en cause une certaine instrumentalisation de ces références.
Doit-on y voir une raison du retard français dans la lutte contre les discriminations ? Pour y répondre, nous avons invité des personnalités exprimant différents points de vue intellectuels et politiques.
Intervenants:
§ Jean BAUBEROT, Président honoraire de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et titulaire de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’EPHE.
§ Régis DEBRAY, Professeur à l’Université Jean Moulin de Lyon
§ Chantal DELSOL, Philosophe, Universitaire
§ Jean-Paul DURAND, Doyen de la Faculté de Droit Canonique
§ Chris LAROCHE, Proviseur du Lycée Robert Doisneau, Vaulx-en-Velin.
§ Charles MELMAN, Psychanalyste, Fondateur de l’Association Lacanienne Internationale
Modérateur : Emile H. MALET, Directeur de la revue Passages
Entrée libre
S’inscrire en téléphonant à la Revue PASSAGES : 0143252357.
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Ensuite, en attendant les commentaires sur le débat Habermas-Ratzinger, etc (c'est-à-dire la suite de la dernière Note), voila une réflexion mal pensante issue d’une interview entendue ce matin sur France Inter, et qui (à mon sens) pose le problème des chevaliers du bien, du moralisme (du moins ce que j’entends par là).
Cette interview concerne l’idée lumineuse, c’est le cas de le dire, lancée par des écolos demandant à tous les Français d’éteindre leurs lumières ce jeudi soir 1er février de 19H55 à 20H, cela pour protester contre l’abus de la consommation énergétique, coupable d’accélérer le réchauffement de la planète.
A première vue il s’agit d’une « action symbolique » sympa, qui vise à contribuer à une prise de conscience en communiant par un geste voulant attirer l’attention sur la gravité du problème. C’est ainsi qu’elle était d’ailleurs présentée à l’antenne. Et l’auditeur de se dire in petto : «C’est une bonne idée, et si cela ne fait pas de bien, cela ne fait pas de mal… »
Sauf que… France Inter interroge un scientifique et, à l’étonnement du journaliste[1], celui-ci explique que ce qui consomme le plus d’énergie et qui est de loin le plus dangereux écologiquement, ce sont les variations de la consommation. Pour y faire face, on est obligé d’utiliser le charbon en plus du nucléaire et de l’énergie hydraulique. Bref plus la consigne sera suivie, plus cela va être écologiquement néfaste. Ce scientifique craint une variation de grande amplitude…
Si c’est exact, nous trouvons là un bel exemple de moralisme. C’est quoi le moralisme ? C’est l’intention morale qui, s’estimant bonne par essence, croit pouvoir se passer d’une démarche de connaissance. Intention morale, jugement moral, indignation morale, tout ce que vous voulez : dans ces différents cas de figure, on se croit un chevalier du bien combattant le mal, comme Saint-Georges le dragon. On est dans l’évidence de ce qui est bien et mal. Et parce que c’est évident, on croit qu’il n’y a pas besoin de réfléchir, que les choses sont simples, qu’il suffit de prôner le bien et de protester contre le mal.
Morale de stéréotypes télé ! Le B A ba de la démarche sociologique consiste à découvrir qu’il existe des actions contre-productives, qui vont à l’encontre des objectifs que l’on prétend poursuivre, donc que la meilleure morale du monde ne peut se dispenser du savoir pour être un tant soit peu lucide sur elle-même, ce qu’elle est, ce qu’elle fait et les conséquences de ses actes.
Se vouloir chevalier du bien ne dispense ne dispense nullement de tenter d’être intelligent et n’est pas une excuse pour la bêtise primaire. Vous connaissez la formule qui désigne l’amour comme « l’infini à la portée des caniches ». Elle est très bonne quand l’amour est vite fait, mal fait. Elle ne s’applique pas quand on sait faire l’amour en artiste. Il en est de même du moralisme, c’est la morale mise à la portée des caniches. C’est la légitimation du simplisme et du premier degré. Cela justifie l’abrutissement à haute dose. Bref ce sont les bonnes intentions dont l’enfer est pavé. Alors que, paradoxe, le jugement moral doit être suspendu, mis entre parenthèse, pour que s’effectue une véritable démarche de connaissance et qu’au bout du compte, le jugement moral soit…éclairé.
Lumineux, non ?
Bonnes intentions (dont l’enfer est pavé)? A voir. Quand on participe à de telles actions sans s’interroger sur leurs conséquences, de quoi s’agit-il ? De lutter véritablement contre le réchauffement climatique ? Que nenni, car ce combat nécessite un engagement sérieux, une information rigoureuse, la connaissance de ce que la recherche scientifique peut dire de plausible sur la question. Bref cela demande du temps, de l’effort, de la ténacité. Certains sont engagés de cette façon, et c’est heureux. Mais beaucoup ne sont nullement dans une telle démarche, et cela n’a rien de honteux car on ne saurait être compétent ou engagé sur tout.
Mais l’exigence démocratique + la communication de masse font que vous êtes pratiquement obligés d’être informés sur tout et d’avoir une opinion sur tout… la bonne (opinion) naturellement, celle qui vous permet de faire partie de la cohorte des chevaliers du bien, de communier avec les autres chevaliers du bien, de vitupérer avec eux contre le mal et ses agents.
Des actions comme celle qui est prônée pour ce jeudi soir ont comme fonction essentielle non d’avoir une efficacité quelconque, mais d’être « symbolique » comme l’indiquait le journaliste. Sauf que la signification symbolique n’était pas celle qu’il croyait. Il ne s’agissait pas, en fait, d’une protestation symbolique, mais d’accomplir une action qui met symboliquement son auteur dans le camp du bien, dans la lutte (éternelle !!) du bien contre le mal. Il s’agit de se rassurer : nous sommes sans doute en train de pourrir la planète, de léguer une planète invivable à nos petits enfants (si du moins ce que dit la science médiatisée est vrai), mais je n’en suis pas co-responsable, puisque je suis du côté de ceux qui protestent !
Il s’agit donc de conjurer l’incertitude, l’incertitude sur le réchauffement climatique et l’incertitude sur sa propre situation dans cette galère.
Et voilà comment on se fait avoir, comment on risque de participer à une action contreproductive.
Sans compter le symbole dérape : éteindre les Lumières parce qu’on est dans la méconnaissance, quelle belle signification philosophique non consciente!
***
Et si la laïcité, la culture laïque consistait à désacraliser cet archétype du combat du bien et du mal. A assumer l’ambivalence des choses et à tenter d‘avoir une action sobre, la plus lucide possible, qui part de cette ambivalence et tente de la dépasser ; une action qui se pose la question : « comment ne pas être contre productif » ? A savoir que, dans la plupart des domaines où l’on vous présente des vérités toutes faites et des comportements bien calibrés,à consommer de suite façon fast-food, fast-thought, en fait on ne sait pas, en fait le plus probable est que les choses ne sont pas telles qu’on les dit.
Savoir qu’on ne sait pas. Mais dans certains domaines, chercher à savoir, à percer le voile d’ignorance socialement construite, à ses risques et périls, en sachant que cela peut vous conduire à vous écarter de la cohorte béate des chevaliers du biens qui, en toute bonne conscience, ne vont pas tarder à vous lancer des pierres. « Car les braves gens n’aiment pas que…L’on suive une autre route qu'eux », comme le chantait Brassens.
La fin de ma petite histoire n’est pas inintéressante : le pôvre journaliste avait l’air un peu embêté. Après son interview, il ne pouvait plus être totalement dans le 1er degré. Alors il a tenté de s’en sortir, et il a proposé à ses auditeurs d’éteindre leurs lumières non pas à 19h55, mais à 19h. Or 19h, c’est l’heure du journal sur France Inter. Etait-ce un coup vache contre son collègue ? Il a un peu pataugé et s’est repris : éteignez vos lumières, mettez une pile dans votre transistor et écoutez France-Inter dans le noir.
Pratique : j’entends déjà le bruit de la vaisselle cassée, j’entrevois une lumière qui se rallume aussitôt, sans compter que : mettre une pile dans son transistor, est-ce bien écolo, Madame Michu ?
J’ai une meilleure idée : ce qu’il faut éviter avant tout ce soir à 19H55, c’est une variation de consommation électrique de grande amplitude. Il faut donc REEQUILIBRER. Alors, pour contrecarrer l’action écologiquement néfaste des chevaliers du bien, Chers internautes, soyons délibérément, nous, des chevaliers du mal : allumons toutes les lumières de notre appartement, des parties communes et de notre cave si nous en avons une. Que ces lumières brillent de mille feux. Ce sera Versailles, ce sera Byzance et, de plus, dame Planète nous en sera infiniment reconnaissante.
[1] Réel ou feint suivant qu’il s’agisse ou non de direct. Mais si c’était feint, le journaliste, nous le verrons, n’avait pas très bien pensé la chute de son propos.
15:15 Publié dans CONTRE L'OBSCURANTISME | Lien permanent | Commentaires (3)